Cisjordanie - Les fermes, arme de colonisation

 

Le nombre de fermes de colons a explosé depuis 2017, aggravant le morcellement des terres palestiniennes. Un phénomène conforté par l’arrivée de l’extrême droite au nouveau gouvernement de Benyamin Nétanyahou

Ma’on, Massafer Yatta, Keidar, Rimonim, Auja (Cisjordanie) - envoyé spécial - Les enfants du hameau palestinien de Touba rentrent de l’école. En ce début du mois de mars, Issa Awad, le plus âgé d’entre eux, ferme la marche du haut de ses 14 ans. Ils sont escortés par des soldats israéliens jusqu’à des hangars à poulets, en bordure de la colonie de Ma’on, située à quelques kilomètres d’Hébron, à l’extrême sud de la Cisjordanie occupée. Voilà près de vingt ans que l’armée a pour ordre de protéger les écoliers des colons qui les harcèlent.

Issa hésite avant de descendre le vallon qui mène à la ferme de ses parents. En contrebas, deux bergers israéliens encapuchonnés, masqués et armés de bâtons, guident des moutons dans un champ d’orge jeune, qui appartient à sa famille. Les bêtes épuisent ce coin de verdure niché dans les collines arides de la région de Massafer Yatta : un paysage lunaire toute l’année, sauf durant ce mois resplendissant de printemps.

Depuis qu’une bergerie israélienne s’est installée non loin de chez eux, en 2020, Issa et les siens sont attaqués presque chaque jour par des bergers armés. Ils accaparent leurs pâturages, les privant de ressources. Issa affirme qu’à l’automne 2022, le propriétaire a tiré au pistolet entre ses jambes, à moins de un mètre de distance, alors qu’il gardait le troupeau. Sa famille se dit au bord de la faillite.

Les fermes de colons se multiplient partout en Cisjordanie. Depuis 2017, il en a poussé plus de cinquante, au mépris du droit international et du droit israélien, entraînantune expansion des colonies sans précédent. Ces fermes ont prospéré durant une période de faible pression internationale, sous l’administration américaine de Donald Trump (2017-2021). L’arrivée au pouvoir,en décembre 2022, du gouvernement de Benyamin Nétanyahou – le plus à droite qu’a connu Israël – représente une occasion historique aux yeux des promoteurs de la colonisation.

Entreprise planifiée

Cette vaste entreprise est planifiée, notamment par Amana, une coopérative de bâtiments et travaux publics qui finance les instances représentatives des colons et qui jouit d’excellents relais au sein de l’Etat. Amana choisit les implantations des fermes, les fournit en personnel, les aménage et les équipe. Le patron de la coopérative, Ze’ev « Zambish » Hever, s’est félicité, en février 2021, de son succès. Lors d’une rarissime conférence publique, cet homme secret, au passé terroriste (en juin 1980, il a tenté de placer une bombe sous la voiture du maire palestinien de Bethléem), raisonnait en ces termes : « Construire n’ajoute que peu de terres : en raison de mises en œuvre et de développements coûteux, nous [n’]avons obtenu [que] 100 kilomètres carrés en cinquante ans [de colonisation]. Grâce aux fermes pastorales, ces trois dernières années, nous avons atteint les régions les plus lointaines : aujourd’hui, leurs pâturages couvrent une surface près de deux fois plus grande que celle des communautés bâties. »

En mai 2022, ces bergeries occupaient plus 24 000 hectares, soit près de 7 % de la Cisjordanie, selon des relevés effectués par Kerem Navot, une organisation qui lutte contre la colonisation. « Ce projet est un accaparement de terres sous stéroïdes, à une échelle jamais vue auparavant , affirme Yehuda Shaul, l’un des fondateurs de l’ONG de gauche Breaking the Silence.  Il s’agit de prendre le contrôle de tous les espaces ouverts et d’encercler les Palestiniens dans leurs enclaves pour cimenter leur fragmentation géographique. »

Les fermes s’implantent dans le grenier à blé des territoires : des régions agricoles, reculées, où l’armée israélienne est seule maîtresse. « Les fermiers empêchent les Palestiniens d’accéder à ces zones, qu’Israël a déjà en partie accaparées de jure, en les déclarant terres d’Etat » , précise Yehuda Shaul. Originaires des colonies les plus radicales, ces hommes sont en partie responsablesd’une hausse ahurissante des actes violents commis par les colons, constatée ces dernières années par les Nations unies.

