Plan de « paix » pour Gaza : la reconstruction comme écran de fumée

 

Le 17 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution soutenant le plan de paix américain pour Gaza et autorisant le déploiement d’une force internationale. Cette résolution, longuement négociée sous la pression des États-Unis, a été votée par treize membres, tandis que la Chine et la Russie s’abstenaient. Pour l’ambassadeur américain Mike Waltz, il s’agit d’un texte « historique et constructif ». Pour d’autres, il marque surtout le début d’une opération politique beaucoup plus trouble.
Car derrière l’apparente avancée diplomatique – la consolidation d’un cessez-le-feu fragile instauré le 10 octobre entre Israël et le Hamas – s’esquisse une vision du futur de Gaza qui tient davantage du mirage technocratique que d’un véritable horizon politique. Le plan inspiré et porté par Donald Trump prétend ouvrir une « voie crédible » vers l’autodétermination palestinienne. En réalité, il élabore le scénario d’un territoire reconstruit sans son peuple.

Un futur sans Gazaouis ?
Le projet américain offre aux habitants trois perspectives, toutes aussi inquiétantes les unes que les autres :
• l’écrasement militaire, déjà largement entamé ;
• l’expulsion, suggérée à mots à peine couverts par certains responsables israéliens ;
• ou la pression économique, qui pousserait les plus fragiles à quitter Gaza « d’eux-mêmes ».

Officiellement, personne ne sera forcé au départ. Officieusement, tout semble méthodiquement pensé pour rendre la vie impossible à ceux qui voudraient rester. Le modèle proposé est celui de Dubaï, avec ses tours scintillantes, ses zones franches et ses investisseurs du Golfe. Mais dans cette ville futuriste imaginée depuis Washington, quelle place pour les Gazaouis survivants, pour ceux qui vivent encore sous les ruines ?
Le plan ne répond pas. Il contourne les vrais problèmes

L’économie comme substitut au politique
En lisant les documents du plan, un constat s’impose : la population de Gaza n’apparaît nulle part comme acteur politique. On lui promet l’intégration économique, non la citoyenneté ; la prospérité, non la souveraineté. C’est le glissement classique consistant à transformer un conflit politique en simple question d’infrastructures.
Les experts mobilisés par Washington – promoteurs des « villes miracles » du Moyen-Orient – incarnent parfaitement cette logique. Leur mission n’est pas de répondre aux aspirations d’un peuple, mais de fabriquer un espace attractif pour les flux financiers. L’innovation n’est pas institutionnelle : elle est immobilière.

Un plan truffé d’ambiguïtés
Le retrait israélien ? Il dépendra de « conditions » encore floues.
L’aide humanitaire ? Confiée à des organisations proches de l’administration Trump.
La gouvernance ? Un « comité palestinien technocratique » sans mandat populaire, tenu par un « conseil de la paix »… présidé par Donald Trump lui-même jusqu’en 2027.
Quant à l’ONU, longtemps vilipendée par Trump, elle est soudain appelée à conférer un vernis multilatéral à un projet qui en manque cruellement. Et les pays arabes, régulièrement humiliés par Washington, sont invités à financer une reconstruction dont les habitants auraient, dans la version américaine, un rôle marginal.
Tout semble conçu pour inclure tout le monde, sauf les premiers concernés.

Une vieille logique, habillée de neuf
Ce plan s’inscrit dans une tradition coloniale bien connue : celle qui considère les Palestiniens comme un « peuple absent ». Ils dérangent, entravent, ralentissent les projets. Le développement économique devient alors un outil pour les contourner, voire les remplacer.
Même certains colons israéliens, pourtant hostiles au moindre compromis, pourraient se méfier de ce projet trop globalisé, trop financiarisé. Mais ils y trouvent un avantage : la Cisjordanie n’est pas concernée. Autrement dit, la colonisation peut continuer sans entrave.
Le plan pour Gaza devient ainsi un écran de fumée, détournant l’attention de ce qui se joue ailleurs.

Un cessez-le-feu fragile, une paix introuvable
Le cessez-le-feu et les échanges de prisonniers représentent sans doute des avancées humanitaires. Mais elles ne sauraient masquer les deux questions essentielles que le plan évite soigneusement :
• le désarmement du Hamas, enjeu sécuritaire majeur pour Israël ;
• l’arrêt de la colonisation en Cisjordanie occupée, qui rend chaque jour plus impossible l’émergence d’un État palestinien viable.
Ne s’attaquant ni à l’un ni à l’autre, le projet Trump ressemble moins à une solution qu’à une mise en scène : une reconstruction sans politique, une modernisation sans souveraineté, une stabilisation sans justice.

Au-delà des plans, l’essentiel : un peuple
Gaza n’a pas besoin d’être redessinée par les promoteurs du Golfe ou les conseillers d’un président américain obsédé par les deals et les tours de verre. Ce dont Gaza a besoin, c’est de ce que le plan refuse de nommer : l’existence d’un peuple, son droit à vivre, à rester, à décider.
En un mot : à exister.

Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin.
Tribune - L'Humanité du 20 novembre 25

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