Une scène du film Révolution Zendj, de Tariq Teguia, mettait en scène en 2015 un groupe d’affairistes rêvant tout haut, en foulant les ruines de Babylone arasées par l’armée américaine pour y établir son camp Alpha durant la guerre en Irak, de bâtir sur les décombres disparus de la cité antique un parc d’attractions. La réalité a dépassé la fiction.
Sous le second règne de Donald Trump, les promoteurs immobiliers ont supplanté les diplomates. Les tractations entre Washington et Moscou sur l’Ukraine en offrent une nouvelle illustration saisissante. Au Kremlin, le président des États-Unis a dépêché son gendre, Jared Kushner, et son partenaire de golf, Steve Witkoff.
Le premier est l’héritier d’un empire du real estate. Le second, qui a fait fortune dans la spéculation immobilière à New York, où il possède un insolent portefeuille de biens, est devenu le « deal maker » de son ami de quarante ans. Leur interlocuteur ? Non pas le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, tenu à l’écart de ces pourparlers, mais Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe. Vladimir Poutine sait comment prendre Donald Trump par les sentiments : en lui parlant la langue de l’argent.
Au Moyen-Orient aussi, c’est l’appât du gain qui guide les orientations de la Maison-Blanche. L’abominable projet d’édification d’une « Riviera » sur les dizaines de milliers de cadavres enfouis sous les gravats de Gaza n’est pas le seul filon de profit flairé par l’administration Trump.
Thomas J. Barrack, ambassadeur des États-Unis en Turquie, envoyé spécial en Syrie, ne voit dans la région qu’un ramassis « de villages et de tribus » inaptes à la modernité. À la tête d’un fonds d’investissement immobilier et de private equity opportunément baptisé Colony Capital, il suggère ouvertement de faire table rase des nations existantes. Pour bâtir sur le terrain vague laissé par les expéditions impérialistes de nouvelles Mahagonny, à l’image de celles du golfe Persique…
La prédation capitaliste ne connaît jamais de trêve, pas même sous le régime des guerres les plus atroces. L’avidité du camp Trump est telle que tout argent est bon à prendre, fût-il trempé de sang. Aussi le président des États-Unis ne s’est-il guère embarrassé de la mémoire du journaliste Jamal Kashoggi, découpé en morceaux par le pouvoir saoudien, lorsqu’il a offert au prince héritier Mohammed Ben Salmane, reçu à la Maison-Blanche cet automne, une spectaculaire réhabilitation. Il faut dire qu’en coulisses se nouaient de juteuses transactions commerciales immobilières au bénéfice de la holding familiale des Trump.
La politique étrangère américaine ? Une foire aux enchères, où les alliances se monnayent contre des contrats, où le langage des marchés évince celui des principes. La paix ? À crédit. La souveraineté ? Contre du cash. Ce n’est plus de la diplomatie, c’est le business plan d’un empire qui facture ses menaces et vend ses faveurs.
Rosa Moussaoui
L'Humanité du 04 décembre 25

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