Sur les campus français, la mobilisation s'organise contre les partenariats avec les universités israéliennes impliquées dans le génocide à Gaza

 

Un étudiant en uniforme de l'armée israélienne circule dans les couloirs du campus du Mont Scopus de l'Université hébraïque de Jérusalem, le 22 mai 2024.© Virginie Nguyen Hoang/HL/Collectif HUMA
Au nom du respect du droit international, plusieurs associations d’étudiants et de défense des droits humains réclament la résiliation des partenariats liant des établissements français d’enseignement supérieur à leurs homologues israéliens, piliers de la politique génocidaire en cours.
Résilier, au nom du droit international, les partenariats passés avec les universités israéliennes : cette mise en demeure émanant de plusieurs associations vise ce matin huit des plus prestigieuses universités françaises. Outre Paris-1, Sorbonne Université, ENS PSL, Sciences-Po Paris, Aix-Marseille Université, ENS Lyon, UGA Grenoble et l’université de Strasbourg, le courrier s’adresse aussi à deux ministères, celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et celui des Affaires étrangères.
Une démarche inédite. « On a fait des occupations, voté des motions, présenté des demandes dans le cadre d’assemblées générales. Mais, jusqu’à présent, jamais nous n’avions saisi la justice », indique Thomas, de l’association Nidal, qui figure parmi les requérants au côté de Solidaires Étudiant.e.s, Syndicats de luttes Paris-1, Syndicat alternatif Paris-1 ainsi que Sud éducation Paris.
Faute de réponse satisfaisante dans les deux mois, leurs avocats saisiront le juge administratif. À charge, pour lui, de déterminer si les contrats liant les universités françaises à leurs homologues israéliennes constituent, ou non, une forme de « complicité » avec des crimes définis par le droit international (génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, occupation illicite, apartheid). Et d’en ordonner, le cas échéant, la suspension puis la résiliation.

Des universités “au service du régime d’apartheid israélien”
À l’appui de leur demande, un rapport – en cours de finalisation – du collectif Stop academic complicity. « Cela fait un an et demi qu’on y travaille », indique Marie, étudiante à Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Exemples à l’appui, le document illustre l’implication historique des universités israéliennes dans la politique militaire de leur pays, implication qui perdure depuis le 7 octobre 2023.
En dépit de l’ordonnance du 26 janvier de la Cour internationale de Justice (CIJ) évoquant « un risque plausible de génocide » et enjoignant aux États de tout mettre en œuvre pour le faire cesser. En dépit des condamnations pour « crimes de guerre » de Benyamin Netanyahou et de son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant par la Cour pénale internationale (CPI). En dépit d’une succession de rapports de l’ONU dénonçant, preuves à l’appui, le génocide toujours en cours à Gaza.
Gestion des étudiants, programmes de recherche, élaboration de doctrine, liens avec les services de renseignement ou la police, localisation de certains établissements en territoire palestinien occupé : « Les universités israéliennes sont institutionnellement au service du régime d’apartheid israélien », estime la chercheuse israélienne Maya Wind (1).
« Le monde universitaire, c’est le cerveau d’un État, résume Me Justine Banuls, une des avocates des associations. Dès la création d’Israël, il s’est mis au service de la colonisation. Et depuis octobre 2023, il soutient sa logique génocidaire. »
En Israël, toutes les universités chouchoutent leurs étudiants réservistes. Ces derniers se voient offrir « des logements, des bourses, des crédits », énumère Maya Wind. À l’université de Tel-Aviv, qui a mis en place un programme militaire en 2023, les enseignants doivent s’abstenir de « tout commentaire pouvant offenser les soldats » et les élèves officiers ont le droit d’être armés sur le campus. À travers sa société de capital-risque TAU Ventures, l’université cultive les liens, y compris financiers, avec des entreprises d’armement comme Xtend, Rafael ou Elbit Systems.

Le silence de France Universités
À l’université hébraïque de Jérusalem, le campus du mont Scopus se trouve sur un territoire illégalement annexé. L’université Reichman, seule université privée d’Israël, soutient activement l’industrie militaire et diffuse, à travers une multitude de relais, la propagande de l’armée.
Dans son rapport annuel de 2024, le président de l’université Ben-Gourion du Néguev vante notamment un partenariat avec la division d’élite du renseignement des forces de défense israéliennes, l’Unité 8200, connue notamment pour le programme Lavender – un système d’IA destiné à identifier les cibles humaines des bombardements à Gaza.
Pilier du complexe militaro-industriel israélien, l’institut Technion, basé à Haïfa, développe quant à lui des technologies de pointe accompagnées de formations destinées aux soldats. Université de Haïfa, institut Weizmann, université Bar-Ilan… en Israël, chaque établissement entretient, à sa manière, une relation étroite avec l’armée. « Les universités israéliennes offrent des services cruciaux à l’armée, à la Sécurité et à l’industrie militaire », résume Maya Wind.
Belgique, Brésil, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas… courant 2024, des centaines d’universités ont choisi de rompre avec leurs homologues israéliennes. Pas en France. « Tous les jours, sur nos téléphones, on voyait les massacres commis par l’armée israélienne, témoigne Yasmine, qui, comme la plupart des étudiants interrogés, préfère garder l’anonymat. On savait dans quelle complicité on était. »
Paris-1 Panthéon-Sorbonne, où elle étudie, est partenaire de l’université de Tel-Aviv et de l’université hébraïque de Jérusalem. Sous la pression du comité Palestine, la direction accepte en mai 2024 de rencontrer les élèves. « On leur a fourni un dossier détaillé sur les liens de nos partenaires avec l’armée israélienne. Ils nous ont dit qu’ils avaient appris des choses. Mais rien n’a bougé. »
Même indifférence du côté de Sciences-Po Paris – partenaire de l’université de Tel-Aviv, de l’université Ben-Gourion, de l’université hébraïque de Jérusalem et de l’institut Reichmann –, dont la direction n’a pas répondu aux sollicitations de l’Humanité.
« On leur parlait du génocide en cours, de la nécessité de respecter le droit international, se souvient Émilie, étudiante à Sciences-Po. Ils nous répondaient que c’était une question de liberté académique. C’était une façon de déplacer complètement le sujet. »
En mars 2022, deux mois après l’invasion de l’Ukraine, France Universités avait invité tous les établissements français « à suspendre jusqu’à nouvel ordre toute forme de coopération institutionnelle avec les universités russes ». Rien de tel, en dépit du génocide, concernant les établissements israéliens. Fin août 2025, l’association des dirigeants de l’enseignement supérieur a toutefois demandé au gouvernement de reprendre l’accueil des étudiants gazaouis.

Elisabeth Fleury
L'Humanité du 30 novembre 2025

(1) Autrice de Towers of Ivory and Steel : how Israeli Universities Deny Palestinian Freedom.

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