Mahmoud Alhaj. – « Fragile No.5 », 2020 © Mahmoud Alhaj - www.mahmoudalhaj.com - Uxval Gochez Gallery, Barcelone |
Le redressement spectaculaire de la stature à domicile du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au cours des derniers mois est la preuve — s’il en fallait — de la capacité à rebondir de ce personnage politique. Une faculté qui explique son exceptionnelle longévité au pouvoir. Certes, M. Netanyahou avait déjà commencé depuis le printemps à regagner en popularité au sein de la partie la plus droitière de l’opinion publique israélienne, et ce en résistant à la pression de l’administration américaine — particulièrement timide, il est vrai — en faveur de la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et d’échange de détenus avec le Hamas.
En mai, il avait lancé ses troupes à l’assaut de la ville de Rafah et du reste de la zone frontalière avec l’Égypte en dépit des exhortations de Washington. Il supprimait ainsi le principal attrait du projet de cessez-le-feu aux yeux de la direction du Hamas dans l’enclave. Puis, en proclamant son refus de retirer ses troupes de Rafah, ne serait-ce que temporairement, comme le préconisaient le commandement militaire et M. Yoav Galant, son ministre de la défense et principal rival politique au sein de son parti, le Likoud, le premier ministre mettait fin à toute perspective sérieuse d’accord avec le mouvement palestinien et s’attirait la colère de l’Égypte, furieuse de perdre le contrôle du passage entre Gaza et son territoire, sur lequel elle avait la haute main jusque-là.
M. Netanyahou faisait ainsi ouvertement fi des desiderata du président américain. Il n’avait aucune envie de faire à M. Joseph Biden le cadeau d’une trêve assortie d’une libération d’otages, parmi lesquels des citoyens américains qui auraient été reçus en grande pompe à la Maison Blanche. En résistant avec beaucoup d’ingratitude à M. Biden, le chef du Likoud rendait un service à son concurrent dans la course présidentielle, M. Donald Trump. Le retrait de la candidature du président en exercice et son désistement en faveur de sa vice-présidente, Mme Kamala Harris, n’étaient pas de nature à changer la donne pour M. Netanyahou. Il avait au contraire de bonnes raisons de craindre que Mme Harris ne pratique à la Maison Blanche une politique proche-orientale davantage alignée sur celle de l’un des mentors de sa campagne, M. Barack Obama, que sur celle de M. Biden.
L’enjeu prioritaire reste le programme nucléaire de Téhéran
On se souvient des rapports tendus entre MM. Netanyahou et Obama. Le premier, arrivé aux commandes en 2009, peu de temps après l’investiture du second, a mené contre lui une guérilla politique permanente en s’appuyant sur les républicains au Congrès. M. Netanyahou a renoué avec cette tactique quand il s’est agi de contrer les critiques de plus en plus ouvertes émises par M. Biden à son égard, ainsi que la préférence manifestée par le président américain et le Pentagone pour M. Galant, reçu à Washington à plusieurs reprises depuis le début de la guerre de Gaza. Le 24 juillet, les républicains ont donc invité le premier ministre israélien à s’adresser au Congrès pour la quatrième fois. À cette occasion, M. Netanyahou a battu le record qu’il détenait avec Winston Churchill. Pourtant présidente du Sénat aux termes de la Constitution, Mme Harris n’a pas assisté à cette prestation — ce qui suggérait un manque de sympathie à l’égard du dirigeant israélien.
Il est d’ailleurs probable que l’entrée en lice de la vice-présidente, saluée au départ par un retournement des sondages en sa faveur, a pesé lourd dans les décisions ultérieures de M. Netanyahou. S’il pouvait se permettre de temporiser dans l’espoir d’une victoire électorale de M. Trump à l’élection du 5 novembre, en espérant qu’il lui laisserait des coudées encore plus franches que M. Biden, il n’était pas en mesure de prendre le risque de subir une victoire de Mme Harris susceptible de réduire ses marges de manœuvre. Car, pour le premier ministre israélien, la question prioritaire — au-delà de la terre de Palestine, objet des visées expansionnistes de la droite sioniste qu’il incarne — est celle de l’Iran (1), perçu comme la principale menace existentielle à laquelle Israël serait confronté depuis le changement de bord de l’Égypte à la fin des années 1970.
