Soudan : les généraux s’affrontent, les populations meurent

 

Le 10 juillet, à Al Hasashisa (135 km au sud-est de Khartoum), des familles fuyant les combats ont trouvé refuge dans une école. © AFP
Les combats qui ont commencé il y a maintenant trois mois à Khartoum se sont étendus à l’ensemble du pays. La situation est dramatique. La nourriture commence à manquer et des dizaines d’hôpitaux sont fermés, témoignent des habitants de la capitale joints par l’Humanité.
Vendredi, des nuages de fumée noire ont été aperçus près du quartier général de l’armée, dans le centre de Khartoum, ainsi que dans le sud. Les combats faisaient rage. Le Soudan plonge « dans la mort et la destruction » à une vitesse « sans précédent ». Le constat est terrible. Il émane du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
Les combats ont éclaté le 15 avril entre l’armée, commandée par le général Abdel Fattah Al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti ». Les deux hommes forts du pays ont écarté les civils qui avaient renversé le dictateur Omar El-Bechir, le 11 avril 2019, après des semaines de manifestations. Burhane et Hemedti faisaient partie du sérail présidentiel.
Leurs affrontements pour le contrôle du pouvoir ont déjà fait près de 3 000 morts, selon l’ONG Acled, spécialisée dans la collecte d’informations dans les zones de conflit. L’ONU fait état de 3 millions de déplacés et de réfugiés, dont plus d’un million et demi sont partis de Khartoum.
740 000 Soudanais ont fui vers les pays voisins. Des millions d’autres restent bloqués chez eux de peur d’être pris dans les feux croisés d’une guerre urbaine brutale. Les médicaments et les vivres restent rares, car les organisations humanitaires peinent à circuler et les cargaisons arrivées par avion sont souvent bloquées.
Les Nations unies ont lancé deux appels aux donateurs pour faire face à la crise : l’aide humanitaire au Soudan même et celle destinée aux réfugiés dans les pays d’accueil. Ils s’élèvent au total à 3 milliards de dollars cette année, mais sont financés à moins de 17 % jusqu’à présent.
De nombreux responsables de l’aide d’urgence onusiens ont d’ailleurs fait remarquer que, pour l’Ukraine, les fonds avaient été rapidement versés, dans les semaines ayant suivi l’invasion russe, mais que ces donateurs n’ont pas la même célérité s’agissant du Soudan.

Hôpitaux bombardés et pénurie de médicament
Ces chiffres dramatiques ne traduisent pas la souffrance et la peur quotidiennes des Soudanais. Nous avons pu joindre par téléphone plusieurs habitants de Khartoum, où les combats, commencés il y a plus de trois mois, n’ont pratiquement pas cessé.
« Notre quartier est maintenant assiégé par les Forces de soutien rapide », raconte ainsi Salema, 56 ans, qui préfère taire son nom de famille. « Ils sont dans toutes les rues et les grandes artères. Il n’y a ni eau ni électricité dans les maisons. Ces FSR terrorisent les civils. Et les expulsent de force de leurs maisons pour s’y réfugier. » Elle-même, avec sa famille, a été contrainte de fuir les affrontements. Sa maison a été endommagée par un obus. Elle vit actuellement à Omdurman, située juste en face de Khartoum, sur l’autre rive du Nil.
Sahar, elle, n’a que 20 ans. Étudiante, elle devait passer ses examens juste après les fêtes de ramadan. Les généraux en guerre en ont décidé autrement.
« Dès le 16 avril, l’électricité a été coupée dans la maison. Nous n’en avons toujours pas. Des missiles ont commencé à tomber sur notre quartier, les maisons tremblaient et nous, nous étions morts de peur. Il y avait tellement d’incendies, tellement de fumée qu’on aurait dit que le ciel était peint en noir », se souvient-elle pour l’Humanité, des frémissements dans la voix.
Mais il faut aussi affronter cet enfer pour se ravitailler. « Mon frère a dû marcher sur de longues distances dans la chaleur à la recherche de pain et d’eau, mais le pain est très cher et rare car il n’y a plus de farine. Au bout d’un moment, nous avons dû partir chez ma grand-mère dans une zone où il y avait encore de l’électricité, mais elle a été coupée le 28 avril. Nous avons dû prendre l’insuline de ma grand-mère et la stocker dans la maison d’un voisin où ils avaient un générateur. Les quelques pharmacies qui étaient encore ouvertes les premières semaines sont dorénavant fermées. Nous n’avons aucun moyen d’obtenir des médicaments pour le diabète ou l’hypertension artérielle. »
Sahar parle des hommes des FSR, qui « pillent les maisons et ont menacé le vendeur de lait qui venait avec sa charrette tirée par un âne. Ils lui ont dit de ne plus venir dans cette rue et nous n’avons plus de lait pour ma nièce de 4 ans, qui, déjà, n’a pas pu finir son cycle de vaccinations ».
Depuis le début du conflit, près de 70 % des hôpitaux situés à proximité des zones de conflit au Soudan sont hors service, indiquait récemment le syndicat des médecins soudanais. Sur les 89 principaux hôpitaux de Khartoum et des différents États du pays, 60 sont inutilisables.
Au moins 17 hôpitaux ont été bombardés et 21 autres ont été évacués de force depuis le début de la guerre. Des ambulances n’ont pas été autorisées à passer pour transporter les patients.
Sara Mohamed, 30 ans, est docteur depuis quatre ans à l’hôpital pédiatrique Elsewedy de Khartoum, au sein de l’unité néonatale de soins intensifs. « Pour moi, le 15 avril devait être un jour comme un autre, avec mon service régulier de douze heures », raconte-t-elle . « Lorsque nous avons appris que des affrontements avaient commencé, nous sommes restées calmes en pensant que c’était une situation temporaire. Nous avions un total de 30 nouveau-nés, y compris des bébés prématurés pesant moins de 1 kg et d’autres sur des ventilateurs mécaniques. L’approvisionnement en oxygène était critique pour leur survie. J’ai passé cinq jours d’affilée à l’hôpital, où deux collègues et moi nous sommes relayées. Malgré le stress, l’accablement et la peur, nous avons réussi à poursuivre le travail. » Une abnégation qui n’a pu vaincre ni le manque d’électricité et d’approvisionnement en eau, ni l’épuisement des stocks de médicaments.
« Alors que les conflits se poursuivaient, le 5 e jour, la zone où se trouve l’hôpital n’était plus sécurisée, et le générateur était à court d’essence » , poursuit la jeune femme. Résultat, l’établissement a été fermé et les petits patients évacués. « En tant que médecin, j’ai eu le cœur brisé pour ces bébés mais il était de ma responsabilité de continuer à les suivre par téléphone. Malheureusement, quelques-uns sont décédés en raison d’un retard ou d’un manque de soins médicaux. » Samedi, quatre civils ont été tués et quatre autres blessés après une attaque de drone menée par les FSR contre un hôpital d’Omdurman.

