| Théo Serfaty, notre collègue de la Fête de l’Humanité s’est immergé dans les archives de son grand-père décédé en 2010.© Felice Rosa / Hans Lucas |
On peut avoir un grand-père surnommé le « Mandela marocain » sans prendre immédiatement la mesure du symbole. « À mes yeux, il était surtout quelqu’un de chaleureux qui me faisait sauter sur ses genoux. Je savais qu’il avait fait de la prison, mais je ne savais pas trop pourquoi », raconte Théo Serfaty.
Ce grand-père, Abraham Serfaty, communiste, juif marocain, antisioniste, adversaire résolu du roi Hassan II, a passé dix-sept ans en prison, avant d’être libéré grâce à la mobilisation internationale, en 1991. « Je suis né juste avant son expulsion en France. Quand on est enfant, on trouve tout normal. Je pensais que c’était son métier de faire des conférences. Je voyais qu’il était souvent nommé citoyen d’honneur de villes communistes, mais pour moi ça n’avait rien de surprenant », poursuit Théo.
Et c’est dans cette même apparence de normalité que Théo voit ensuite son grand-père être autorisé à rentrer au Maroc, Mohammed VI dépêchant un avion pour le rapatrier. « Sur place, il y a des attroupements autour de nous, je vois des gens essayer de lui baiser la main. Le roi lui offre une magnifique villa face à la mer où on passe des vacances inoubliables, avant que mon grand-père décide de refuser la villa et de la rendre. »
Des engagements politiques qui ont pesé sur la famille Serfaty
Rien de plus banal… Abraham meurt en 2010, à 84 ans. Théo en a 19. Le parcours de son grand-père est salué : son combat pour l’indépendance du Maroc, qui lui vaut d’être emprisonné par la France dès 1950.
Puis sa participation au nouvel État marocain, après l’indépendance, en tant que directeur de cabinet du ministre de l’Économie et directeur général des mines. Abraham Serfaty aurait pu rester membre de la caste dirigeante toute sa vie.
« Sauf qu’il était communiste. Il voulait la justice sociale et la propriété collective des richesses. Il s’est opposé frontalement à la trahison des dirigeants africains contre leurs peuples. Il était persuadé que les pays du Sud sortant de la colonisation avaient tous les moyens pour retrouver leur pleine souveraineté », résume Théo.
Abraham Serfaty soutient la grève des mineurs de Khouribga, est révoqué de ses fonctions, fonde le mouvement marxiste-léniniste Ila Al Amane, avant de plonger dans la clandestinité. Ses frères sont persécutés, sa sœur torturée à mort. « Cela fait partie du lourd poids que ses engagements ont fait peser sur la famille », murmure Théo. Abraham est lui-même arrêté, torturé, condamné à la réclusion à perpétuité.
« Je me politise par la fête »
Mais en 2010, Théo n’a pas encore tout ça à l’esprit. « Je pense à faire la fête. Et je me politise par la fête. » En 2014, il fonde une association avec des copains qui trouvent que les fêtes sont « nulles, commerciales, pas chaleureuses, trop chères ». Ils organisent alors de grandes soirées de plus en plus politiques et investissent des tiers-lieux. Arrive le combat contre la loi El Khomri et Théo devient membre de la commission musique de Nuit debout.
Il travaille pour le festival L’Boulevard à Casablanca, écrit un mémoire sur les festivals et la politique, ce qui l’amène en 2017 à atterrir à… la Fête de l’Humanité ! « Je suis tombé amoureux de cette Fête, de ses gens, ses militants, son rôle, son histoire, ses combats… » avoue l’actuel responsable de l’accueil et de la programmation de la Fête.
Un rendez-vous populaire où son grand-père avait été accueilli sous les applaudissements, en 1991. « Je n’ai pas pris le même chemin que lui, mais je suis arrivé au même endroit », sourit Théo, désormais mû par un devoir de mémoire. « Peu à peu, j’ai senti un poids sur mes épaules. Je voyais les amis de mon grand-père mourir les uns après les autres. Je me suis mis à organiser une bibliographie, à numériser ses archives… »
La réédition d’« Écrits sur la Palestine » comme évidence
Survient alors le 7 octobre 2023, avec les attaques terroristes du Hamas contre Israël qui ont fait 1 200 morts, et la réplique génocidaire israélienne, avec des bombardements pendant plus de deux ans sur Gaza et au moins 70 000 morts.
Rééditer Écrits sur la Palestine d’Abraham Serfaty devient pour Théo une évidence. « Il était à la fois juif, arabe, athée, communiste, antisioniste, anticolonialiste, antiraciste et adversaire de l’antisémitisme. Il voyait venir la dérive suprémaciste des dirigeants israéliens. Il estimait que le Hamas était le pire ennemi de la Palestine. Il défendait la paix, à long terme avec un seul État, et à court terme avec deux États selon les accords d’Oslo. »
Le livre vient de paraître aux éditions Syllepse. Théo a encore d’autres écrits à publier. Et, qui sait, d’autres ancêtres sur lesquels enquêter. « Je suis hispano-marocain par mon père, et franco-russe par ma mère. Son nom de famille est Rimski-Korsakov. Cette branche de la famille est liée au célèbre compositeur. Ils ont fui la Révolution russe. » Mais, chez Théo Serfaty, le Marocain rouge semble bien avoir pris l’avantage sur le Russe blanc.
Aurélien Soucheyre
L'Humanité du 1er décembre 25
Écrits sur la Palestine. Éditions Syllepse 256 pages. 19 €.
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