En cette même fin de décennie, l’Iran rompt avec l’Occident au terme de la révolution khomeiniste de février 1979. Empêtré au cours des années 1980 dans une guerre meurtrière avec l’Irak et privé d’armements sophistiqués par divers embargos, Téhéran s’emploie à construire progressivement un réseau idéologico-militaire régional en mesure de le suppléer contre les États-Unis et leurs alliés régionaux, dont Israël. La République islamique avait d’emblée adopté une posture farouchement hostile au « Grand Satan » américain et à son partenaire israélien, dont elle jurait la perte. Cette posture a constitué l’argument idéologique principal du régime iranien dans sa quête d’influence auprès des mondes arabe et musulman — au-delà des communautés chiites, sa cible prioritaire en vertu de sa nature théocratique et confessionnelle.
L’Iran a ainsi établi et développé des liens avec les Frères musulmans à partir de 1990. La confrérie refuse alors de soutenir le déploiement des forces armées américaines sur le territoire du royaume saoudien — prélude à l’intervention contre l’Irak et ses troupes d’occupation au Koweït — et rompt avec Riyad. Si l’attention prioritaire de Téhéran va à la branche palestinienne des Frères, le Hamas, il se rapproche aussi d’une organisation concurrente sur le même terrain idéologique : le Djihad islamique.
De leur côté, les autorités israéliennes en viennent à nourrir une véritable obsession iranienne après qu’il s’avère, au tournant du siècle, que la République islamique a secrètement relancé le programme nucléaire inauguré sous le régime du chah. Nul doute que l’Iran vise à se doter de l’arme nucléaire, estime-t-on à Tel-Aviv, ce qui abolirait le monopole régional dont dispose Israël depuis les années 1960. Pareil spectre, combiné à un complexe d’annihilation — déterminé par le référent de la Shoah autant que par l’exiguïté relative du territoire —, explique la détermination des dirigeants israéliens à frapper un grand coup contre l’Iran, en visant prioritairement ses installations nucléaires.
Une guerre de destruction et de réoccupation de Gaza
En 2009, quelques jours avant l’investiture de M. Obama, le New York Times publie une enquête. Son correspondant en chef à Washington, David E. Sanger, y établit que le gouvernement israélien a, depuis le début de l’année précédente, la dernière de la présidence de M. George W. Bush, demandé la fourniture en urgence de bombes américaines guidées antibunker GBU-28 (pesant plus de deux tonnes et longues de près de six mètres), ainsi que l’autorisation pour son armée de survoler le territoire irakien, alors occupé par les forces américaines, afin de frapper le principal site nucléaire iranien de Natanz (2). Si l’administration Bush oppose alors un refus — de crainte qu’une action israélienne n’expose dangereusement ses troupes —, elle avait déjà commandé 55 bombes GBU-28 pour le compte d’Israël en 2007, avec une livraison prévue en 2009.
M. Obama autorise celle-ci au cours de la première année de son mandat (3). Mais cela n’empêche pas la détérioration ultérieure des rapports avec M. Netanyahou. Le président américain critique publiquement l’expansion des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie. Le principal désaccord entre les deux hommes a cependant trait à l’Iran : car, en un sens, le feu vert du président à la fourniture des bombes antibunker à Israël avait augmenté la pression sur Téhéran pour l’amener à conclure un accord diplomatique sur la limitation de son programme nucléaire.
