Sur les plateformes de locations Airbnb et Booking, des logements sont à louer dans les colonies israéliennes en Cisjordanie.© AHMAD GHARABLI / AFP |
Si l’on en croit la plateforme Airbnb, à Neve Daniel, une « suite confortable de 25 m2 » attend le voyageur. Kitchenette, mini-réfrigérateur, four à micro-ondes, climatiseur, lave-linge : l’endroit, situé à quelques kilomètres au sud de Jérusalem, est « parfait pour un court séjour », s’extasie Ron dans l’espace « commentaires » du site.
« Super-communauté, abonde David, qui y a séjourné en mai dernier. Les gens sont amicaux, l’épicerie de quartier a à peu près tout ce dont vous avez besoin. » À une heure de voiture en direction de l’est, à Ovnat, le « super-hôte » Tal ouvre les portes d’un « appartement neuf, magnifique et lumineux » donnant sur la mer Morte.
Un peu plus au nord, en direction de Jéricho, Noam gère à Mitzpe Yeriho un « espace spacieux et serein » et fait à ses clients ce serment : « Vous oublierez tous les soucis. » Mêmes promesses de rêve sur Booking.com. Avec sa discothèque, son centre d’équitation et ses massages holistiques, le kibboutz-hôtel Kalia, à deux pas de la mer Morte, est « exceptionnel », assure Stéphane, de passage en août 2024. À Yitav, dans la vallée du Jourdain, Booking.com vante la piscine et le sauna de l’Einot Kedem Farm. À quelques kilomètres de là, près de Jéricho, Vered Yeriho dispose lui aussi d’une piscine.
Tourisme d’occupation
Neve Daniel, Ovnat, Mitzpe Yeriho, Yitav… tous ces hébergements situés en Cisjordanie se trouvent sur des territoires volés aux Palestiniens. La fondation de Neve Daniel, en 1982, s’est faite au détriment des villages de Wadi an-Nis et d’Al-Khader. La petite colonie d’Ovnat s’est établie, en 2004, sur plus de 100 kilomètres carrés confisqués à la ville palestinienne d’Al-Ubeidiya. En 1977, Mitzpe Yericho s’est arrogé 968 kilomètres carrés du site palestinien de Nabi Musa. Les 250 résidents de la colonie agricole de Vered Yeriho, fondée en 1979, surplombent le camp de réfugiés palestiniens d’Aqabat Jabr.
Airbnb situe ses logements « en Israël ». La plateforme Booking, elle, les place « en Palestine », dans des « colonies israéliennes » ; tous sont de « très bons emplacements », ajoute-t-elle. « Les hébergements répertoriés sur Airbnb ou Booking.com pouvaient accueillir plus de 2 000 personnes en août 2024 », calcule le Guardian dans un article de février 2025. Un « tourisme d’occupation », dénonce la rapporteuse spéciale de l’ONU Francesca Albanese, qui tire la sonnette d’alarme dans un récent rapport.
Mais pour Airbnb et Booking.com, l’heure des comptes a sonné. Plusieurs associations, notamment aux Pays-Bas, ont déposé plainte contre elles. En France, le collectif Jurdi s’apprête à saisir la justice civile pour « non-respect des normes » et « soutien à une activité illicite ». « Les colonies israéliennes sont illégales, explique le magistrat Ghislain Poissonnier. Les contrats qui y proposent des hébergements le sont donc aussi. C’est aussi simple que ça. »
L’étau se resserre autour des plateformes
Le droit international est clair, en effet. En 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) qualifie les colonies israéliennes de « crime de guerre ». Vingt ans plus tard, dans son arrêt du 19 juillet 2024, elle va plus loin. La « discrimination systématique et le régime de ségrégation » imposés par Israël aux Palestiniens en Cisjordanie constituent un « apartheid », constate la cour. Son arrêt exige la fin de ces pratiques « dans les plus brefs délais » et ordonne l’évacuation des colons et la réparation des préjudices aux personnes concernées.
Une injonction qui ne s’applique qu’aux États – à l’égard desquels la CIJ est compétente –, mais qui ne peut être ignorée des entreprises qui contribuent à l’occupation. « Les États dont elles relèvent doivent en principe leur interdire d’opérer », indique la professeure de droit international Rafaëlle Maison. Et les entreprises elles-mêmes peuvent, par ailleurs, faire l’objet de poursuites dans les pays où elles ont leur siège. C’est ce qui est en train de se passer. Grâce à un travail conjoint d’associations et de juristes, l’étau se resserre autour Booking.com et Airbnb.