A Ma’on, le fermier Issachar Mann est un lecteur assidu de la revue National Geographic. Il est fier de son grand-père, « économiste à l’université américaine Stanford, mort à 80 ans sur son cheval ». Fier aussi de son père, Hillel, qui fonda, dans les années 1990, un immense vignoble en terrasses dans la colonie de Beit El, à 2 kilomètres au nord de Ramallah. Hillel et ses fils y produisent40 000 bouteilles par an d’un cabernet sauvage résistant etd’un bon carignan en récolte tardive.

Issachar a quitté Beit El, en 2002, pour s’établir à Ma’on, où il produit à son tour un vin puissant et équilibré. Il se fait vite haïr des écoliers de Touba, qu’il pourchasse sur le chemin de l’école. En 2014, il est suspecté d’avoir détruit un champ d’oliviers, au cours d’une nuit de beuverie. Dans la boue, les policiers israéliensont repéré des empreintes de semelles semblables aux siennes, qui les ont menés jusque chez lui. Il n’a pas été inquiété par la justice.

En août 2020, l’homme s’empare de 150 hectares de terrains dans la périphérie nord de la colonie et y construit une ferme. Ses relations avec les autres colons sont « délicates » , admet-il. Certains se méfient des jeunes militants que sa ferme attire, d’autant que son épouse, Yael, a longtemps travaillé auprès d’adolescents sortis de prison. Issachar Mann a bénéficié d’un prêt d’Amana et levé près de 225 000 euros de donations en ligne. Aujourd’hui, selon le relevé de Kerem Navot, il règne sur 450 hectares en compagnie de son vieil allié, Yehoshafat Tor, propriétaire des hangars à poulets de Ma’on.

« Depuis que Mann est arrivé, tout a changé. Il a détruit nos vies. Il a tout pris. Nous sommes assiégés depuis trois ans » , affirme le Palestinien Omar Mohamad Jindyeh, âgé de 56 ans. Berger comme la plupart des Bédouins de la région, il vit avec vingt enfants et petits-enfants dans une grotte, aménagée par son père en 1967. Six chiens enchaînés protègent leur abri et quelques bâtiments. En 2022, Issachar Mann a débarqué deux fois en pleine nuit, affirme M. Jindyeh : « Il prétendait que nous lui avions volé des moutons. »

Colon armé de M16

En juin 2022, le troupeau de M. Mann a été frappé d’une épidémie de clavelée, une variole ovine très contagieuse. Le ministère de l’agriculture israélien a publié des alertes vétérinaires et placé sa ferme en quarantaine. Deux Palestiniens et Guy Butavia, militant israélien au sein du mouvement de gauche Ta’ayush, affirment que le fermier a jeté des cadavres infectés dans le vallon qui sépare sa maison de Touba et dans une forêt des environs. Des dépouilles ont été photographiées, gisant en plein air. « Des chiens ou des oiseaux auraient pu propager la maladie » , s’indigne M. Jindyeh.

Issachar Mann circule en quad, armé d’un pistolet ou d’un fusil M16. L’aîné de ses sept enfants, conscrit dans l’armée, a ouvert le feu, en février, dans un hameau palestinien qui s’étend au fond du même vallon, Saadet Thala. L’incident a été filmé. « Pendant deux heures, [lui et son père] sont restés assisdevant chez nous, avec leurs armes. Ils voulaient nous impressionner parce que nos jeunes s’étaient approchés de leur ferme » , raconte Mohamad Hamad Al-Ayan. La police a refusé de se déplacer.

Privés de pâturages, les troupeaux des Al-Ayan dépérissent. Chaque homme de la famille s’est endetté de plus de 15 000 euros depuis 2020, selon M. Al-Ayan. A Touba, M. Jindyeh est contraint d’acheter du lait en poudre pour nourrir ses agneaux : « Les mères ne paissent plus assez. Elles ne donnent pas de lait. Elles tombent malades, et les médicaments coûtent cher. » Son fils cadet, Hamzeh, a abandonné ses études universitaires faute d’argent.

Il y a quelques décennies, ces Bédouins étaient encore nomades. Ala, la matriarche de la famille Hathaleen, se souvient des années où elle « suivait l’herbe » , selon les saisons. Elle marchait jusqu’à Jéricho, au nord, le long d’une ligne de crête qui traverse la Cisjordanie, avant de redescendre sur les rives de la mer Morte. « Nous avons arrêté. Nous avions peur de quitter nos terres et, maintenant, c’est comme si un colon était assis dans notre maison » , constate-t-elle.

