En Tunisie, un quotidien de pénuries et d'inflation

 

Pris dans la spirale de la dette, l'État tunisien n'a plus les moyens de financer ni ses importations ni le soutien aux producteurs, tandis que la population lutte pour assurer son quotidien entre pénuries et inflation.
Depuis le début de l'été, le quotidien des Tunisiens est scandé par des pénuries à répétition. Tour à tour, le café, le sucre, l'eau, les cigarettes, l'huile, la farine, les pâtes, le riz, le lait sont introuvables. Un supplice chinois qui met les nerfs à rude épreuve.
Le grand absent du moment, c'est le lait, base du petit-déjeuner des enfants et de l'incontournable « direct », le café au lait tunisien. Depuis un mois, les stocks sont vides. « Les jours de livraison, lundis et vendredis, je fais le tour des épiciers que je connais et qui acceptent de me vendre deux litres, quelques packs de six sont vendus presque aussitôt arrivés », soupire Meryem, mère de deux enfants.

Aux pénuries s'ajoute une inflation vertigineuse
Le sucre blanc n'est plus vendu qu'en supermarché, à raison d'un kilo par personne. Le café a disparu des rayons. « Les cafetiers sont livrés en priorité par les centrales d'achat, et encore, à condition qu'ils prennent en même temps des grandes bouteilles d'eau ou des jus dont ils n'ont pas besoin », explique encore Meryem dont la belle-famille tient un café. Il est toujours possible de trouver du sucre roux ou de l'arabica de qualité supérieure, à condition d'y mettre trois ou quatre fois le prix.
Car aux pénuries s'ajoute une inflation vertigineuse. La viande de boeuf, vendue aux alentours de 20 dinars (6 €) le kilo il y a deux ans, s'affiche à 35 dinars (10,42 €). Le mouton frise les 40 dinars (11,98 €). Un luxe inabordable pour la majorité des Tunisiens. « Je n'achète plus qu'un peu de viande hachée de temps en temps », confie Sabiha, une femme au foyer. « La consommation mensuelle moyenne a chuté à 900 grammes par personne », selon Ahmed Lâamri, président de la Chambre nationale des bouchers. « Nous alertons les pouvoirs publics depuis 2015, poursuit-il. Avec l'augmentation du prix du fourrage, des ingrédients importés pour la nourriture animale, la rareté de l'eau due à la sécheresse, la production diminue et les prix flambent. »

L'angoisse monte à deux mois du Ramadan
Où que se porte le regard, on ne voit que crise. Près de 300 médicaments manquent en pharmacie et dans les hôpitaux. Les fournisseurs rechignent à livrer la pharmacie centrale, trop endettée.
Le président de la Chambre syndicale des boulangers, Sadok Haboubi, annonce quant à lui l'arrêt d'activité des boulangeries réglementées (prix fixés par l'État) à compter du 1er février, dans au moins 10 des 24 gouvernorats du pays. « L'État ne nous a pas versé les subventions sur la farine depuis quatorze mois. Nous ne serons bientôt plus en mesure d'acheter la farine. »
À deux mois du début du Ramadan, période de forte consommation alimentaire, l'angoisse monte. Pendant ce temps, le chef de l'État Kaïs Saïed s'enferre dans le déni et met régulièrement en cause « les spéculateurs qui cherchent à envenimer la situation ».

« La crise est structurelle »
« La crise est pourtant structurelle, affirme Houssem Saad, cofondateur de l'Association de lutte contre l'économie de rente en Tunisie (Alert). Les pénuries concernent les productions locales dont le prix est fixé par l'État et les produits importés subventionnés. » Le lait est dans le premier cas de figure. Le prix payé aux éleveurs est fixé à 1,14 dinar (0,34 €) depuis des années. Avec l'augmentation du prix de l'alimentation animale, ils vendent à perte désormais et préfèrent abattre leurs bêtes. Résultat, la production de lait a diminué de 35 % et il manque 500 000 litres par jour.
Dans le cas des produits subventionnés, dont l'État a le monopole d'importation (blé, café, sucre...), « quelques entreprises bénéficient de la majorité des quotas et s'enrichissent grâce aux subventions, tout en payant peu d'impôts. Au bout du compte, l'État s'endette et n'a plus assez de devises pour importer », résume Houssem Saad. Le double choc du Covid et de la guerre en Ukraine est ainsi venu percuter un modèle à bout de souffle qu'aucun gouvernement n'est parvenu à réformer. Dans cette ambiance, le deuxième tour des législatives prévu dimanche 29 janvier ne suscite qu'un haussement d'épaules désabusé.

Thierry Brésillon
La Croix du 25 janvier 2023

L'arlésienne du prêt du FMI
25 juillet 2021 : Le coup de force du président Kaïs Saïed entraîne la suspension des discussions avec le Fonds monétaire international pour un prêt envisagé de 3,7 milliards d'euros, le FMI exigeant en échange des réformes profondes.
14 décembre 2022 : Après reprise des négociations pour un prêt de 1,75 milliard d'euros, le FMI ajourne sine die l'examen du dossier en raison d'un contexte politique défavorable : dégradation de la démocratie, dissensions entre président, gouvernement et banque centrale, etc.
24 janvier 2023 : La présidence dément que Kaïs Saïed, qui s'oppose aux réformes réclamées, ait signé un document en rapport avec les négociations.

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