Tunis, le 25 janvier 2023, panneau d'affichage électoral en vue du second tour des législatives tunisiennes du dimanche 29 janvier. © Fethi Belaid, AFP |
Près de 8 millions de Tunisiens sont invités à voter dimanche 29 janvier pour élire un nouveau Parlement aux pouvoirs limités par le président Kaïs Saïed, sur fond de désaffection pour la politique et de difficultés économiques croissantes.
Un total de 262 candidats (pour 131 des 161 sièges) se présentent au deuxième tour des législatives, l'une des dernières étapes de l'instauration d'un système ultra-présidentialiste, objectif de Kaïs Saïed depuis son coup de force de l'été 2021.
Le 25 juillet 2021, jugeant le pays ingouvernable, le président limogeait son Premier ministre et gelait l'Assemblée parlementaire, dissoute au printemps 2022 avant une réforme de la Constitution l'été passé qui restreint grandement les prérogatives du Parlement.
Celui-ci, formé de l'Assemblée des députés, élus dimanche, et d'un Conseil national des régions (encore à établir), "n'accorde pas la confiance au gouvernement et ne peut pas le censurer, sauf à la majorité des deux tiers des deux chambres", rappelle à l'AFP le juriste et politologue Hamadi Redissi. En outre, le président ne peut pas être destitué même pour faute grave.
"Vu le désintérêt de la population [pour la politique], ce Parlement aura peu de légitimité, le président, tout puissant grâce à la Constitution de 2022, pourra le dominer à sa guise", estime Youssef Cherif, expert du Columbia Global Centers.
Au premier tour, le 17 décembre 2022, seuls 11,22 % des électeurs s'étaient déplacés, la plus forte abstention depuis la Révolution de 2011 qui fit chuter le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali et marqua l'avènement de la démocratie. Les experts prévoient une participation de nouveau faible.
"Le pays est au bord de l'effondrement"
Comme au premier tour, l'opposition, marginalisée par un mode de scrutin interdisant aux candidats d'afficher une affiliation politique, a appelé à boycotter le vote, au nom aussi de son rejet du "coup d'État" de Kaïs Saïed.
La campagne apparaît fade, avec peu de panneaux électoraux et des candidats majoritairement inconnus.
Pour mobiliser l'opinion, surtout la jeunesse qui avait massivement voté en 2019 pour Kaïs Saïed, alors novice en politique, l'autorité électorale a organisé des débats télévisés aux heures de grande écoute.
Mais dans la rue, l'attention est ailleurs. La population a vu son pouvoir d'achat plonger avec une inflation supérieure à 10 %, et subit des pénuries sporadiques de produits comme le lait, l'huile ou la semoule. "Le pays est au bord de l'effondrement", estime Hamadi Redissi, inquiet des pénuries que "le président impute pathétiquement aux 'spéculateurs', 'traîtres', 'saboteurs'".
"Mécontentement général"
Malgré un "mécontentement général" alimenté par des grèves des transports ou de l'enseignement, les manifestations ne mobilisent pas les foules et "il se peut que le statu quo continue, tant que le Tunisien lambda ne verra pas d'alternative crédible au président Saïed", estime Youssef Cherif.
L'opposition, qui a appelé le président à démissionner après le camouflet du premier tour, reste divisée en trois blocs inconciliables : le Front de salut national coalisé autour du parti d'inspiration islamiste Ennahda – bête noire de Kaïs Saïed –, le PDL d'Abir Moussi qui revendique l'héritage de Ben Ali et les partis de gauche.
Autre impasse : les négociations cruciales du pays, très endetté, avec le FMI pour un prêt de quasi 2 milliards de dollars piétinent depuis des mois.
Divers facteurs semblent freiner un accord : d'abord il y a, selon Youssef Cherif, "le rôle des États-Unis", poids lourd du FMI, inquiets d'une dérive autocratique en Tunisie, "étoile déchue" alors qu'elle était "un modèle de démocratie". Et le président Saïed "semble hésiter à accepter les diktats du FMI" pour des réformes douloureuses comme la levée des subventions sur les produits de base, décrypte Youssef Cherif.
Il y a "un décalage flagrant entre les déclarations souverainistes intempestives du président contre les organisations internationales, et le programme proposé au FMI par le gouvernement", abonde Hamadi Redissi. Lueur d'espoir pour cet expert : une "initiative pour sauver le pays" lancée par la puissante centrale syndicale UGTT avec la Ligue des droits de l'homme, l'Ordre des avocats et l'ONG socio-économique FTDES.
Lors de la première réunion de ce nouveau "Quartette" de dialogue national, le chef de l'UGTT Noureddine Taboubi a promis vendredi "un plan cohérent, rationnel et indépendant" pour tenter de résoudre les problèmes "économiques, sociaux et politiques".
Avec AFP du 27 janvier 2023
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