Il fut scellé en 2015, au grand dam de M. Netanyahou et du royaume saoudien, autre ennemi historique du régime iranien, tous deux persuadés que, en allégeant la pression économique sur l’Iran, le plan d’action global commun signé à Vienne n’allait pas l’empêcher de continuer clandestinement son programme d’armement nucléaire, ni de poursuivre son expansion régionale, favorisée par le fiasco occidental en Irak et par le retrait des troupes américaines de ce pays, achevé en 2011. La guerre civile qui a éclaté en Syrie à la suite du soulèvement populaire, en 2011 également, puis celle qui a déchiré le Yémen en 2014 ont offert à Téhéran l’occasion d’accroître son influence au Proche-Orient.
En novembre 2016, l’élection de M. Trump fait donc le bonheur de M. Netanyahou et des dirigeants saoudiens. Pour sa première visite à l’étranger, le nouveau président se rend à Riyad, en mai 2017. Un an plus tard, le 8 mai 2018, après avoir entrepris dès octobre 2017 des démarches à cette fin, le républicain fait sortir officiellement son pays de l’accord laborieusement négocié. Il concrétise ainsi une promesse de campagne en faisant fi des protestations des dirigeants des États européens signataires — l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni — et de l’Union européenne. Le locataire de la Maison Blanche inaugure la dernière année de son mandat avec l’assassinat en janvier 2020 à Bagdad du général Ghassem Soleimani, chef des forces Al-Qods, corps d’intervention à l’étranger des gardiens de la révolution iraniens (4).
Au cours de sa campagne en 2020, M. Biden se présente comme l’anti-Trump — de la même façon que M. Trump s’était érigé en anti-Obama et avait cherché à démanteler, l’une après l’autre, les réalisations de son prédécesseur. Sur le Proche-Orient, M. Biden promet de rétablir l’accord sur le nucléaire et de rouvrir le consulat des États-Unis à Jérusalem-Est ainsi que la mission de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington, fermés par M. Trump. Il n’en fera rien. Loin de renouer avec la politique proche-orientale de M. Obama, dont il avait été le vice-président, le locataire de la Maison Blanche se révèle plutôt le continuateur de celle de M. Trump. La guerre de destruction et de réoccupation de Gaza menée par le gouvernement de M. Netanyahou lui donne même l’occasion de surpasser tous ses prédécesseurs en présidant à la première guerre véritablement conjointe d’Israël et des États-Unis (5). Les frictions occasionnelles ont quelque chose de dérisoire quand on les rapporte à l’ampleur du soutien militaire de Washington à Tel-Aviv (6).
« Aucune administration n’a aidé Israël plus que je ne l’ai fait, déclarait encore M. Biden le 4 octobre. Aucune, aucune, aucune. » Il reprochait alors au premier ministre israélien son ingratitude et se demandait si celui-ci n’avait pas bloqué l’accord de cessez-le-feu à Gaza afin de favoriser le candidat républicain (7). En juillet, à l’occasion de sa venue à Washington pour son discours au Congrès, M. Netanyahou s’était pourtant fendu d’un vibrant éloge : « D’un fier sioniste israélien à un fier sioniste irlando-américain, je veux vous remercier pour cinquante ans de service public et cinquante ans de soutien à l’État d’Israël (8). » L’hommage à un homme qui venait alors de céder sa place de candidat à sa vice-présidente était certainement sincère.
Passage du relais de M. Biden à Mme Harris, visite de M. Netanyahou à M. Trump dans sa propriété de Mar-a-Lago en Floride : à la fin du mois de juillet s’est ouverte une nouvelle phase de la guerre. M. Netanyahou se devait de mettre à profit la fin de mandat de M. Biden : dans la meilleure hypothèse pour lui, M. Trump prendrait le relais et permettrait même d’amplifier l’offensive israélienne ; dans le pire des cas, Mme Harris hériterait d’une implication des États-Unis avec laquelle il lui faudrait composer.