« La communauté internationale reste aveugle »
El Traifi Abuzer, 28 ans, étudiant, a rejoint un comité de la révolution à Omdurman « pour poursuivre les valeurs de la révolution, celles de la liberté, de la justice et de la paix ». Il dénonce les exactions commises tant par les soldats de l’armée que par ceux des milices FSR, notamment des violences sexuelles à l’encontre des femmes.
« Mercredi dernier, deux jeunes hommes ont été tués parce que des soldats ont essayé de voler leurs téléphones portables et lorsqu’ils ont résisté, ils ont été abattus », assure-t-il. Les comités de la révolution se concentrent aujourd’hui sur l’aide aux populations mais doivent également se prémunir contre les groupes armés. Ils tentent néanmoins de rassembler les habitants pour s’opposer à la guerre.
«  Le problème est que la communauté internationale reste aveugle à ce qui se passe en pensant que ne rien dire permettra de s’asseoir à la table des négociations », dénonce auprès de l’Humanité Amjad Farid, ancien conseiller du premier ministre civil de transition, Abdallah Hamdok. « Mais, en réalité, cela n’a fait qu’encourager les milices à commettre plus de crimes. Il n’y aura pas de stabilité au Soudan tant que les aspirations des Soudanais ne seront pas remplies, à savoir la démocratie, la justice et la liberté. »
De son côté, Fathi El Fadl, porte-parole du Parti communiste soudanais (PCS), dont le siège est occupé par les Forces de soutien rapide (FSR), insiste pour que les représentants des civils, « qui souffrent le plus dans cette guerre, jouent un rôle central dans le suivi de tout accord de cessez-le-feu. »
À l’exception de quelques trêves, aucune négociation n’a abouti à la mise en place d’un arrêt durable des combats. Les dirigeants des sept pays voisins du Soudan se sont mis d’accord, jeudi 13 juillet, au Caire, sur une nouvelle initiative menée par l’Égypte visant à résoudre le conflit.
Quelques jours auparavant, à Addis-Abeba, l’Igad (le bloc de l’Afrique de l’Est auquel appartient Khartoum) avait réclamé d’ « étudier un possible déploiement » au Soudan de la Force est-africaine en attente « pour protéger les civils et garantir l’accès humanitaire ». Mais, pour l’heure, les civils continuent de fuir et de mourir.

Pierre Barbancey
L'Humanité du 16 juillet 2023

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