| Des employés de l’hopital Nasser à Khan Younès, à Gaza, déchargent les corps de prisonniers palestiniens renvoyés par Israël lors d’un échange d’otages, le 31 octobre 2025. AFP |
Le rapport, documenté, précis, argumenté, est d’une rare sévérité pour les autorités israéliennes, accusées de « violations systématiques des droits humains » dans ses centres de détention depuis le début de la guerre à Gaza. Au moins 98 Palestiniens de tous âges sont morts en détention en Israël depuis le 7 octobre 2023, selon les investigations rendues publiques lundi 17 novembre par une organisation non gouvernementale, Physicians for Human Rights - Israel (PHRI, Médecins pour les droits humains). Une estimation jugée minimale par les auteurs du rapport au vu du nombre de Palestiniens disparus. « A ce jour, le sort et le lieu où se trouvent des centaines de Palestiniens de Gaza qui ont été emmenés par l’armée israélienne entre octobre 2023 et avril 2024 restent inconnus », note l’ONG israélienne qui rassemble depuis 1988 des soignants impliqués dans la défense des droits humains. « Les conclusions confirment également les graves inquiétudes selon lesquelles le nombre réel de Palestiniens décédés en détention en Israël serait nettement plus élevé, en particulier parmi les détenus originaires de Gaza », alertent les auteurs du rapport.
Face à l’opacité de l’armée et de l’administration sécuritaire, PHRI a multiplié les recours en justice afin d’obtenir des documents administratifs et des informations individuelles sur les détenus, qualifiés de « combattants illégaux » par l’Etat hébreu, soumis à un régime encore plus sévère que celui appliqué habituellement aux prisonniers palestiniens. Elle s’est appuyée sur le travail d’autres ONG intervenant en appui juridique des familles pour collecter des témoignages, des comptes rendus médicaux et des données. Le constat est celui d’une augmentation inédite des décès. « En comparaison, au cours des dix années précédant octobre 2023, moins de 30 Palestiniens sont morts en détention », relève l’ONG.
Parmi les morts identifiés, parfois de façon incomplète, 42 étaient détenus dans des prisons relevant du système pénitentiaire, 52 dans des bases militaires, dont 29 pour la seule base de Sde Teiman, située dans le sud du pays. « Les témoignages de Palestiniens détenus dans ces camps, ainsi que les récits de médecins israéliens qui ont eu accès à Sde Teiman (…) révèlent que ces installations étaient utilisées comme lieux de torture et d’abus systématiques, où des dizaines de Palestiniens de Gaza sont morts pendant leur détention militaire », souligne l’ONG dont le travail vient compléter les révélations similaires de médias ou d’autres organisations. De nombreux prisonniers libérés en octobre, en échange des otages israéliens capturés par le Hamas le 7 octobre 2023, ont témoigné de violences subies. L’examen des corps rendus par l’armée a également montré des signes de torture selon des médecins de l’enclave palestinienne, ce qu’a contesté l’armée.
Traces de torture ou de malnutrition
PHRI estime que ces constatations « ne laissent guère de doute quant au fait que les décès de nombreux Palestiniens détenus sont le résultat d’actions systématiques menées par des soldats et des gardiens, avec l’encouragement, ou à tout le moins l’approbation tacite, de leurs supérieurs ». Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, responsable des prisons, s’est, plusieurs fois, mis en scène devant des détenus humiliés et a publiquement prôné de ne pas nourrir suffisamment les prisonniers palestiniens. Il défend actuellement, au Parlement, le recours à la peine de mort pour les Palestiniens accusés de terrorisme.
Selon l’ONG, les autorités cherchent à dissimuler l’étendue des violences commises, empêchant l’information des familles, repoussant les autopsies, interdisant l’accès de médecins indépendants. Le travail de la justice demeure très limité. Y compris lorsque des autopsies ont montré des traces de torture ou de malnutrition. « La dissimulation systématique des enquêtes sur les causes de ces décès par les autorités judiciaires et policières israéliennes, combinée à l’absence systématique de poursuites contre les responsables ou de condamnation publique par les décideurs, indique clairement que le meurtre de Palestiniens en détention est devenu une pratique normalisée, directement issue de la politique officielle de l’Etat », conclut PHRI.
L’armée a répondu à 11 questions précises posées par Le Monde par un court texte indiquant qu’elle « agit conformément au droit israélien et international ». « Dans le cadre de la guerre contre les organisations terroristes, l’armée israélienne arrête des individus à Gaza lorsqu’il existe des soupçons raisonnables quant à leur implication dans des activités terroristes. Les suspects concernés sont soumis à un interrogatoire et à un contrôle approfondis, puis placés en détention dans des établissements désignés sur le territoire israélien », explique l’armée. Elle affirme être « au courant des décès de détenus, y compris ceux qui étaient détenus alors qu’ils souffraient déjà d’une maladie ou d’une blessure préexistante résultant des hostilités ». Elle indique que la police militaire conduit des enquêtes pour chaque décès de détenu. L’administration pénitentiaire, de son côté, a renvoyé les questions vers l’armée.
Le sujet des conditions d’emprisonnement des Palestiniens reste largement ignoré en Israël. Ces dernières semaines, le fonctionnement du centre de détention de Sde Teiman a, certes, provoqué des débats à propos des violences, notamment sexuelles, commises par des gardiens sur un prisonnier en 2024. Mais la polémique a moins porté sur les accusations de torture que sur les conditions dans lesquelles une vidéo documentant ces incidents avait fuité dans les médias. Le détenu palestinien grièvement blessé à Sde Teiman a été renvoyé à Gaza au moment de la libération des otages israéliens, après le cessez-le-feu, obérant du même coup l’hypothèse d’une enquête approfondie. A l’origine de l’enquête sur Sde Teiman, la procureure générale de l’armée, Yifat Tomer-Yerushalmi, a démissionné, puis elle a été arrêtée, placée en détention provisoire, avant d’être assignée à résidence, dans le cadre des investigations sur la vidéo.
Luc Bronner
Le Monde du 18 novembre 25

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