Commandé par le ministère de l’Enseignement supérieur, un sondage sur le rapport à l'antisémitisme chez le personnel enseignant a provoqué la colère des syndicats et des ONG. Entre un manque d’anonymisation, la multitude d’amalgames politiques et la stigmatisation des participants, ce questionnaire a été rejeté par les présidences d’université.
L’enquête, censée être réservée aux cercles universitaires (étudiants et enseignants) depuis le 18 novembre, peut être complétée par n’importe qui. Hébergée sur le cloud de Google, il suffit d’avoir accès au lien pour répondre aux questions. Une faille symbolique, dont le danger est amplifié par la nature du questionnaire.
L’enquête en question, commandée par le ministère de l’Enseignement supérieur, se veut être une estimation de la place qu’occupe l’antisémitisme dans les universités. Il suffit de se pencher sur certaines questions pour en observer l’inclination politique : « Quand vous pensez à la situation d’Israël, de laquelle des deux opinions suivantes êtes-vous le plus proche : “Israël est un pays puissant qui mène une politique agressive vis-à-vis de ses voisins” ou “Israël est un petit pays qui se défend contre des pays voisins, dont certains souhaitent le détruire” ? »
Mais aussi : « D’après vous, chacun des phénomènes suivants est répandu ou non dans votre établissement : La détestation d’Israël ? Le soutien à la cause palestinienne ? Le soutien au Hamas ? La haine des sionistes ? » ; « Selon vous, qui porte la plus grande responsabilité dans la poursuite du conflit israélo-palestinien : Avant tout les Israéliens ? Avant tout les Palestiniens ? Autant les uns que les autres ? »
« Un certain nombre de problèmes dans les questions posées »
La stigmatisation des soutiens au peuple palestinien – victime d’un génocide documenté – se poursuit et les biais de l’enquête concernent de multiples dimensions. Le journaliste du Monde Stéphane Foucart tance, par exemple, sur Bluesky, « l’impensé politique » que représente le choix d’afficher, dans une échelle de 0 à 10, en rouge les positions « très à gauche » et en vert celles « très à droite ».
Selon les informations du Monde et de Mediapart, l’association France Universités a décidé de rejeter officiellement, dans un courrier daté au lundi 24 novembre, cette enquête lancée par le gouvernement. L’institution a ainsi informé le ministère de l’Enseignement supérieur qu’elle ne soutiendrait pas le sondage, long de 44 pages, établi par l’IFOP. Les directeurs d’université y observent « un certain nombre de problèmes dans sa conception et les questions posées ».
Outre la nature du questionnaire – choix dans une liste imposée, rareté d’une réponse « sans opinion », aucune confirmation demandée ni de retour en arrière pour modifier sa réponse -, le manque d’anonymat est pointé du doigt. Chaque participant doit donner le type d’établissement et l’académie où il exerce, sa fonction professionnelle, le dernier diplôme obtenu, le code postal de son lieu de résidence, mais aussi son âge, son genre, sa proximité avec un parti politique et sa religion.
Un ensemble de données précises qui permettrait d’identifier les participants. « L’envoi d’un questionnaire politique à des agents du service public est une première : il viole le principe de neutralité institutionnelle », s’insurge le collectif d’universitaires RogueESR. Le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup-FSU) y voit une « mascarade scientifique », résume un communiqué diffusé dimanche. « Ce questionnaire pêche tout à la fois par la confusion des sujets abordés, l’orientation des réponses souhaitées […] et l’illégalité du questionnement des agent·es de la fonction publique par leur autorité de tutelle sur leurs convictions politiques et religieuses », ajoute le syndicat.
Une pétition à l’attention du ministre de l’Enseignement supérieur
« Il n’appartient pas à l’État de collecter des données sur les opinions religieuses ou politiques des agents publics. La liberté d’opinion est un principe constitutionnel garanti. Le ministère ne peut, sans enfreindre les dispositions de la loi de 1983 sur le statut des fonctionnaires, ni solliciter, ni traiter de telles données, même sous couvert d’anonymat », appuient le SNESUP-FSU, la CGT FERC Sup, Sud Éducation, le SNPTES-UNSA, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’Association pour la liberté académique (ALIA), la Coordination Antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques et pédagogiques (CAALAP) et l’Observatoire des atteintes à la liberté académique (OALA), dans une pétition à l’attention du ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste.
Interrogé par le Monde, le centre de recherches politiques de Sciences Po, Cevipof, affirme que « toutes les garanties ont été mises en place pour préserver l’anonymat des répondants », afin que « ni le ministère ni le centre de recherche ne disposeront des données individuelles ainsi recueillies par l’IFOP ». Le ministère visé affirme, dans un communiqué publié lundi, que « la participation est facultative et le choix de la diffuser et d’y répondre est naturellement laissé à l’entière discrétion des établissements et de leurs personnels ».
Les résultats sont censés être exploités par deux chercheurs du Cevipof, spécialisés en statistiques et en analyse de données et des attitudes et comportements politiques. « Les enquêtes sur le racisme et l’antisémitisme sont nécessaires, rappelle le collectif composé, entre autres, de la LDH. Elles sont prévues par la loi du 13 juillet 1990 contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, dans son article 2 : chaque année, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme remet un rapport sur la lutte contre le racisme, au premier ministre. »
Tom Demars-Granja
L'Humanité du 25 novembre 25
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