Amnesty International dévoile, dans un rapport publié lundi 18 août, une vingtaine de témoignages de civils palestiniens rencontrés sur plusieurs mois. Leurs récits démontrent, confirme l’ONG, qu’Israël prolonge délibérément la famine en cours à Gaza à des fins génocidaires.
Les images des Palestiniens – hommes, femmes, enfants – aux corps décharnés hantent les réseaux sociaux et les canaux de rares médias. La situation est telle « que le pire scénario de famine est déjà en train de se produire » depuis plusieurs mois, confirmait le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), dans une alerte publiée le 29 juillet dernier. Amnesty International vient appuyer toutes ces alertes successives – et restées lettres mortes – avec un nouveau rapport dévoilé lundi 18 août.
L’ONG y confirme que « l’affamation des Palestiniens de Gaza par Israël est une politique délibérée ». Ses équipes ont ainsi interrogé dix-neuf civils palestiniens, obligés de survivre dans trois camps de fortune, ainsi que deux membres du personnel médical chargé de soigner les enfants souffrant de malnutrition dans deux hôpitaux de la ville de Gaza.
« Cette pénurie généralisée est le résultat du blocus étouffant »
« Aucun d’entre eux n’avait consommé d’œufs, de poisson, de viande, de tomates ou de concombres depuis au moins un mois ; la plupart n’avaient pas mangé de tels aliments depuis plusieurs mois, alerte Amnesty International. Cette pénurie généralisée d’aliments frais et nutritifs est le résultat à la fois du blocus étouffant imposé par Israël et de la destruction systématique des sources de production alimentaire. »
Au 14 août, le ministère de la Santé de Gaza a enregistré la mort de 105 enfants dus à des complications liées à la malnutrition. Près de 13 000 autres ont été hospitalisés pour le même fléau sur le seul mois de juillet, dont 2 800 dans un état de malnutrition aiguë sévère. Sur les 747 femmes enceintes et allaitantes dont l’ONG Save the Children s’est occupée sur la première quinzaine de juillet, 43 % (soit 323) « souffraient de malnutrition ».
Abu Alaa, déplacé du camp de réfugiés de Jabalia âgé de 62 ans, explique par exemple avoir reçu une « soupe de lentilles de la cuisine communautaire » comme seul repas de la journée. Le pain, lui, n’est distribué qu’un jour par semaine. Les produits sucrés ont, enfin, disparu depuis des mois. « Je peux supporter la faim, mais pas les enfants », s’alarme-t-il.
Nahed, 66 ans, a quant à lui raconté à Amnesty International comment la privation de la nourriture, couplée aux massacres quotidiens, « a privé les gens de leur humanité ». Face au spectre de la mort, rôdant depuis près de deux ans dans les décombres de la bande de Gaza, seule la survie entre en ligne de mire. « J’ai dû m’y rendre parce que je n’ai personne pour s’occuper de moi, ajoute Nahed. J’ai vu de mes propres yeux des gens porter des sacs de farine tachés du sang de ceux qui venaient d’être abattus ; même des personnes que je connaissais étaient presque méconnaissables. » Il est ainsi clair pour lui que « l’expérience de la faim et de la guerre a complètement changé Gaza (et) nos valeurs ».
« Ces jeunes enfants méritent de vivre »
Face à la situation, il n’est guère étonnant de voir la culpabilité gagner les esprits. Aziza a ainsi « l’impression d’être devenue un fardeau » pour sa famille. Âgé de 75 ans, obligé de se déplacer en fauteuil roulant, de porter des couches pour adultes et de prendre des médicaments pour le diabète, l’hypertension et une maladie cardiaque, il doit se reposer sur ses proches ; eux-mêmes au bord de la rupture. « J’ai toujours l’impression que ce sont ces jeunes enfants, mes petits-enfants, qui méritent de vivre », conclut-il.
Un médecin urgentiste de l’hôpital Al-Shifa (Gaza), interrogé par Amnesty International le 24 juillet, confirme que les personnes les plus vulnérables – « les nourrissons, les enfants souffrant de maladies préexistantes, les personnes âgées et les personnes handicapées » – sont touchées de manière disproportionnée par les effets combinés de la famine et du blocus. À savoir, un manque de nourriture, de médicaments, d’eau potable et d’hygiène qui se prolonge depuis bientôt deux ans.
Les femmes enceintes et allaitantes interrogées par Amnesty International font quant à elles face à « l’extrême pénurie d’articles indispensables à leur survie, de la réalité angoissante d’être enceinte et de devenir maman alors qu’elle vit dans une tente dans la chaleur extrême de l’été ». Le tout couplé à la « lutte quotidienne désespérée pour obtenir de la nourriture, du lait maternisé et de l’eau potable ».
« J’ai peur de faire une fausse couche, mais je pense aussi à mon bébé : je panique rien qu’en pensant à l’impact potentiel de ma propre faim sur la santé du bébé, son poids, s’inquiète Hadeel, 28 ans et enceinte de quatre mois. Même si le bébé naît en bonne santé, quelle vie l’attend… Au milieu des déplacements, des bombes, des tentes. »
S* (elle a souhaité rester anonyme), une infirmière déplacée de Jabalia vers le camp de déplacés internes d’Al-Taqwa à Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza, n’a de son côté pu donner que de l’eau à ses enfants pendant plusieurs jours. Elle restreint sa propre consommation depuis fin avril, son mari a été blessé alors qu’il cherchait de l’aide près du point de passage de Zikim, son fils « marche et tombe » sans cesse, affaibli par la faim et son bébé s’endort en pleurant de faim. « J’ai l’impression d’avoir échoué en tant que mère, affirme-t-elle. La faim de vos enfants vous donne l’impression d’être une mauvaise mère. »
Une évaluation menée par le centre satellitaire des Nations unies (UNOSAT), et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), publiée le 31 juillet, a révélé que 86 % des champs de cultures permanentes de Gaza avaient considérablement perdu en santé et en densité. Les conséquences des rasages, des bombardements, des tirs d’artillerie et de l’utilisation d’engins lourds (tanks, etc.) qui rythment le quotidien des Gazaouis depuis octobre 2023. La réouverture de l’enclave palestinienne à l’aide humanitaire apparaît donc comme le minimum pour atténuer le génocide en cours. Or, même cette première étape ne cesse d’être bloquée par Israël.
Tom Demars-Granja
L'Humanité du 18 août 25
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