« Si l’État ne fait rien, il faut faire quelque chose » : comment le génocide à Gaza a suscité l’émergence d’une génération Palestine

 

L’après 7-Octobre a été pour beaucoup de jeunes un électrochoc qui a fait écho aux injustices qu’ils vivaient ou dont ils avaient conscience.© LOUAI BARAKAT/SIPA/2405291140
Une partie de la jeunesse française s’éveille à la politique en réaction aux crimes israéliens dans la bande de Gaza. Souvent informés via les réseaux sociaux, ou par leurs discussions, certains franchissent le pas et s’engagent.
Le combat pour la Palestine est fait de 1 000 actions. Ce dimanche de novembre, derrière un camion et une sono, ils sont plus de 300 à défiler, près de la gare de l’Est à Paris, en soutien aux Palestiniens. Des vétérans de la lutte que l’on reconnaît parfois à leurs rides. Et quelques jeunes. Quelques jeunes dont c’est le premier engagement.
« C’est un sujet sur lequel on ne peut pas se taire. Si les politiques ne font rien, c’est aux gens de faire », lâche Alexis, doctorant en physique de 23 ans. Marié à une Égyptienne, il n’est pas militant mais se rend aux manifestations d’Urgence Palestine. Ce qu’il s’est passé après le 7-Octobre « a été un électrochoc ». Avant, « la question palestinienne me passait dessus », confesse-t-il. À 20 ans, c’est la première manifestation de Marie pour la Palestine. « Le sujet m’a toujours intéressée, on en parlait en cours », témoigne-t-elle, faisant le même constat que la plupart des jeunes que nous avons interrogés : « Si l’État ne fait rien, il faut faire quelque chose. »

« Gaza marque notre génération »
Ève, 22 ans s’est longtemps préoccupée d’écologie, de féminisme et des questions LGBT. Selon elle, « Gaza marque notre génération. On en parle dans nos cercles d’amis, on consulte les réseaux sociaux, les journaux ». Même constat chez Alice, 25 ans, engagée de longue date sur le sujet. « C’est le jour et la nuit dans mon entourage. Avant 2023, je ne comprenais pas que personne ne s’intéresse à la Palestine. C’était un sujet trop complexe, les gens refusaient d’en parler. Ça a changé depuis », constate cette adhérente de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS).
Une partie des jeunes sont affectés par la situation à Gaza. Les manifestations se succèdent régulièrement. La plus importante d’entre elles, en octobre 2023 à Paris, a rassemblé 30 000 personnes. Manifester, c’est parfois subir les violences policières, dont se sont plaintes plusieurs personnes que nous avons interrogées. Ainsi, Ilaria, serveuse italienne de 25 ans, a son explication de la raison pour laquelle chez elle, en Italie, la mobilisation est plus puissante : « La présence de nombreux centres sociaux qui mobilisent sur cette question, l’héritage du Parti communiste. » Mais aussi : « La répression est moins forte et l’islamophobie d’État moins structurée qu’en France. »
Certains étudiants ont investi des collectifs, comme celui de Sciences-Po Paris en avril 2024, dans la foulée des mouvements universitaires aux États-Unis. C’est le cas de Victor, 21 ans. En juin dernier, il a participé à un campement, place de la République à Paris, en soutien à la flottille partie briser le blocus de Gaza. « C’était une expérience magique, un groupe de gens autogéré afin de demander le retour des membres emprisonnés de la flottille, la fin du génocide et de l’apartheid », se remémore-t-il, enthousiaste.
Les participants à la flottille forcent le respect. Cette initiative « était porteuse d’espoir et d’énergie. Ce n’était pas rien quand même de faire ça, d’être face à l’armée génocidaire, d’être emprisonnés », salue Alice, de Boycott désinvestissement sanctions (BDS France). Darine, qui a adhéré à l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) à Lille, estime que « cela montre que la cause palestinienne ne peut se résoudre qu’avec la mobilisation du peuple puisque les gouvernements ne bougent pas ».

Méfiance envers le gouvernement et les médias
Car Emmanuel Macron a beau avoir reconnu l’État de Palestine à l’ONU, son action ne convainc guère. Victor y voit une « opération de blanchiment colonial vis-à-vis du génocide qu’ils ont laissé faire ». Plusieurs jeunes interrogés s’indignent des livraisons d’armes ou de l’absence de sanctions prononcées contre Israël. Les jeunes organisent donc la sanction citoyenne. Ainsi, avec l’AFPS, la première action de Marguerite a été de promouvoir le boycott de Carrefour. L’enseigne est présente dans les colonies. « Cela m’a plu, j’y ai trouvé du sens », explique l’étudiante de 22 ans à Sciences-Po Lille.
Chez les jeunes mobilisés, la méfiance envers le gouvernement n’est pas la seule motivation. Les médias aussi en prennent pour leur grade. Ève consulte ainsi des journaux, « hebdomadaires ou quotidiens », mais « pas la télévision ! prévient-elle. Vu comment le génocide est couvert, pas étonnant ». Alexis estime que « les médias déforment, ne parlent pas de Palestine ou uniquement en vue de dérouler le narratif israélien ». Les réseaux sociaux deviennent le principal canal d’information.
Ali, 20 ans, est baby-sitter depuis qu’elle a arrêté ses études, et originaire de La Courneuve. Elle participait avant 2023 aux mobilisations féministes ou antiracistes. « Au début, je n’avais pas vraiment d’intérêt pour la cause palestinienne. Mais mes amis en parlaient, et il y avait ces publications sur Instagram. Plus j’en voyais, plus ça m’intéressait. » Elle ne regarde « pas trop la télévision, car ils ne disent pas trop la vérité sur ce qu’il se passe ».
Parmi les comptes consultés sur les réseaux sociaux, ceux des organisations de soutien, qui parfois traduisent certains articles, sont fréquemment cités. Mais ceux qui font l’unanimité sont ceux des journalistes palestiniens qui donnent un accès à des images, souvent dures. Toutefois, tout n’est pas pris pour argent comptant. « Notre génération de jeunes cherche ses informations sur Internet. On voit de tout défiler. J’ai appris à vérifier mes sources », indique Jules, 17 ans, qui vient de s’engager à l’AFPS à Grenoble.
Gouvernements et médias ne sont pas seuls mis en cause. Lors des mobilisations étudiantes d’avril 2024, l’une des revendications était que leurs établissements prennent position sur les massacres. « Sciences-Po est une école fondamentalement politique. Le problème est que notre établissement a des liens directs avec des entreprises ou universités qui ont une implication dans le génocide », fait valoir Hakim, du comité Palestine de Sciences-Po.

