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Question de temps et d’habitude. L’homme, c’est un fait, s’adapte au changement et, à force d’asservissement, il collabore. En ce domaine d’exception qu’est la résistance, c’est le premier pas du premier homme qui s’oppose, qui importe, et c’est le plus difficile. Seulement quelques hommes sans se connaître éprouvent que cette béance abominable de la liberté déchue leur impose un mal insupportable, comme une sorte de négation de la vie.
Ils vont alors mettre en marche l’engrenage de la pensée, face à l’ordre nouveau qui vient de prendre place. Ces hommes qui ont peur comme les autres ont compris que la liberté est la quintessence de la vie. Et tant pis s’ils perdent la vie, à trop vouloir la défendre.
L’homme devient résistant presque sans le savoir. Il ne se pose plus de questions et, perdu dans la foule anonyme, sans nom, ni origine, dépourvu de visage, comme une ombre diaphane, il refuse la terreur et dit non. Cet homme est tout simplement lui-même.
Il n’a pas changé, et ne se connaît pas encore tout à fait. Il ne sait encore rien des projets qui feront que son action changera la face du monde. Il s’ignore et va se découvrir après, petit à petit. C’est la postérité qui fait et défait les notoriétés, et c’est elle qui va permettre à cet homme de le révéler aux autres, puis à lui-même. Seulement résistant !
Ni homme ni femme, tout simplement résistant, comme maintenu en suspension dans le temps qui passe, il agit sans attendre. Le résistant ne trouve son salut que dans la vivacité de sa pensée et de ses actes et il lui faut agir, car le temps, pour celui qui résiste, corrompt la volonté de ceux disposés à attendre. Et le temps fait de l’habitude un allié pérenne aux assassins de la liberté.
Sa souffrance due au manque de liberté est indicible, mais la soif de son engagement ainsi que sa détermination se lisent dans le scintillement de ses yeux, dans le frémissement de ses cils. Il porte en lui les stigmates de sa dénonciation à venir, car il sera dénoncé. Le monde est ainsi fait. Il dénonce !
Ces résistants, devenus la mauvaise conscience des assassins de la liberté, entrent dans la liberté, au hasard d’une pensée secrète et égarée qu’ils n’ont partagée avec personne. Ces résistants, femmes et hommes d’exception qui deviennent malgré eux des héros, incarnent irrésistiblement le dernier soupir de vie de ceux qui se sont tus, pour que soit dite en leur nom l’histoire de l’humanité.
Par Albert Lévy, ancien magistrat, syndicaliste
Tribune - L'Humanité du 20 décembre 25

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