« Cette fois, c'était une attaque physique » : l'armée israélienne fait taire la culture palestinienne en prenant d'assaut le Théâtre national palestinien, à Jérusalem-Est

 

La police et l'armée israélienne sont intervenus au Théâtre national palestinien à Jérusalem-Est, interrompant un spectacle destiné à 350 spectateurs dont de nombreux enfants.© ©URIEL SINAI/The New York Times-REDUX-REA
L'armée israélienne a interrompu, dimanche 23 novembre, la représentation d'un spectacle du Théâtre national palestinien, à Jérusalem-Est, attaquant dans le même geste la culture et la jeunesse palestiniennes. Son directeur, Amer Khalil, témoigne.
On n’aurait pas osé inventer une image aussi criante : des enfants en larmes, des adultes qui hurlent, un théâtre palestinien pris d’assaut par la police et l’armée israéliennes, quelque minutes avant le lever de rideau. C’est pourtant ce que montrent les vidéos enregistrées le soir du dimanche 23 novembre au sein du Théâtre national palestinien Al-Hakawati, à Jérusalem-Est.
C’est aux enfants que ce lieu historique de la vie culturelle palestinienne ouvrait ses portes ce soir-là. Le spectacle, intitulé Des rêves sous les oliviers et imaginé par le Jerusalemite Youth Cultural Forum, devait réunir 70 jeunes Palestiniens sur scène. Il devait y avoir du chant, de la danse. 350 spectateurs, petits et grands, étaient au rendez-vous.

Israël cible la culture palestinienne
À 17:45, quinze minutes avant le lever de rideau, le public est encore en train de prendre place dans les gradins lorsqu’une vingtaine de soldats et policiers armés font irruption, ordonnant aux spectateurs, aux équipes et aux jeunes interprètes déjà installés sur scène d’évacuer les lieux.
Dans un premier temps, le public se refuse à sortir. Le directeur, Amer Khalil, proteste, puis craint une escalade de violence — il y a dix ans, au cours d’un épisode semblable, la police avait fini par lâcher des bombes lacrymogènes à l’intérieur du théâtre. Il finit par fermer l’établissement au bout de deux heures de chaos. Une fois à l’extérieur, il découvre que deux rues ont été bloquées pour l’opération, et que des militaires campent devant le bâtiment.
« Tous ces cris, toute cette agressivité, c’est un énorme choc pour des enfants de cinq ou huit ans », déplore Amer Khalil, joint par téléphone. Convoqué le lendemain matin au commissariat, il subit six heures d’attentes et une heure d’interrogatoire, au cours duquel il est notamment question de connexions supposées entre le spectacle et l’Autorité palestinienne, argument invoqué par le ministre de la sécurité intérieure, Itamar Ben-Gvir, pour ordonner l’opération.
Un faux prétexte, selon cet homme de théâtre sexagénaire. « Nous avons déjà accueilli le même spectacle en mars et en août dernier. L’organisation touche des fonds de l’Union européenne et du British Council, et non de l’Autorité palestinienne », maintient-il aujourd’hui.

Une répression physique inédite à Jérusalem
Ordonné de fermer durant vingt-quatre heures, le théâtre a rouvert lundi soir. Les équipes se sont remis au travail, préparant la première d’une adaptation des Pièces en un acte de Tchekhov. Aujourd’hui, se sentant « mieux », Amer Khalil pense surtout que « les autorités israéliennes ont voulu envoyer un signal. Des membres de la Knesset nous ont rendu visite lundi, nous disant que ce n’était sûrement que le début ».
De Haïfa, où l’équipe du théâtre Khashabi a perdu son lieu fixe en avril dernier, jusqu’à Jérusalem, le théâtre et la culture en général constituent une cible stratégique dans l’entreprise génocidaire menée par Israël contre la Palestine. Mais pour le Théâtre national palestinien, cette séquence marque un cap dans la brutalité.
« D’habitude, ils s’en prennent à nous par la voie administrative, avec des papiers. Cette fois, c’était une attaque physique », note le directeur. Mais pour l’heure, sa plus grande préoccupation est « de ramener les enfants au théâtre et de leur montrer que ce n’est pas l’endroit monstrueux qu’ils ont connu ». Dans les jours qui viennent, les équipes iront à leur rencontre et tenteront de réparer ce qui s’est brisé ce soir-là.

Samuel Gleyze-Esteban
L'Humanité du 26 novembre 25



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