Son hameau, Umm Al-Khair, est un cas unique en Cisjordanie. Un simple grillage le sépare de Carmel, une colonie fondée en 1981. Seules des poules le traversent. Du côté palestinien, le bâti précaire est frappé d’ordres de démolition de l’armée. De l’autre, de gros pavillons de banlieue à l’américaine sont bordés d’eucalyptus, sous lesquels un jeune couple d’Israéliens promène son bébé. En mai 2022, Ala a perdu son mari, Hajj Souleiman, un activiste palestinien, iconique dans la région. Il protestait contre la saisie par la police israélienne de voitures palestiniennes non immatriculées, sur le parking du village. Le conducteur de la dépanneuse qui accompagnait les policiers l’a écrasé, en le traînant sur plusieurs mètres sous son véhicule.

Les Hathaleen n’ont plus accès à leurs pâturages au sud de Carmel, carIssachar Mann leur interdit le passage. Au nord, un autre colon, Shimon Atiya, a monté une bergerie en décembre 2022, achevant de prendre en tenaille le hameau palestinien. Les moutons ne sortent plus, « sauf pour faire du sport dans la cour » , ironise Aïd, l’aîné des Hathaleen. La famille a été chassée de terrainssur lesquels la municipalité de Carmel planifie de s’étendre, selon des données cartographiées par l’ONG israélienne Bimkom.

Ces fermiers contribuent à un vieux projet de l’Etat et des colons : fortifier une ligne d’implantations au sud d’Hébron, qui isole la ville palestinienne de Yatta dans une enclave de plus en plus réduite, et maintient la vallée du Jourdain dépeuplée. Trois fermes ont solidifié cette ligne, dès les années 1990 et 2000. Leur nombre a explosé depuis 2017. L’ONG Ta’ayush en a décompté dix-sept dans la région. Souvent, elles jouxtent des zones d’exercice militaire ou des réserves naturelles, où l’armée peut chasser aisément les Bédouins.

En mai 2022, les bergers de Ma’on et de Carmel ont reçu de l’Etat un soutien qu’ils attendaient depuis longtemps. Après vingt ans de procédures, la Cour suprême israélienne a validé le déplacement forcé de centaines de Bédouins des collinesde Massafer Yatta. L’armée peut donc expulser les Palestiniens d’une vaste zone de tir militaire, qui avait été créée dès 1981. Le général Ariel Sharon estimait, à l’époque, que cette zone permettrait de contenir « l’expansion de villageois arabes des flancs de montagne vers le désert [du Néguev] ».

Dans sa décision, le juge David Mintz, qui réside lui-même dans une colonie, fait primer un ordre militaire sur le droit international, selon lequel le déplacement forcé de population est un crime contre l’humanité. Depuis, l’armée détruit lentement le bâti et bloque les routes. « Les soldats arrêtent et emprisonnent quiconque entre dans la zone de tir », déplore Tariq Hathaleen, 28 ans. Ce petit-fils d’Ala, instituteur, a le plus grand mal à faire l’école dans les hameaux de Massafer Yatta.

Maillon faible

D’autres fermes ont surgi le long de la route Allon, qui relie Jérusalem au nord de la vallée du Jourdain. Ce vaste espace, montagneux et peu habité, constitue un maillon faible au sein des chaînes de colonies. Les terrains pastoraux y sont souvent attribués par l’Organisation sioniste mondiale (OSM), fondée par Théodore Herzel en 1897 et qui donna naissance à l’Etat israélien un demi-siècle plus tard. Une loi de 2015 permet à l’OSM de ne pas divulguer ces contrats. Une petite moitié de ces pâturages est classée comme terre d’Etat et déclarée vacante par Israël – ce qui doit faciliter, à terme, la légalisation des fermes.

Des ministres issus de l’extrême droite religieuse s’y emploient déjà. Jamais ces derniers n’avaient joui d’une telle influence au sein d’un gouvernement israélien. En février, pour la première fois depuis 2012, Benyamin Nétanyahou a légalisé huit colonies, ainsi qu’une ferme bâtie sur les terres où s’installaient jadis les Bédouins de Massafer Yatta. Erigée autour d’un puits par Ariel et Iska Greenglick, en 2021, la bâtisse semble perdue au bout du monde. Ses occupants ne sont pourtant qu’à quinze minutes en voiture de l’immense centre commercial de Maalé Adoumim, dont les immeubles en terrasses surplombent Jérusalem et la vallée du Jourdain. Ce matin de mars, Iska Greenglick, son bébé de 1 mois dans les bras, va cueillir des soucis qu’elle vend comme herbes médicinales ou transformés en savons.

