« Les populations civiles sont les premières victimes de ces ventes » : au salon Milipol, le commerce des armes derrière le génocide à Gaza

 

La coopération entre la France et Israël, historiquement solide, mêle soutien militaire et échanges technologiques, souligne Tony Fortin© Eric Broncard/Hans Lucas
Pour Tony Fortin, cofondateur de l’Observatoire des armements, le salon Milipol, qui s’est ouvert mardi, illustre la logique mortifère et purement marchande qui domine les ventes d’armes. En France, la mobilisation sur le sujet est d’autant plus difficile que le gouvernement entretient une certaine opacité sur ce marché…

Comment qualifieriez-vous la coopération militaire entre la France et Israël ?
Il s’agit d’une coopération historique, multifacette, dans laquelle les deux pays sont fortement intriqués. Historiquement, la France est le premier État à avoir soutenu massivement Israël en l’aidant, dès la fin des années 1950, à s’équiper de la bombe atomique puis en lui fournissant des avions de chasse et des blindés.
Aujourd’hui, sur le plan technologique, notamment dans le domaine des drones et de l’intelligence artificielle, Israël est très en avance et c’est la France qui, cette fois, est en quête de ses innovations. Dans ces secteurs, dès la fin des années 1990, Israël a exporté son savoir-faire.
La société STMicroelectronics, pour n’en citer qu’une, a ainsi fondé la plupart de sa production sur les développements technologiques israéliens. D’autres domaines sont concernés. Ainsi, en matière de renseignement, les technologies israéliennes sont extrêmement intrusives et la France ne souhaite pas se passer de cette expertise.

Qu’importe le génocide en cours…
Pis : nous, Français, et nos entreprises profitons de la guerre. Car ce qui se passe à Gaza nous permet d’expérimenter, en temps réel, les innovations technologiques qui sont ensuite intégrées à nos armements.
En 2014, on a retrouvé des capteurs de la société Exxelia dans un missile qui a tué trois enfants d’une famille gazaouie. Une enquête a été ouverte. Cela n’empêche pas Exxelia, dans le contexte actuel de génocide, de continuer à livrer ses composants à Israël, notamment à la société Elbit qui est un des piliers de l’industrie de l’armement.

Si Israël est tellement avancé sur le plan technologique, pourquoi achète-t-il des armes aux entreprises françaises ?
Cela s’inscrit dans un partenariat global. À travers ces contrats, Israël cherche à atteindre les marchés occidentaux. Il est déjà très impliqué avec certains d’entre eux, sur le marché allemand notamment. Mais il a besoin, pour se développer, des portefeuilles clients de Thales ou de Safran.
C’est pourquoi, d’un côté comme de l’autre, on souhaite poursuivre ces coopérations. Sauf en cas de mobilisations des opinions publiques, qui ont eu des débouchés partiels aux Pays-Bas, en Espagne et au Royaume-Uni, il n’y a aucune raison que cela s’arrête.

En France, la mobilisation est d’autant plus difficile que le gouvernement entretient une certaine opacité sur le marché de l’armement…

C’est exact. Le rapport au Parlement sur les exportations d’armes, présenté chaque année par le ministère des Armées, est particulièrement incomplet. Contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays, il se contente de fournir des montants, on n’a aucun détail sur ce qui est livré.
À la suite de la mobilisation de plusieurs ONG, une commission de contrôle de la politique d’exportation d’armes a été mise en place, début 2025.
Ses six membres – deux désignés par le président du Sénat, deux désignés par la présidente de l’Assemblée nationale, à qui s’ajoutent les présidents des commissions défense des deux assemblées – ne sont pas du tout représentatifs des parlementaires. Cette commission se contente, en réalité, d’accompagner la logique de souveraineté.

Le salon Milipol s’est ouvert samedi. Qu’attend la France d’un tel rendez-vous ?
Seront présentées les technologies militaires les plus récentes, celles qui permettent, au nom de la sécurité, de mutiler, de réprimer, de surveiller massivement.
En France et dans l’Union européenne, où la dynamique de dérégulation du marché des armes s’accélère, on laisse de plus en plus les industriels définir ce qui est acceptable en matière de gestion des foules.
On les laisse déterminer ce qui relève du civil ou de l’armement et choisir les pays qui doivent être livrés. Pour ces gens-là, il n’y a aucune considération éthique, les armes sont un marché comme un autre. On oublie que les populations civiles sont, toujours, les premières victimes de ces ventes.

Elisabeth Fleury
L'Humanité du 18 novembre 25

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