Aux Pays-Bas, quatre ONG européennes – Somo, The European Legal Support Center (ELSC), Al-Haq et The Rights Forum – ont saisi la justice contre la première plateforme, accusant Booking.com de « blanchiment de crimes de guerre ». Un an et demi plus tard, la plainte est toujours aux mains du ministère public néerlandais sans que la décision d’ouvrir ou non une enquête ait encore été prise.
Une campagne de boycott
Contactée par l’Humanité, Booking.com n’a pas souhaité répondre. Même silence du côté d’Airbnb, également interrogée par l’Humanité, et visée depuis 2023 par une plainte pour « blanchiment » coordonnée entre le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Irlande par le Global Legal Action Network (Glan), Sadaka Ireland et Al-Haq. « Les procédures pénales permettent plus d’investigations mais elles sont plus lentes, indique Ghislain Poissonnier. En saisissant la justice civile, nous espérons une décision plus rapide. »
Dans le viseur des défenseurs des droits de l’homme, les deux plateformes font notamment l’objet d’une campagne du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions). Chacune de son côté a tenté de limiter les « dégâts réputationnels » liés à leur complicité avec la colonisation d’Israël. En 2018, Airbnb a brièvement annoncé mettre fin à sa présence en Cisjordanie avant de faire volte-face.
Depuis 2019, elle reverse les bénéfices issus de ces territoires qu’elle qualifie de « contestés » à l’Institut pour l’économie et la paix (IEP), un choix « extrêmement cynique », estime Imen Habib, coordonnatrice de BDS France, « car le groupe Airbnb fait lui-même obstacle à la paix en soutenant la colonisation ».
Fondé à Sydney en 2007, l’IEP prétend « étudier la relation entre la paix, les affaires et la prospérité » et publie, chaque année, un « index global de la paix » qui classe les pays en fonction d’un « baromètre » établi par ses soins. Longtemps classé « moyen », le « niveau de paix » d’Israël est curieusement passé à « haut » en 2022 et 2023, avant de retomber en fin de liste en 2024.
Bénéficier de fonds tirés d’une politique illégale ne lui pose-t-il aucun problème ? À cette question, pas de réponse de l’IEP. De son côté, Booking.com a consenti à faire figurer la localisation « Palestine » et à préciser le statut de « colonie israélienne » de ses locations.
Un millier de sociétés impliquées dans « l’économie du génocide »
Airbnb et Booking.com figurent, depuis 2020, dans la base de données du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU répertoriant près d’une centaine d’entreprises actives dans les colonies. Une liste loin d’être exhaustive : dans un rapport récent, la rapporteuse spéciale de l’ONU en charge des territoires palestiniens estime à « au moins un millier » le nombre de sociétés impliquées dans « l’économie du génocide » d’Israël.
« Booking.com a plus que doublé ses listes en Cisjordanie, écrit Francesca Albanese, passant de 26 en 2018 à 70 en mai 2023. » Quant à Airbnb, « elle a également amplifié les profits tirés des colonies », poursuit-elle dans son rapport. Entre 2016 et 2025, le nombre de logements proposés est passé de 139 à 350, la plateforme collectant au passage une commission de 23 %.
Un commerce florissant alors que, parallèlement, la violence exercée par Israël sur les Palestiniens de Cisjordanie ne fait que croître. « Entre le 7 octobre 2023 et le 1er juillet 2025, plus de mille Palestiniens des territoires occupés ont été assassinés, dont 202 enfants », comptabilise Imen Habib.
Jardin privé, piscine, sauna, vignobles, ferme écologique : les colonies israéliennes proposées par les plateformes promettent des séjours de rêve à leurs clients. Qu’importe le génocide mené tambour battant à Gaza, l’enclave martyre. Qu’importe si, un peu partout en Cisjordanie, les Palestiniens voient leurs oliveraies arrachées, leurs puits empoisonnés, leurs habitations détruites – quand ils ne sont pas eux-mêmes tout simplement abattus.
Qu’importe si, à Giv’on Hahadasha comme ailleurs, les Palestiniens dépossédés ne sont autorisés à revenir sur leurs terres qu’au bon vouloir des colons israéliens. Pour les touristes de passage, rien n’est trop beau. « Le matin, vous entendrez les oiseaux chanter », promet Jenny à ses hôtes.
Elisabeth Fleury
L'Humanité du 18 août 25
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