La question palestinienne fait œuvre d’éducation populaire
Chez les jeunes qui s’engagent, le combat contre les massacres, c’est aussi se plonger dans des ouvrages afin d’en apprendre plus sur le conflit au Proche-Orient. « Je lis des livres, et on reçoit le journal trimestriel de l’AFPS », souligne Jules. Sa camarade de Lille, Darine, 33 ans et médecin, indique qu’en entrant dans l’AFPS elle a « eu accès à des ressources bibliographiques » en empruntant dans la bibliothèque de l’association. « S’engager pousse à s’informer », insiste-t-elle. Pour d’autres, aux manifestations s’ajoutent la participation à des conférences sur l’histoire du conflit ou des événements plus culturels, des collectes de fonds en faveur des prisonniers.
La question palestinienne fait œuvre d’éducation populaire. Elle est une porte d’entrée sur le monde. « J’étais politisé, mais j’ai commencé à m’intéresser à la France comme puissance coloniale impériale qui refuse de traiter sa propre histoire coloniale », indique Victor, qui s’est penché sur la « résistance similaire des Kanak ».
Quand il s’est engagé pour la Palestine, Léonardo, 24 ans, s’intéressait déjà au colonialisme français et à la question de la dette odieuse des pays en développement. Mais le combat contre les massacres l’a « ouvert aux questions géopolitiques, aux enjeux internationaux, à la compréhension des conflits au Soudan ou en République démocratique du Congo », explique celui qui est chômeur sans droits. Ces deux conflits sont maintes fois mentionnés par les jeunes que nous avons interrogés. Comme un pied de nez à ceux qui, souvent défenseurs du gouvernement israélien, les accusent de ne se préoccuper que du sort des Palestiniens.
Celui-ci a conduit certains à rejoindre une organisation politique. Ainsi Maxime Jbilou est entré dans les rangs de LFI. Il nous indique que « depuis 2022 », il était « sympathisant » du mouvement de gauche. Mais « ce sont vraiment les prises de position de LFI sur le sujet palestinien qui m’ont fait dire que c’est dans cette formation qu’il y avait le courage politique ».
Eliott, 16 ans, s’intéressait depuis longtemps « aux conflits et génocides ». « J’en suis venu à me politiser en me penchant sur ce qui se passait en Palestine, au Soudan, au Tibet et avec les Ouïgours ». Après le 7-Octobre, « je me suis renseigné à fond. Et j’ai adhéré en mai dernier au Mouvement jeunes communistes de France » à Nîmes, nous relate-t-il. Il ramène désormais le drapeau palestinien dans les manifestations. Maël a suivi un chemin similaire, après avoir été sensibilisé à la question par des amis qui suivaient le boycott. « À force qu’on me dise « ne mange pas de McDo pour la Palestine », je m’y suis intéressé », témoigne celui qui a rejoint les jeunes communistes d’Ille-et-Vilaine. Une adhésion qui l’a conforté. « Des formations étaient proposées » sur l’histoire du conflit, la solution à deux États, détaille-t-il.

« La blessure palestinienne synthétise toutes celles qu’ils vivent »
S’il y a eu des manifestations de rue, le mouvement étudiant de 2024 a un trait particulier. « Les mobilisations se sont surtout tenues dans les universités les plus élitistes : l’École des hautes études en sciences sociales, l’École normale supérieure, Sciences-Po », constate Sylvaine Bulle, professeure de sociologie au laboratoire d’anthropologie politique de l’Ehess CNRS. « La faiblesse de la mobilisation ailleurs peut s’expliquer par le fait que, dans les universités de banlieue, les étudiants, précaires, donnent la priorité à leurs études. Ils ont aussi peur de la répression, d’être embarqués. »
Sur son lieu d’enseignement, elle a été au contact des mobilisations étudiantes. Il en ressort une forte indignation morale. Mais, s’étonne l’universitaire, alors qu’« on a affaire à des étudiants qui travaillent sur les questions d’intersectionnalité, de racialité, de colonialité, ils ne se saisissent pas de la possibilité de parler d’intersectionnalité (de cumul des dominations – NDLR) en Palestine et en Israël, en s’intéressant par exemple aux féministes musulmanes en Israël ou des queers en Palestine ».
Pour les jeunes, la Palestine est un « horizon politique par procuration, estime la sociologue. La blessure palestinienne synthétise toutes celles qu’ils vivent : le logement, les papiers, l’humiliation, la domination, la racialisation, les difficultés économiques. Toutes les sources d’oppression convergent en une seule ». C’est un peu ce que pense Victor : « La Palestine est un miroir moral sur le monde. »

Gaël De Santis
L'Humanité du 27 novembre 25



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