Comment l’Arabie saoudite finance, discrètement, l’occupation de la Palestine

 

Silicon Valley, avril 2018. le prince héritier, Mohammed Ben Salman, et Peter Thiel, cofondateur de Palantir. Ambassade d’Arabie saoudite aux États-Unis / X
L’Arabie saoudite, par l’intermédiaire de son Fonds d’investissement public (FIP), a approfondi ses relations avec Tel-Aviv en investissant dans des entreprises israéliennes qui soutiennent l’occupation en Palestine. Ces transactions financières s’inscrivent dans un plan plus large visant à normaliser les relations avec Israël contrariées par le génocide à Gaza.

Lorsque le prince héritier, Mohammed Ben Salman, a lancé le plan de développement Vision 2030 en 2016, il savait que cet ambitieux projet — qui vise à sortir le royaume de la rente pétrolière et à diversifier son économie — nécessiterait quantité de technologies, de financements et d’influence politique. Heureusement pour lui, Israël lui a offert une solution. Comme l’expliquait le quotidien Jerusalem Post du 10 février 2025 :
"De récentes informations indiquent que Neom est confrontée à d’importants défis financiers, l’augmentation des coûts et les retards suscitant des inquiétudes quant à la faisabilité du projet. C’est un domaine évident où la hi-tech israélienne pourrait aider à son développement […] Israël est un leader mondial en matière de cybersécurité et d’intelligence artificielle, tandis que l’Arabie saoudite ambitionne de devenir un acteur actif dans l’IA d’ici 2030 [… ]Une relation formelle entre l’Arabie saoudite et Israël pourrait ouvrir la porte à un accroissement des investissements occidentaux et israéliens en Arabie saoudite, en particulier dans des secteurs tels que la technologie, la cybersécurité et les énergies renouvelables […] La normalisation israélo-saoudienne pourrait indubitablement permettre au plan Vision 2030 d’atteindre ses objectifs en attirant des investissements, en stimulant la croissance technologique et en développant le tourisme."
Alors que la normalisation officielle reste un sujet de débat public, en coulisses, Israël et l’Arabie saoudite collaborent depuis des années. En janvier 2020, les Israéliens ont été légalement autorisés, pour la première fois, à se rendre en Arabie saoudite pour des motifs religieux ou professionnels. En novembre de la même année, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a rencontré secrètement Mohammed Ben Salman à Neom, en compagnie du secrétaire d’État étatsunien Mike Pompeo et du chef du Mossad Yossi Cohen

Quand l’argent afflue
Après l’ouverture de l’espace aérien saoudien aux avions israéliens en juillet 2022, et l’interview de Nétanyahou par le chaîne saoudienne Al-Arabiya en décembre de la même année, des dizaines d’entrepreneurs de la tech et d’hommes d’affaires israéliens se sont rendus en Arabie saoudite. Cela a abouti à la signature d’accords dans les secteurs civils et de la défense.
Ces liens croissants se sont inscrits dans le cadre d’un plan plus large visant à préparer les Saoudiens, et au-delà le monde arabo-musulman, à une normalisation officielle imminente avec Israël. [Yasir Al-Rumayyan, le directeur du Fonds d’investissement public (FIP), fonds souverain pourvu de 620 milliards de dollars (535 milliards d’euros), a joué un rôle déterminant dans ce processus, en recourant à des manœuvres financières afin de promouvoir la normalisation. Alors que l’argent saoudien affluait dans les firmes israéliennes, ces dernières multipliaient parallèlement leurs investissements dans le royaume.
La base de ces investissements réciproques a été posée en 2021 lorsque Jared Kushner a persuadé le FIP saoudien de lui verser 2 milliards de dollars (1,72 milliard d’euros) pour le fonds de capital-investissement Affinity Partners qu’il venait de lancer. Cette décision a été prise malgré les inquiétudes des conseillers du fonds concernant « l’inexpérience de la direction » d’Affinity Partners. Ils craignaient également que le royaume doive assurer « le gros de l’investissement et du risque ». Autre point de tension, la due diligence vis-à-vis d’opérations jugées par eux « insatisfaisantes à tous égards », tout comme les frais de gestion d’actifs proposés qui semblaient « excessifs ». Enfin, le rôle antérieur de Kushner comme conseiller principal de son beau-père, Donald Trump, soulevait des « risques en matière de relations publiques ».

Au service de la colonisation
Jared Kushner a ensuite engagé des participations dans deux sociétés israéliennes : Shlomo Group, en 2023, et Phoenix Financial, en 2024. Le groupe Shlomo gère le mode de transport et les approvisionnements des forces d’occupation israéliennes. Phoenix Financial, l’une des principales sociétés de services financiers d’Israël, est spécialisée dans les assurances et la gestion d’actifs, et détient des parts d’autres compagnies israéliennes. Une enquête du site Middle East Eye (MEE) a révélé que les filiales de Phoenix Financial englobaient onze entreprises publiques et une société privée ayant des liens avec les colonies israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est annexée et sur le plateau du Golan syrien occupé. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a compilé une base de données de toutes ces compagnies.
Par l’intermédiaire de la société d’investissement de Jared Kushner, l’Arabie saoudite a ainsi indirectement facilité et profité de l’occupation israélienne, aux côtés du Qatar et des Émirats arabes unis. Cela s’est produit alors même que les Palestiniens de Cisjordanie occupée sont confrontés à une escalade des attaques de l’armée israélienne et à une recrudescence des agressions des colons.
Phoenix Financial détient 3,88 % d’Elbit Systems, le premier fabricant d’armements d’Israël. Elbit fournit 80 % des armes et des équipements des forces terrestres israéliennes et 85 % des drones de combat de l’armée de l’air.

