L’annexion de la Cisjordanie par Israël devient une réalité

 

Pour la première fois, une tutelle civile est reconnue pour les implantations juives de Cisjordanie occupée, mais aussi pour la gestion de nombreux domaines qui concernent la vie quotidienne des Palestiniens.
Un événement peut-être capital dans l’histoire du conflit israélo-palestinien a eu lieu le 23 février à Jérusalem, sans même que la communauté internationale semble s’en être aperçue : au terme d’une longue négociation au sein de la nouvelle coalition gouvernementale israélienne, des pouvoirs considérables pour la gestion des territoires occupés ont été transférés à Bezalel Smotrich, l’un des ministres les plus extrémistes, d’ailleurs lui-même colon.
Trois organisations israéliennes de gauche, Yesh Din, l’Association des droits civils en Israël et Breaking the Silence, ont dénoncé ce qu’elles appellent une « annexion de jure » (de droit) de la Cisjordanie occupée. Quant au juriste israélien Michael Sfard, il a estimé que cet accord induit que « de facto , Bezalel Smotrich occupera le poste de gouverneur de la Cisjordanie ».
Lorsque le gouvernement de Binyamin Netanyahou a prêté serment le 30 décembre 2022, les attributions ministérielles dévolues à Bezalel Smotrich n’avaient pas manqué d’intriguer les observateurs. Il n’avait certes pas réussi à décrocher le portefeuille de la Défense qu’il visait – il avait dû se contenter du ministère des Finances – mais il était en même temps également désigné « sous-ministre au sein du ministère de la Défense », un titre au contenu nébuleux créé pour lui.
Depuis l’accord du 23 février, les choses paraissent plus claires. Le « sous-ministre » désormais officieux « gouverneur de la Judée et de la Samarie » (noms bibliques par lesquels les Israéliens désignent la Cisjordanie palestinienne) va pouvoir se consacrer à la mission qui lui tient à cœur et qu’un éditorial du journal Haaretz résumait ainsi : « Contrôler presque tous les domaines de la vie en Cisjordanie, y compris la planification, la construction et l’infrastructure, qu’il a l’intention d’utiliser pour développer l’entreprise de colonisation et mettre fin à tout développement palestinien. »
Comme le précise le site de The Times of Israël , l’accord permettra en effet à Smotrich de « poursuivre son objectif de contrecarrer les aspirations palestiniennes à un Etat en Cisjordanie en favorisant l’expansion substantielle du nombre d’Israéliens dans cette région ». Et le Haaretz d’embrayer sur un constat additionnel embarrassant pour Israël : « Etant donné qu’il n’y a aucune intention d’accorder des droits civils aux millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie, le résultat de l’accord est un régime d’apartheid formel et à part entière. »
Concrètement, comment cela va-t-il se passer ? Le juriste israélien Itay Epshtain l’a longuement expliqué sur Twitter dès le 24 février. Sans le reprendre de manière exhaustive, voici quelques points principaux qu’il relève : « Toutes les affaires civiles en Cisjordanie relèveront de l’autorité du ministre (Smotrich) et seront déléguées aux chefs adjoints de l’administration civile israélienne, nommés par le ministre au sein de sa base politique. »
Plus inquiétant encore : « Le ministre veillera à la transposition du droit interne israélien à toutes les matières civiles en territoire occupé, au profit exclusif des ressortissants israéliens, tout en maintenant les mesures draconiennes de la loi martiale pour les Palestiniens. (…) L’armée israélienne n’aura qu’un rôle superficiel, pour maintenir la façade d’un gouvernement militaire établi selon la loi régissant l’occupation. »
Et surtout ceci : « Toutes les questions liées au logement, à la terre et aux droits de propriété, y compris le règlement de la propriété foncière, l’arpentage et l’enregistrement, relèveront de la seule autorité du ministre. C’est le principal outil pour exproprier des terres et abroger les revendications palestiniennes de propriété. »
On ne s’étonnera pas de l’exultation de Bezalel Smotrich après la signature de l’accord : « Je remercie le Premier ministre qui a compris l’importance de cette question lors des négociations de coalition. Les citoyens de Judée et de Samarie (les colons israéliens, NDLR) bénéficieront d’un traitement égal et d’une citoyenneté égale. (…) Nous avons un long chemin à parcourir, mais c’est un jour à célébrer pour les résidents de Judée et de Samarie et pour l’Etat d’Israël. »
Certes, l’accord stipule que le Premier ministre, Binyamin Netanyahou, sera lui aussi responsable de « la politique d’application des lois » en Cisjordanie, et que l’armée pourra prendre l’initiative de conduire des opérations labélisées « urgences sécuritaires » (sous-entendu : sans le consentement de Smotrich ou de ses sous-fifres). Il n’empêche, conclut le juriste Michael Sfard, « l’accord stipule que le gouverneur travaillera à approfondir les pouvoirs du gouvernement israélien dans les zones des colonies israéliennes. (…) Les lois internationales sur l’occupation stipulent qu’un territoire occupé sera temporairement administré par la puissance occupante (c’est-à-dire l’armée). Le transfert de pouvoirs à des mains civiles est un acte d’annexion de droit, car les retirer à la puissance occupante et les placer directement entre les mains du gouvernement est une expression de souveraineté. L’essentiel est que l’accord signé aujourd’hui est en même temps une étape énorme dans l’annexion légale de la Cisjordanie et l’approfondissement du régime d’apartheid là-bas ».
Les Etats-Unis et l’Union européenne vont-ils bouger ? Rien ne l’indique. « L’annexion formelle, que la communauté internationale a toujours considérée comme une ligne rouge, a été franchie », estime, sur le site Middle East Eye, Wesam Ahmad, de l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haq. « Malheureusement, le silence a été la principale réponse. Quel message cela envoie-t-il à Israël et au peuple palestinien ? »

Baudouin Loos
Le Soir du 10 mars 2023

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