L’attaque du Hamas a cruellement souligné la perte de crédibilité dissuasive d’Israël. Le pays avait subi sa première défaite militaire — comparable à celle, américaine, au Vietnam — en se retirant du Liban sans conditions en l’an 2000. Nouveau fiasco en 2006 face au même Hezbollah, qui a considérablement renforcé ses moyens militaires depuis lors. Et c’est impuissant, à l’exception de frappes épisodiques sur le territoire syrien, qu’Israël a assisté à l’expansion du réseau militaire iranien dans son environnement régional au cours des douze dernières années.
Quant à Gaza, les assauts meurtriers et à répétition lancés par Israël depuis 2007, le plus souvent en riposte à des tirs de roquettes du Hamas ou du Djhad islamique, n’ont pas dissuadé les deux organisations palestiniennes de poursuivre sur leur lancée. La « doctrine Dahiya », qui consiste à infliger des pertes et dommages disproportionnés à l’environnement de la force ennemie, incite au crime de guerre puisqu’elle appelle ouvertement à s’en prendre aux civils (9). Elle avait déjà été appliquée à deux reprises à Gaza, en 2008-2009 et 2014, après sa mise en œuvre au Liban en 2006 dans la banlieue sud de Beyrouth (la Dahiya), fief du Hezbollah (lire « À Beyrouth, sous les bombes »).
Dans ce dernier cas, la dissuasion avait fonctionné. Jamais depuis 2006 le Hezbollah n’avait réitéré une action transfrontalière comme l’attaque du 12 juillet de cette année-là, qui avait déclenché la guerre des 33 jours. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait lui-même reconnu publiquement, le 27 août 2006, que s’il avait su que la riposte israélienne allait être aussi meurtrière et destructrice, il n’aurait pas donné son feu vert à cette opération (lire« Le Hezbollah après Nasrallah ») (10). La résistance du Hezbollah ayant été remarquable, l’Iran le dotera d’un arsenal impressionnant de missiles de divers calibres. Le Parti de Dieu a ainsi imaginé avoir atteint un état de « dissuasion mutuelle » avec Israël : une coexistence relativement pacifique, fondée sur la capacité partagée d’infliger des dommages significatifs à l’adversaire. Il devenait par la même occasion un atout majeur dans le rapport d’équilibre régissant la relation entre Israël et la République islamique, elle-même dotée d’une importante force de frappe conventionnelle, en sus de son dispositif régional.
Par sa témérité, et du fait de son succès meurtrier allant au-delà des attentes de ses concepteurs — même si, selon les sources israéliennes, il y eut plus de tués parmi les assaillants que parmi les Israéliens ce jour-là —, l’assaut mené par le Hamas le 7 octobre 2023 a porté l’exaspération israélienne à son comble. M. Netanyahou a été accusé d’avoir mis Israël en danger : afin d’entretenir la division palestinienne et d’écarter toute pression en faveur de la reprise du processus de paix, il avait permis au mouvement islamique de consolider son pouvoir à Gaza et de bénéficier du financement du Qatar (11). Que l’Iran ait répondu ne fût-ce que de façon minimale et indirecte à l’appel aux « frères de la résistance islamique au Liban, en Iran, au Yémen, en Irak et en Syrie » lancé par le Hamas au matin du 7 octobre, les exhortant à le rejoindre dans son combat, souligne à quel point Israël a perdu de sa crédibilité dissuasive (12).
Téhéran a alors activé son dispositif régional en incitant ses partenaires — Hezbollah au Liban, milices chiites en Irak et houthistes au Yémen — à se lancer dans une guerre d’usure de basse intensité. Seul le régime de M. Bachar Al-Assad est resté prudemment à l’écart, continuant à empêcher toute action contre l’occupation israélienne du Golan syrien à partir de son territoire. Des trois auxiliaires de l’Iran, c’est le Hezbollah libanais qui a le plus gêné Israël : bien que restreint à une zone limitée de part et d’autre de la « ligne bleue », l’échange de bombardements a forcé l’armée israélienne à concentrer des troupes à sa frontière nord et entraîné le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de civils, même si le mouvement de population du côté libanais a été encore plus important.
