Plan Trump pour Gaza : « Le Conseil de sécurité de l’ONU a institutionnalisé un protectorat illégal sur Gaza »

 

Dans une tribune au « Monde », l’avocat Alfonso Dorado et le président de l’association Juristes pour le respect du droit international, Patrick Zahnd, analysent la dimension juridique de la résolution 2803 du Conseil de sécurité des Nations unies, par laquelle le territoire gazaoui est placé sous la tutelle d’un « comité de la paix », et s’inquiètent d’un « recul majeur pour le droit international et la crédibilité même de l’ONU ».

Présentée comme « historique », la résolution 2803 adoptée le 17 novembre par le Conseil de sécurité des Nations unies l’est surtout par l’ampleur du précédent qu’elle crée : jamais l’ONU n’avait validé la mise sous tutelle d’un territoire occupé au profit d’un plan négocié exclusivement entre les Etats-Unis et Israël, puis consacré comme norme internationale.
Sous le couvert de la paix, le Conseil de sécurité entérine un dispositif contraire aux principes du droit international, du droit international humanitaire et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le texte se « félicite » d’un « plan d’ensemble » rédigé hors de tout cadre multilatéral, ignoré pendant deux ans puis réapparu sous la forme d’une annexe inspirée d’accords bilatéraux conclus à Washington et Jérusalem. Aucun acteur palestinien – ni le Hamas, ni l’Autorité palestinienne, ni la société civile – n’a participé à son élaboration. Comme l’a rappelé la professeure de droit public Monique Chemillier-Gendreau, autrice de Rendre impossible un Etat palestinien (Textuel, 160 pages, 17,90 euros), aucun processus de paix ne peut être légitime s’il est défini par une seule partie au conflit et son allié stratégique. Ici, tout contredit l’idée même de négociation.
Certes, la présidence palestinienne a salué la résolution après son adoption, dans l’espoir d’un cessez-le-feu immédiat et d’un accès humanitaire. Mais un tel appui tardif, exprimé dans un contexte de contrainte extrême, ne vaut ni participation ni consentement libre aux mécanismes institutionnels imposés. Le droit international distingue clairement l’acceptation politique d’un arrêt des hostilités du consentement valide à un régime quasi tutélaire. L’endossement ultérieur ne saurait donc régulariser un plan conçu en dehors de tout cadre onusien.
L’élément le plus préoccupant est pourtant ailleurs : la création d’un « conseil de paix », doté d’une personnalité juridique internationale, chargé de gouverner Gaza jusqu’à la réalisation d’un programme de réformes imposé à l’Autorité palestinienne. Cette structure n’est pas une mission de l’ONU, n’est pas placée sous l’autorité du secrétaire général et serait dirigée par Donald Trump, entouré d’anciens dirigeants et de personnalités privées.

Coalition ad hoc
C’est la première fois que le Conseil de sécurité délègue des prérogatives quasi gouvernementales à une entité externe financée par des contributions volontaires, habilitée à administrer un territoire et à exercer des fonctions régaliennes. Un tel schéma ne correspond à aucune catégorie prévue par la charte des Nations unies : il s’agit d’une privatisation de la gouvernance internationale, au mépris du droit à l’autodétermination.
La résolution autorise également la création d’une force internationale de stabilisation, qui n’est pas une force de l’ONU mais une coalition ad hoc, opérant « en consultation étroite » avec Israël et l’Egypte. Dotée d’un mandat exceptionnel – démilitarisation, destruction d’infrastructures, contrôle des frontières –, elle placerait un territoire ravagé par deux ans de bombardements et de crimes internationaux sous un régime sécuritaire dominé par les puissances responsables des hostilités. La neutralité, principe cardinal des opérations de paix, disparaît totalement.
Plus grave encore, la résolution évince l’acquis normatif de l’ONU : silence sur la résolution 2334 (colonisation), sur les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l’occupation, le risque de génocide ou l’aide humanitaire ; absence des résolutions 242 et 338, pourtant fondatrices du cadre de paix. Elle ignore l’interdiction absolue d’utiliser la faim comme méthode de guerre – pourtant documentée et rappelée par la CIJ – et n’impose aucune obligation concrète à Israël en matière de protection des civils ou d’accès humanitaire, alors que Gaza demeure, selon l’ONU, la région la plus affamée du monde.
En normalisant la déradicalisation forcée, la démilitarisation totale, le contrôle absolu des mouvements et la gestion externe de la gouvernance, le texte crée les conditions structurelles de violations graves du droit international humanitaire. Il rappelle les anciens mandats coloniaux : un territoire sous contrôle sécuritaire étranger, administré par un conseil international non élu, où la population est sommée d’accepter un cadre politique façonné de l’extérieur. Rien n’y garantit la sécurité des civils, l’accès généralisé à l’aide, la cessation des bombardements, ni la justice – aucune mention de la Cour pénale internationale, des enquêtes en cours ou de l’exigence de réparations. En somme, le Conseil de sécurité de l’ONU a institutionnalisé un protectorat illégal sur Gaza.
L’argument selon lequel l’Autorité palestinienne aurait « approuvé » le dispositif repose sur une confusion : ce qu’elle a salué, c’est la perspective d’un cessez-le-feu, non la création d’un « conseil de paix » doté de prérogatives quasi gouvernementales. Aucune déclaration postérieure, formulée dans un contexte de détresse extrême, ne saurait valider la privation durable du droit d’un peuple à décider de ses institutions.
La résolution 2803 n’est pas un pas vers une paix juste. C’est un recul majeur pour le droit international et pour la crédibilité même de l’ONU. Il appartient désormais aux Etats, aux juridictions et aux citoyens d’empêcher qu’elle devienne la nouvelle normalité.

Alfonso Dorado (Avocat) et Patrick Zahnd (Président de Juristes pour le respect du droit international)
Tribune - Le Monde du 09 décembre 2025

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