Le président américain a critiqué la réforme de la justice engagée par le chef du gouvernement israélien et exclu de le recevoir pour l’instant à Washington
Jérusalem - correspondant - Non » , Benyamin Nétanyahou ne sera pas invité à la Maison Blanche, « non, pas dans l’immédiat ». Le président américain, Joe Biden, a rappelé, mardi 28 mars, la distance à laquelle son administration tient à garder le premier ministre israélien, trois mois après son retour au pouvoir, en décembre 2022.
Pour la première fois, il exprimait publiquement ses craintes sur la réforme de la justice avancée par la coalition de M. Nétanyahou, qui suscite une levée de boucliers historique en Israël. L’allié américain y voit un enjeu de sécurité, déstabilisant son plus grand allié au Proche-Orient. « J’espère qu’il ne prendra pas ce chemin (…). Ils ne peuvent pas continuer sur cette voie. Je croyais l’avoir dit clairement. J’espère que le premier ministre agira de manière à trouver un véritable compromis , a précisé M. Biden, avant de souligner ses doutes : Mais cela reste à voir. »
En Israël, cette déclaration a sonné comme un rappel à l’ordre inédit de la part d’une administration qui avait tardé à s’intéresser à la crise, ouverte dès janvier, et qui a longtemps exprimé sa « préoccupation » sur un ton policé. « Le premier ministre israélien n’est pas le bienvenu à la Maison Blanche. M. Biden ne veut pas l’entendre et n’est pas intéressé par ses arguments. Il s’agit de la critique publique la plus flagrante et la plus catégorique d’Israël de la part d’un président américain depuis des décennies » , estime Alon Pinkas, ancien consul général à New York et chroniqueur pour le quotidien de gauche Haaretz .
Le moment choisi par Joe Biden impressionne également : il paraît condamner d’un bloc les propositions de la coalition israélienne, au lendemain de l’annonce par le premier ministre d’une « pause » dans ce processus législatif. Sous la pression de la rue, des milieux d’affaires et de son propre ministre de la défense, Yoav Galant, Benyamin Nétanyahou a engagé mardi « un dialogue » avec son opposition. Saluant cette décision, l’ambassadeur américain, Tom Nides, avait estimé un peu vite que le dirigeant pourrait être reçu « bientôt » à la Maison Blanche.
A une heure exceptionnellement tardive mercredi, à 1 heure du matin, M. Nétanyahou a répondu avec défi à M. Biden. Il a d’abord mentionné leur proximité « de quarante ans » et la solidité de l’alliance avec Washington, qui va au-delà « des désaccords occasionnels ». Puis il a affirmé qu’Israël est « un pays souverain, qui prend ses décisions suivant la volonté du peuple et non selon les pressions de l’étranger, y compris de la part du meilleur des amis ».
Plusieurs membres de la coalition sont allés plus loin dans la journée. Le ministre de la sécurité nationale, le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, a souligné qu’Israël n’était « pas une étoile de plus sur le drapeau américain ». Miki Zohar, le ministre de culture et des sports issu du parti de M. Nétanyahou, le Likoud, s’est attristé sur Twitter du fait que M. Biden « soit lui aussi victime des “fake news” disséminées contre Israël et notre réforme judiciaire légitime ».
Flou institutionnel
L’après-midi, M. Nétanyahou s’est employé à réduire ces tensions, dans un discours prononcé par vidéoconférence au sommet pour la démocratie organisé par M. Biden. Il a aussi prétendu que la relation bilatérale progressait, en se félicitant que son pays ait enfin accompli l’essentiel des démarches nécessaires pour que les Etats-Unis accordent aux citoyens israéliens le droit d’entrer sur leur territoire en touristes ou pour affaires sans demande de visa préalable. Washington a immédiatement démenti : Israël doit encore garantir la réciprocité pour les Américains d’origine palestinienne, contraints de se rendre dans les territoires occupés de Cisjordanie par la route, via la Jordanie.
Un haut responsable israélien, s’entretenant sous le sceau de l’anonymat avec des journalistes, dont Le Monde, a minimisé ces tensions. Mais il s’est aussi indigné du fait que Washington, comme Paris et Berlin, s’immisce dans les affaires intérieures du pays, assurant que l’administration n’avait jamais engagé avec Israël un dialogue sur le fond de la réforme.
Les interférences publiques américaines s’étaient intensifiées après le renvoi de Yoav Galant par Benyamin Nétanyahou dimanche. Ce fidèle, issu du Likoud, ancien général et commandant de la région sud, avait exprimé tout haut les craintes de l’état-major face à la réforme, alors que des réservistes menacent de refuser de servir si elle est votée. Dès lundi, le Conseil de sécurité nationale américain avait fait état d’une conversation « très très franche » entre MM. Biden et Nétanyahou une semaine plus tôt.
Selon la presse israélienne, M. Galant n’a pas reçu de lettre officielle de renvoi et n’a pas été remplacé. Ce flou institutionnel, couplé à la fronde des réservistes et aux tensions avec le grand allié américain, fragilise l’appareil sécuritaire, alors que le programme nucléaire iranien progresse et que les efforts diplomatiques occidentaux pour ranimer l’accord international de 2015 sont au point mort. Le haut responsable israélien rappelle que pour M. Nétanyahou, à la différence des membres de sa coalition, la menace iranienne l’emporte sur la réforme et ses conséquences intérieures.
Louis Imbert
Le Monde du 31 mars 2023
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