Israël a joué le jeu de l’autolimitation au Nord tant qu’il était engagé massivement à Gaza. Car il ne s’agissait plus de représailles disproportionnées exercées dans l’enclave, mais bien de sa réoccupation, avec à la clé destructions d’une ampleur inouïe et massacres dans des proportions génocidaires. La dissuasion a ainsi été portée à son comble à l’égard des Palestiniens, ce qui explique pourquoi ceux de Cisjordanie, bien qu’ayant applaudi en majorité l’action du Hamas, se sont abstenus de répondre à l’appel que leur avait lancé le mouvement islamiste à se joindre à son combat par tous les moyens. Une fois la réoccupation de Gaza achevée pour l’essentiel, les forces armées israéliennes ont d’ailleurs lancé des attaques contre diverses localités de Cisjordanie, et renoué avec le niveau de violence atteint en 2002 lors de la répression de la seconde Intifada.
Washington a fourni à Tel-Aviv une batterie de missiles antibalistiques
Israël a, en revanche, dosé ses coups durant plusieurs mois contre le Hezbollah. Contrairement à la violence aveugle infligée à Gaza, c’est au moyen de « frappes chirurgicales » qu’il a tué plusieurs centaines de membres du parti, jusqu’à l’offensive de septembre dernier, avec un rapport civils-militants inverse de celui de Gaza. C’était là le prélude d’une intervention longtemps promise. En même temps qu’elles se retournaient contre la Cisjordanie, les forces armées israéliennes préparaient leur entrée au Liban. Et, contrairement à leur offensive à Gaza, où elles ont opéré à la manière d’un bulldozer, elles ont pris soin de déployer contre le Hezbollah une stratégie militaire très élaborée. Après l’attaque aux bipeurs (17 et 18 septembre) et la mort de Nasrallah (27 septembre), Israël n’a pas tardé à inclure des incursions de troupes au sol dans la zone frontalière libanaise. Et la duplicité de M. Biden a été mise au jour par la rallonge d’aide militaire de 8,7 milliards de dollars accordée à Tel-Aviv, comme pour le soutenir au Liban, et par les félicitations adressées pour l’assassinat de Nasrallah (13).
M. Netanyahou triomphait et l’Iran perdait la face, accusé dans les rangs mêmes du Hezbollah libanais d’avoir utilisé ses alliés sans vraiment se mouiller dans la bataille, ni même leur porter secours. Téhéran a bien essayé de se dédouaner en effectuant un second lancement de missiles sur Israël le 1er octobre. Un degré a été franchi dans l’escalade par l’emploi de missiles balistiques plus difficiles à intercepter que les drones et missiles de croisière prédominants en avril dernier. Mais l’attaque est restée limitée et d’un impact minime, témoignant de la crainte de Téhéran d’être entraîné dans un conflit de grande envergure qui impliquerait les États-Unis, et peut-être même leurs alliés régionaux, et pourrait créer une situation propice à un soulèvement de masse contre le régime des mollahs, honni par une grande partie de sa propre population.
À l’heure où nous mettons sous presse, une question reste en suspens : qu’en sera-t-il de la riposte israélienne à l’attaque iranienne du 1er octobre ? M. Netanyahou rêve d’asséner à l’Iran un grand coup qui retarderait son programme nucléaire de plusieurs années et lui garantirait sa place éminente au palmarès des héros du sionisme. Il subit également la pression de ses alliés d’extrême droite. De leur point de vue, la poursuite de tout autre objectif que les installations nucléaires serait signe de faiblesse. Le premier ministre ne saurait, par ailleurs, s’en prendre aux installations pétrolières iraniennes sans risquer une riposte de Téhéran dans le Golfe, qui provoquerait une grave crise dans l’économie mondiale et envenimerait les rapports d’Israël avec les monarchies pétrolières arabes.
