Un caméraman de l’AFP filme la ville de Gaza, pendant une attaque aérienne de l’armée israélienne, le 12 octobre 2023. (Photo by MOHAMMED ABED / AFP) |
Au moins 21 journalistes auraient déjà été tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, soit autant que depuis 2001 dans cette enclave. Ces chiffres ont été révélés par le Comité de la protection des journalistes (CPJ), jeudi. Parmi les morts, dix-sept Palestiniens, trois Israéliens et un Libanais.
En tant que secrétaire du syndicat des journalistes palestiniens, quelle est aujourd’hui votre principale préoccupation ?
Depuis le 7 octobre, nous avons perdu dix-sept journalistes, tués dans des bombardements dans la bande de Gaza. Certains ont été tués avec leur famille, dans leurs maisons, d’autres sur le terrain alors qu’ils couvraient les événements. Nous avons également collecté des informations sur vingt journalistes blessés. La situation est très difficile : il n’y a pas de téléphone, d’e-mail, il est très compliqué de contacter nos collègues. Cinquante bureaux d’agences, de médias ont été détruits. Un photographe de l’AFP à Gaza a également été blessé le 12 octobre, à l’intérieur même de son bureau touché par un tir de missile sur un immeuble voisin. Enfin, trois autres ont disparu : je ne sais pas s’ils sont morts ou s’ils ont été arrêtés. Des dizaines d’autres ont vu leur maison détruite, là encore nous avons des difficultés à collecter toutes les informations. Ils encourent tous un grand danger, sans eau, sans électricité. La plupart sont d’ailleurs réfugiés près des hôpitaux de Gaza et Khan Younes. Les agences de presse, arabes ou internationales, se sont déplacées au sud de la bande de Gaza.
Comment parvenez-vous à les joindre, à obtenir des informations à leur sujet ?
J’ai pu appeler quelques collègues aujourd’hui, certains dorment à même le sol, d’autres dans leur voiture, sans nourriture ni eau. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point la situation est critique. Quand je leur demande comment ils vont, ils me répondent : « Je suis toujours en vie. » Certains pleurent, n’ont pas de nouvelles de leur famille. Un de mes amis, qui travaille pour Al-Arabiya, avait envoyé sa famille dans le sud de Gaza. Ils ont été touchés par des tirs. Il m’a dit : « Mon travail est l’actualité, et ma famille est devenue l’actualité… »
Quelles sont les actions de votre syndicat pour leur venir en aide ?
Notre devoir premier est d’assurer un suivi, et rapporter leur situation, à tous les médias, aux autres syndicats de journalistes du monde entier et à la Fédération internationale des journalistes basée à Bruxelles. Nous achetons également des batteries, des trousses de première urgence, des tentes pour qu’ils puissent dormir dans ou à proximité des hôpitaux dans lesquels beaucoup ont trouvé refuge. Nous avons deux compagnies téléphoniques en Palestine : nous leur avons envoyé une liste de journalistes avec leurs numéros, et elles débloquent leurs forfaits pour qu’ils puissent téléphoner et avoir accès à internet. Mais l’urgence, c’est que l’Unesco et les Nations unies, que nous alertons sans cesse, les protègent : c’est leur responsabilité. La protection des journalistes en Palestine est un problème international. Mais ils ne font rien, ils ne nous ont même pas répondu.
Quels sont les difficultés et les dangers pour les journalistes, ici en Cisjordanie ?
Le danger est énorme. Nous avons recensé cinquante attaques depuis le 7 octobre en Cisjordanie et à Jérusalem, commises par la police, l’armée ou les colons. Il est très difficile de se déplacer entre les différentes villes. Moi, je suis de Jénine et ma famille y habite, mais je vis à Ramallah et depuis plusieurs mois je ne peux pas retourner à Jénine. Nous demandons aux journalistes de ne travailler que dans leur gouvernorat (les divisions administratives palestiniennes, NDLR), car se rendre ailleurs est trop dangereux.
Recevez-vous des soutiens internationaux ?
Jusqu’ici, non, sauf de la part d’autres syndicats. Mais sinon, rien. Pas une annonce, pas un communiqué ! Où est la communauté internationale aujourd’hui ? Nous voulons qu’ils condamnent clairement ces crimes, et disent qu’Israël doit cesser d’attaquer et de tuer des journalistes. C’est une honte pour la communauté internationale. Depuis 2000, 65 journalistes palestiniens ont été tués. Le gouvernement israélien les vise délibérément. Depuis 2012, nous avons recensé 9 000 attaques ou crimes d’Israël contre des journalistes palestiniens : certains ont perdu un œil, d’autres une main, une jambe. Tous ces actes sont documentés.
En 2022, nous avons déposé plainte auprès de la Cour pénale internationale pour le meurtre de Shireen Abu Akleh ainsi que d’autres journalistes tués : ils ont juste accusé la réception de la plainte. Depuis un an et demi, pas d’autre réponse. Cela signifie qu’ils donnent un blanc-seing à Israël pour continuer leurs attaques. Tout ceci est une mascarade. Nous faisons tout notre possible pour dire la vérité ici, il suffit d’ouvrir les yeux. Mais nous faisons face à une machine de propagande très forte pour Israël.
L'Humanité du 20 octobre 2023
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