La bergerie, isolée et illégale, a accueilli plus de deux cents célébrations de mariage, à l’époque des confinements décrétés lors de l’épidémie de Covid-19. Au sommet de la colline, le couple vient d’ouvrir un café, aux banquettes recouvertes de tissus palestiniens. Un garçon de ferme y prépare des knafeh, une pâtisserie arabe. David Sandler, ancien parachutiste au fort accent sud-africain, étudie la kabbale la nuit et rêve de « se choper une belle petite grotte, comme les Bédouins » . Liora Feldbloom, de retour d’un voyage en Inde, trace des mandalas sur des ardoises. Deux jeunes appelées, qui effectuent ici leur service national civil, vaquent à l’étable.

La clé de ce « paradis », Ariel Greenglick l’a reçue du patron d’Amana en personne, « “Zambish”, un gars à l’esprit vif et pratique. C’est toujours lui qui a le dernier mot ». Pour développer ses activités, il a signé un emprunt de 1 million de shekels (plus de 257 000 euros) au siège d’Amana, à Jérusalem-Est, ainsi qu’un bail avec le « propriétaire » de ce terrain de417 hectares, Gad Gavriel. Ce dernier, développeur immobilier, compte y bâtir une ville. « On nous a demandé de garder le terrain en attendant » , résume Iska.

« Ces terres nous appartiennent, c’est nous qui avons creusé ce puits » , proteste Eissa Jaffar, maire de la commune palestinienne de Sawahera Al-Charqiya, qui a porté l’affaire devant la justice. Sa ville, adossée au mur construit par Israël lors de la seconde intifada (2000-2005), est devenue un goulot d’étranglement depuis qu’elle est coupée de Jérusalem. Elle est traversée par la route la plus embouteillée des territoires – la seule réservée aux Palestiniens entre Bethléem et Ramallah.

La ferme d’Ariel Greenglick l’écrase un peu plus contre le mur. Une route de terre y a été créée par Amana et le sommet de la colline arasé. Ces travaux financés par l’Etat, précise M. Greenglick, s’inscrivent dans le projet d’aménagement d’une rivière, polluée en amont par les eaux usées et les décharges de Sawahera. Amana ne confirme rien : la coopérative ne communique pas avec la presse.

Chaque jour, Ariel Greenglick échange avec les fermiers israéliens dispersés en Cisjordanie : « Tous des gars durs, mes amis. Ils viennent pour la plupart d’Hébron. » Son épouse, Iska, est elle aussi née dans ce berceau du mouvement colon ultraradical. Fille de rabbin, elle a grandi au cœur de la vieille ville arabe, un étage au-dessus de l’appartement occupé par Orit Strock, aujourd’hui ministre des missions nationales, c’est-à-dire des affaires des colonies. Dans son enfance, Iska a fréquenté Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif nommé ministre de la sécurité nationale en décembre 2022, et partisan d’une guerre contre les Palestiniens. Elle a voté pour lui aux législatives de 2022 ; son mari aussi.

« Je ne retournerai pas vivre à Hébron, assure-t-elle. Là-bas, il n’y a pas d’espace, pas de ciel. » C’est à Safed, la « capitale de la kabbale », en Galilée, qu’elle a rencontré Ariel, lui aussi fils de rabbin. A12 ans, il avait rejoint les colonies de Gaza. Il voulait résister à leur évacuation, décrétée par Ariel Sharon en 2005. « Après je n’ai plus aimé ce pays, confie-t-il. Je me suis fait virer de toutes les yeshivas [écoles religieuses]. J’ai voyagé, pris de la drogue et rejoint les “jeunes des collines”. Nous montions un avant-poste un jour ; le lendemain, l’armée nous évacuait. Ça n’était pas sérieux. » Il s’est ensuite installé près d’Auja, au nord de Jéricho, dans une ferme implantée dès les années 1990, par un pionnier, Omer Atidia. Il s’y est marié avec Iska, a servi dans la brigade d’élite Golani. Puis le couple a intégré une communauté agricole, dans le Néguev israélien.