Assassinats de masse »
En février 2024, la Future Investment Initiative Foundation, une institution financière saoudienne, a organisé un sommet à Miami parrainé par le FIP saoudien. Parmi les 1 000 délégués figurait Alex Karp, le PDG de Palantir Technologies Inc.. Parmi ses cofondateurs figure le milliardaire libertarien de la Silicon Valley Peter Thiel, et protecteur du vice-président étatsunien J.D Vance, qui a prononcé le discours d’ouverture.
Palantir fournit à l’armée israélienne un logiciel de prévision policière automatique, ce qui a été critiqué par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, dans son récent rapport sur l’économie du génocide de Gaza. Ses armes propulsées par l’IA intègrent le système « Habsora » (« Évangile ») qui identifie automatiquement les cibles pour l’armée de l’air israélienne, en « générant » des recommandations si rapidement que d’anciens officiers du renseignement israélien le qualifient d’« usine à assassinats de masse ».
En janvier 2024, Palantir a annoncé un nouveau partenariat stratégique avec Israël et a organisé une réunion de son conseil d’administration à Tel-Aviv « en solidarité ». Le 20 avril 2025, lors du Hill and Valley Forum, face aux accusations selon lesquelles Palantir aurait tué des Palestiniens à Gaza, Karp a rétorqué : « Principalement des terroristes, c’est vrai. »
Le FIP entretient des liens étroits avec Palantir via Al-Turki Holding, une entreprise phare saoudienne qui a conclu en janvier 2025 un « partenariat stratégique » avec la firme étatsunienne. L’une des principales filiales d’Al-Turki Holding, Nesma & Partners, fait partie des quatre sociétés de construction saoudiennes choisies par le FIP dans le cadre d’un investissement de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros).

L’ombre de Peter Thiel…
En avril 2023, par l’intermédiaire de sa branche de capital-risque Sanabil Investments, le FIP s’est également engagé dans une société de capital-risque californienne, le fonds Founders, dirigé par Peter Thiel, cofondateur de Palantir et un ex-associé du financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein.
En outre, le FIP a investi, en mai 2017, 20 milliards de dollars (17,1 milliards d’euros) dans le géant américain de l’investissement Blackstone, qui a multiplié les participations dans des firmes de la tech israélienne, dont Pentera, Mitiga, Waze et Cloudinary. Après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, ce fonds d’investissement étasunien a donné une aide de 7 millions de dollars (6 millions d’euros) à Israël. En avril 2021, Blackstone a inauguré un bureau à Tel-Aviv. Trois mois plus tard, le géant japonais des télécoms SoftBank, la plus grosse société de capital-risque au monde, a fait de même et a placé Yossi Cohen, ancien chef du Mossad, à la tête de son bureau israélien. En 2017, le FIP a investi 45 milliards de dollars (38,5 milliards d’euros) sur cinq ans dans le fonds SoftBank Vision. Toutefois, ce fonds spécialisé dans les technologies a perdu 17,7 milliards de dollars (15 milliards d’euros) en 2019-2020.
Une autre société technologique israélienne dans laquelle l’Arabie saoudite a investi massivement est Magic Leap, start-up étatsunienne dédiée aux technologies de réalité augmentée. En 2022, l’Arabie saoudite s’est assurée d’une participation majoritaire dans Magic Leap à hauteur de 450 millions de dollars (385 millions d’euros). Magic Leap a des opérations importantes en Israël, ayant acquis la société israélienne de cybersécurité NorthBit en avril 2016.

...Et du Mossad
Parmi d’autres boîtes israéliennes implantées dans le royaume saoudien, citons la Fondation israélo-étatsunienne pour la recherche et le développement industriel (Israel-US Binational Industrial Research and Development, BIRD), qui finance des technologies mises au point par des entreprises des deux pays ; le Fonds israélo-étatsunien pour la recherche et le développement agricole (BARD), qui accorde des prêts aux intervenants américains en Arabie saoudite ; Eco Wave Power, une société spécialisée dans les énergies renouvelables, et CyberArk, une plateforme israélienne de sécurité des identités qui est partenaire de la firme émiratie de cybersécurité Spire Solutions en Arabie saoudite. Ce partenariat inclut l’israélien XM Cyber, qui a été cofondé par un autre ex-patron du Mossad, Tamir Pardo.
En conclusion, les activités de Mohammed Ben Salman et de Yasser Al-Rumayyan via le FIP saoudien ces cinq dernières années vont au-delà de la simple normalisation. Ils ont exploité l’argent du pétrole pour approfondir leurs relations avec Israël, en finançant son occupation et le génocide. Alors même que le royaume, qui a dénoncé « l’agression israélienne » du 9 septembre contre le Qatar, commence à s’inquiéter des velléités hégémoniques de Tel-Aviv qui mettent à mal la stabilité régionale.

Arab Digest
Orient XXI du 16 septembre 2025

Pétition
Drapeau de la Palestine sur le fronton de la mairie de Nanterre !
Signez et faites signer :
https://www.change.org/p/hissons-le-drapeau-de-la-palestine-sur-le-fronton-de-la-mairie-de-nanterre

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