Pour attaquer les installations nucléaires de l’Iran, du fait de la taille du pays et de son éloignement géographique, il faudrait toutefois à Israël plus que la participation indirecte des États-Unis, comme à Gaza ou au Liban : elle devra cette fois être directe. Un pas dans cette direction a été franchi par M. Biden, qui a, en octobre, envoyé en Israël une batterie de missiles antibalistiques d’interception à haute altitude Thaad accompagnée d’une centaine de militaires pour sa mise en œuvre, exposant ainsi des soldats américains à être atteints par une éventuelle riposte iranienne. Une fois de plus, en armant et protégeant l’allié israélien, l’action de l’administration Biden contredit de manière flagrante ce qu’elle laisse entendre sur les pressions qu’elle exercerait sur lui afin de contenir sa réaction.
Reste qu’une destruction effective des installations nucléaires iraniennes souterraines nécessiterait plus que les bombes d’une tonne, dont plusieurs dizaines furent larguées pour assassiner Nasrallah ; davantage que les bombes guidées antibunker GBU-28 de deux tonnes livrées par M. Obama à Israël. Il ne faudrait pas moins que des GBU-57 pesant de douze à quinze tonnes chacune, et dotées d’une force de pénétration de soixante mètres de profondeur. Or Israël ne possède ni ces bombes ni les bombardiers stratégiques indispensables à leur utilisation (14). Dès lors, il est fort possible que M. Netanyahou et son armée optent pour une nouvelle frappe visant indirectement les installations nucléaires en s’en prenant à leur système de défense, comme ce fut le cas en avril dernier, mais à plus grande échelle.
La suite dépendra de l’issue de la présidentielle américaine le 5 novembre. La probabilité d’une offensive commune américano-israélienne contre l’Iran se trouverait renforcée par l’élection de M. Trump et plutôt amoindrie par celle de Mme Harris. À moins qu’Israël ne parvienne à entraîner l’Iran dans un engrenage menant à cette fin.
par Gilbert Achcar
Le Monde-Diplomatique (Novembre 2024)
Gilbert Achcar
Professeur à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’université de Londres. Auteur du livre Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits, Sindbad-Actes Sud, Arles, 2009.
(1) Lire Akram Belkaïd, « Israël-Iran, la guerre qui vient », Le Monde diplomatique, mai 2024.
(2) David E. Sanger, « US rejected aid for Israeli raid on Iranian nuclear site », The New York Times, 10 janvier 2009.
(3) Eli Lake, « Obama arms Israel », Newsweek, New York, 25 septembre 2011.
(4) Lire « Danse du sabre entre l’Iran et les États-Unis », Le Monde diplomatique, février 2020.
(5) Lire « Les États-Unis à la rescousse », dans Manière de voir, n° 193, « Israël-Palestine, une terre à vif », février-mars 2024.
(6) Jack Mirkinson, « Biden is mad at Netanyahu ? Spare me », The Nation, New York, 13 février 2024.
(7) Colleen Long, « Biden says he doesn’t know whether Israel is holding up peace deal to influence 2024 US election », Associated Press, 4 octobre 2024.
(8) Tovah Lazaroff, « Netanyahu to Biden : “From one zionist to another, thank you for 50 years of friendship” », The Jerusalem Post, 25 juillet 2024.
(9) Lire « Quel avenir pour Gaza ? », Le Monde diplomatique, juin 2024.
(10) Gilbert Achcar et Michel Warschawski, La Guerre des 33 jours. La guerre d’Israël contre le Hezbollah au Liban et ses conséquences, Paris, Textuel, 2007.
(11) Adam Raz, « A brief history of the Netanyahu-Hamas alliance », Haaretz, Jérusalem, 20 octobre 2023.
(12) Muhammad Dayf, « “Nous annonçons le début du Déluge d’Al-Aqsa” », Oasis, 8 novembre 2023, www.oasiscenter.eu
(13) « Israel says it has secured $8.7 billion US aid package », Reuters, 26 septembre 2024.
(14) John Paul Rathbone, « Can Israel destroy Iran’s nuclear facilities by itself ? », Financial Times, Londres 4 octobre 2024.
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