« Zambish » et Amana ont équipé sa nouvelle bergerie dehuit caméras de surveillance capables d’identifier un visage ou une plaque d’immatriculation.Ils lui ont aussi donné des détecteurs de mouvement, qu’il a disséminés autour de son terrain et qui luienvoient des alertes et des photographies sur son téléphone portable – surtout le vendredi, jour de pique-nique dans les collines pour les Palestiniens. Une de ces images montre des hommes s’affairant à la construction de ce qui ressemble à un abri à moutons. La mairie de Sawahera tente régulièrement de planter des arbres et d’apporter de l’eau aux Bédouins. « C’est avant tout pour les observer que nous sommes ici » , reconnaît Iska.

Ariel Greenglick transmet les images à un administrateur du centre colonial de Goush Etzion, au sud, et à l’association procolonies Regavim. Eux les communiquent au commandant local de l’armée israélienne, qui se charge de détruire ces constructions, notammentquand elles sont dans une zone déclarée terre d’Etat. « Quand nous nous sommes installés ici, les soldats ne savaient pas comment venir, se souvient M. Greenglick. Sans nos signalements, ils ne se déplaceraient même pas. » Le patron d’Amana l’avait annoncé, en février 2021 : « En fin de compte, le commandant de brigade sera évalué [par sa hiérarchie sur] la préservation des terres dans son secteur. (…) Il doit se comporter comme s’il s’agissait d’une guerre. »

Cette « guerre » nécessite aussi des petites mains, souvent de jeunes Israéliens en délicatesseavec la police. Meir Cohen, 22 ans, se prépare à en accueillir à la ferme des Greenglick : il souhaite monter un centre d’accueil dans la maison qu’il construit au bout de leur terrain. Né dans une famille juive ultraorthodoxe, il s’est retrouvé à la rueà l’âge de 14 ans. Il veut aider d’autres à en sortir. « Les jeunes à problèmes, ce sont ceux qui restent sagement assis devant leur téléphone , tranche Ariel Greenglick . Ceux qui prennent de la meth pourront plus tard accomplir de grandes choses. » Meir Cohen recrute des adolescents dans les raves sauvages, organisées les vendredisà travers le pays. La plupart des fermes de colons accueillentces brebis égarées : ils aident aux travaux, montent la garde et font le coup de poing contre les Palestiniens.

« Le Messie viendra bientôt »

La « guerre » évoquée par « Zambish », M. Greenglick redoute et désire à la fois qu’elle prenne une ampleur considérable. « Si tu n’as pas la foi, le projet [des colonies] est intenable, dit-il. On ne peut pas maintenir les Arabes apeurés et à distance pour toujours. Mais le Messie viendra bientôt. II le doit, c’est urgent. » Le nouveau gouvernement, qui sème la discorde au sein même d’Israël, l’enthousiasme : « Nous vivons un temps de grands changements, et d’espoir. Personne ne contrôle rien, c’est dangereux, mais il faut tout secouer et ce qui doit s’écrouler s’écroulera. »

Depuis la fin février, le ministre des finances, Bezalel Smotrich, fondamentaliste religieux et raciste, dirige l’« administration civile » des territoires au sein du ministère de la défense. Le 1er mars, il a appelé à « raser » la ville palestinienne d’Huwara, où des colons venaient de mener une expédition spectaculaire, pour venger l’assassinat de deux d’entre eux.

M. Smotrich a l’art de raviver chez les Palestiniens le souvenir de la Nakba, la « catastrophe » : le déplacement forcé de 700 000 d’entre eux lors de la création de l’Etat d’Israël, en 1948. Aux yeux du ministre, la guerre de 1948-1949 est inachevée. Ses provocations attisent les flammes d’une Intifada larvée, qui agite la Cisjordanie depuis des mois.

Non loin de la ferme d’Ariel Greenglick, en lisière du bourg touristique de Jéricho, un nouveau groupe armé palestinien a ouvert le feu dans un restaurant dans la colonie d’Almog, sans faire de victimes, le 28 janvier, et tué un automobiliste un mois plus tard. Qu’une véritable insurrection éclate, et la ferme serait très exposée. « Les Arabes ont peur de nous. Ils attaqueront ceux qui ne savent pas se défendre eux-mêmes », se rassure M. Greenglick. Lui prendrait alors son tracteur pour défoncer le chemin de terre qui serpente vers la ville palestinienne de Sawahera : « Plus personne ne pourra en sortir. »

Louis Imbert
Le Monde du 20 mars 2023

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire