La décision de la Cour pénale internationale permet de sortir du « deux poids, deux mesures » des dirigeants occidentaux, « une posture dangereuse pour l’avenir des institutions », affirme Beligh Nabli, juriste et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Comment accueillez-vous cette délivrance des mandats d’arrêt de la CPI ?
Disons que la CPI était vraiment sous pression, dans la mesure où il était tout à fait exceptionnel que les juges prennent autant de temps à répondre à la demande de délivrance des mandats d’arrêt de la part du procureur. Nous n’avons pas de précédent d’une telle durée. Mais la pression était aussi d’une autre nature, puisqu’on a appris qu’Israël et ses alliés, les États-Unis compris, ont fait pression sur les juges de la CPI précisément pour ne pas délivrer de tels mandats, ce qui peut expliquer en grande partie un tel délai.
Que peut-on en attendre concrètement ?
Tous les États membres de la CPI, c’est-à-dire ceux qui ont signé et ratifié le Statut de Rome, ont l’obligation d’exécuter ces mandats d’arrêt. Dans l’hypothèse où Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense se rendraient sur leur territoire, ils seraient dans l’obligation de les arrêter et de les remettre à la Cour pénale internationale. Quant aux autres États, ils ne sont pas formellement liés.
Ce qui ne veut pas dire qu’ils pourront, comme les États-Unis, complètement ignorer cette décision : je pense notamment aux juridictions américaines qui pourraient prendre en considération l’existence de tels mandats. Israël est certes une puissance alliée, mais a aussi perpétré des crimes internationaux qui font l’objet de poursuites à la fois devant la CPI et devant la Cour internationale de justice.
Justement, pourrait-on assister à un soutien moins poussé de la part des États-Unis ou des autres chancelleries occidentales envers Israël ?
Le conflit qui a lieu à Gaza a une dimension historique. Outre la nature exceptionnelle des crimes qui y sont commis, nous assistons aussi, à travers la réaction des puissances occidentales, aux prémices de l’effondrement du système international qui est né après la Seconde Guerre mondiale.
Alors même que les États-Unis ont poussé à l’institution du système onusien et, même s’ils n’ont pas ratifié le traité, à la création de la CPI, ce sont ces mêmes puissances occidentales qui, aujourd’hui, par leur soutien inconditionnel à Israël, participent grandement à l’effondrement de ce système.
Que ce soit en bloquant le Conseil de sécurité ou en assumant une violation du droit international, alors même que, contrairement aux régimes auxquels elles souhaitent s’opposer – je pense à la Russie et à la Chine –, les puissances occidentales sont des États de droit démocratiques. Cette contradiction est d’autant plus aiguë que la guerre en Ukraine suscite des réactions complètement différentes, c’est un double standard politique et moral.
Les négociations pour un cessez-le-feu sont toujours au point mort. Cette décision représente-t-elle un pas vers la paix ?
Ce qui est intéressant, c’est que c’est une décision de nature judiciaire et pas politique. Elle vient toutefois s’entrechoquer avec un autre événement – politique, celui-là – de la veille : le rejet (au Conseil de sécurité de l’ONU) de la résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, après que les États-Unis ont usé de leur droit de veto.
L’intérêt, c’est que l’acte judiciaire qui est rendu vient ouvrir une brèche, une perspective qui n’existe pas aujourd’hui sur le plan politique et diplomatique, dans la mesure où Israël continue de bénéficier d’un soutien de ses principaux alliés. La décision de la CPI pourrait-elle, pour autant, stopper les offensives ? Je ne pense pas, eu égard à la réaction du premier ministre israélien, qui est dans la défiance la plus totale vis-à-vis du système international : après avoir traité l’ONU d’antisémitisme, il récidive avec la CPI.
C’est aussi extrêmement intéressant car, en se saisissant de cette affaire, la CPI envoie le message suivant : c’est la nature même du régime israélien qui pose problème. Puisque la compétence de la CPI est subsidiaire, c’est-à-dire qu’elle ne se saisit de l’affaire que lorsque les États des personnes poursuivies n’ont pas la capacité de garantir les poursuites judiciaires ou les enquêtes judiciaires légitimes. C’est donc que la nature de l’État israélien, aujourd’hui, n’offre plus les garanties d’un État de droit susceptible de poursuivre des criminels internationaux tels que le premier ministre, le ministre de la Défense et les soldats de l’armée israélienne.
Axel Nodinot
L'Humanité du 21 novembre 2024
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