Israël : vers une commission d’enquête sur le 7-Octobre à la main d’un Nétanyahou rattrapé par l’affaire du Qatar

 

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d’une séance plénière de la Knesset, le Parlement israélien, à Jérusalem, le 10 novembre 2025. RONEN ZVULUN/REUTERS
La Knesset a adopté en première lecture une proposition de loi visant à mettre en place une commission d’enquête spéciale sur les échecs du 7-Octobre, comme le souhaitait le premier ministre israélien, qui refusait un organe plus neutre. Mais ce dernier est mis en difficulté dans le dossier des liens de ses conseillers avec le Qatar.
Il y a une constante, chez Benyamin Nétanyahou, depuis l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 : celle de ne pas reconnaître sa responsabilité personnelle dans ce massacre. Il est pourtant le premier ministre qui est resté le plus longtemps en poste – plus de dix-sept ans. Il a largement façonné la politique de son pays vis-à-vis du Hamas, en favorisant le maintien de l’organisation islamiste à Gaza, permettant de diviser, politiquement et géographiquement, le mouvement national palestinien. Et il n’a jamais cru le Hamas capable d’une telle offensive.
Benyamin Nétanyahou a toujours exclu la mise en place d’une commission d’enquête d’Etat, en vertu d’une loi israélienne de 1968, qui permet au président de la Cour suprême de nommer un organe indépendant sur les défaillances majeures de l’Etat. Il a en revanche salué la proposition de loi d’Ariel Kallner, l’un des membres de son parti, le Likoud, de créer une « commission d’enquête nationale-étatique ».
La proposition prévoit qu’une majorité de 80 députés sur 120 nomme une commission de six membres et son président. En cas de blocage, ou si l’opposition boycotte le processus – ce qu’elle promet déjà de faire –, le président de la Knesset, Amir Ohana, lui aussi membre du Likoud, choisira l’ensemble des membres de la commission.

Le gouvernement veut aller vite
Benyamin Nétanyahou a réclamé publiquement que cette commission inclue, dans ses travaux sur le 7-Octobre, une enquête sur les accords d’Oslo, signés en 1993, sur le désengagement israélien de Gaza, en 2005, et sur le mouvement de protestation contre le projet de réforme judiciaire, en 2023.
La proposition de loi doit être encore travaillée, mais le gouvernement veut aller vite. « L’initiative s’inscrit dans l’agenda populiste du gouvernement, qui préfère des politiques à des professionnels, que ce soit pour une commission d’enquête ou pour le pouvoir judiciaire », analyse Gideon Rahat, chercheur en science politique à l’Institut démocratique d’Israël.
Si M. Nétanyahou réussit à éloigner cette menace, sa responsabilité est mise en cause dans une autre affaire : le Qatargate, soit le travail d’influence du Qatar auprès de l’Etat hébreu. Une histoire complexe et politiquement très sensible, l’émirat étant considéré, en Israël, comme un soutien du Hamas, voire comme un ennemi direct.
Cette semaine, Eli Feldstein, acteur central de ce scandale, a livré un témoignage en trois parties à la télévision israélienne. C’est la première fois qu’il s’exprimait dans un média depuis son arrestation, en novembre 2024.
L’homme de 33 ans avait été recruté par Jonatan Urich, un proche conseiller de Benyamin Nétanyahou, quatre jours après le 7-Octobre, en tant que porte-parole pour les affaires militaires du premier ministre. Il n’a pas reçu l’agrément du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, pour exercer ses fonctions de porte-parole – raison pour laquelle il a été payé par l’intermédiaire d’un lobbyiste américain, Jay Footlik, travaillant pour Doha.
Le rôle de M. Feldstein : protéger le premier ministre et faire porter le chapeau du 7-Octobre à l’armée, aux services de renseignement et aux gouvernements précédents. L’une de ses premières tâches a consisté à rédiger pour le chef du gouvernement le brouillon d’une déclaration où était écrit « responsabilité ». M. Nétanyahou lui a demandé de ne pas utiliser ce mot.
Eli Feldstein aurait donné des documents classifiés au quotidien allemand Bild, montrant que le Hamas n’était pas disposé à conclure un accord pour libérer les otages à Gaza. Un argument que Benyamin Nétanyahou a utilisé, en 2024, pour justifier la poursuite de la guerre.
Dans son interview, M. Feldstein a notamment affirmé qu’après les révélations faites à Bild, Jonatan Urich, son chef, lui aurait écrit sur WhatsApp : « Le boss est content », en faisant référence au premier ministre israélien. L’ancien porte-parole affirme que Benyamin Nétanyahou était derrière cette fuite. Si les preuves manquent, l’interview illustre la corruption d’un système au service d’un homme plutôt que de l’Etat.

« Acte de trahison le plus grave »

Parmi l’avalanche de réactions, trois se distinguent. Celle d’Amichai Chikli, ministre de la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme, devenu figure de l’ethnonationalisme israélien. « C’est indéfendable. C’est scandaleux. Il faut absolument mener une enquête approfondie », a déclaré M. Chikli, mercredi, à la suite de l’interview de M. Feldstein. Il a été le premier membre du gouvernement à réclamer une enquête sur cette affaire.
Il a été suivi par Bezalel Smotrich, autre ultranationaliste, figure-clé de la coalition gouvernementale, qui détient le portefeuille des finances. Lui aussi a réclamé une enquête, jeudi, dans un journal israélien.
Mais la réaction la plus significative vient de l’opposant Naftali Bennett, ancien premier ministre (2021-2022), lui aussi figure de la droite radicale. Lundi, il a appelé Benyamin Nétanyahou à démissionner, l’accusant d’avoir participé à la dissimulation du scandale, qu’il a qualifié d’« acte de trahison le plus grave de l’histoire d’Israël ».
M. Bennett est le concurrent le plus sérieux de M. Nétanyahou dans les sondages. Alors qu’il était resté relativement discret depuis le 7-Octobre, cette attaque directe semble donner le signal de départ de la campagne pour les prochaines élections législatives, qui doivent se tenir au plus tard le 27 octobre 2026. Compte tenu du contexte explosif, le premier ministre a demandé à ses équipes de se préparer à un scrutin anticipé, selon le média israélien Ynet. Cette campagne promet d’être l’une des plus dures de l’histoire du pays.

Par Samuel Forey
Le Monde du 27 décembre 25



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire