Au Soudan, les médiations échouent et la crainte de régionalisation du conflit augmente

 

Plus de 3 millions de personnes ont été déplacées par le conflit au Soudan, selon l’Organisation international des migrations. Des réfugiés soudanais devant l’hôpital d’Adré, au Tchad, le 16 juin 2023. MOHAMMAD GHANNAM/MSF / VIA REUTERS
Tchad, Egypte, Ethiopie, Soudan du Sud : l’afflux de réfugiés et les répercussions économiques du regain de violences depuis avril alarment les voisins de Khartoum.
Depuis le 15 avril et le début des hostilités entre les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah Al-Bourhane et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemetti », toutes les tentatives de médiation internationale ont échoué. Les sommets s’enchaînent sans qu’aucune solution négociée ni cessez-le-feu durable ne se dessinent. Celui qui s’est tenu jeudi 13 juillet au Caire, en présence du président égyptien, l’un des plus fermes soutiens du général Al-Bourhane, et de six autres chefs d’Etats voisins du Soudan, n’a pas échappé à la règle. A son issue, les dirigeants réunis se sont dits « inquiets face à la détérioration de la situation » et ont souligné l’importance « d’empêcher la fragmentation du pays » sans être en mesure d’ébaucher un schéma de sortie de crise entre deux belligérants qui ne renoncent pas à l’idée d’une victoire totale sur leur adversaire.
Jusqu’ici, ceux-ci avaient profité des multiples trêves négociées à Jeddah, en Arabie saoudite, pour réorganiser leurs troupes et poursuivre leurs exactions sur la population. En trois mois, le conflit a fait plus de 3 000 morts civils et déplacé plus de 3 millions de personnes, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Constatant qu’aucun des engagements pris par les deux parties pour mettre en place des corridors humanitaires n’avait été respecté, les Etats-Unis ont annoncé, le 21 juin, la suspension des pourparlers de Jeddah, débutés deux mois plus tôt en Arabie saoudite. Face à cette impasse, l’Union africaine (UA) a alors élaboré un « plan pour la désescalade au Soudan », incluant des hommes politiques et des représentants issus de la société civile soudanaise susceptibles d’incarner une troisième voie. Sa feuille de route n’a cependant débouché sur aucun mécanisme concret de résolution de crise.

« Médiation concurrente »
Dans l’intervalle, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) a repris la main sur le dossier soudanais, tentant en vain d’organiser un tête-à-tête entre les deux généraux ennemis. Lors d’un sommet, lundi, à Addis-Abeba, l’organisation qui réunit les dirigeants de la Corne de l’Afrique a également envisagé le déploiement d’une force d’interposition est-africaine au Soudan pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et la protection des civils. Le projet a immédiatement été rejeté par les FAS, sous prétexte que toute intervention extérieure serait perçue comme « une agression et une atteinte à la souveraineté du pays ». Au-delà de la harangue nationaliste, l’armée multiplie les critiques à l’égard du président kényan, William Ruto, qui a pris la tête de la médiation est-africaine, l’accusant de faire le jeu des FSR.
« La compétition entre ces différentes initiatives est un problème. Il est urgent de créer un mécanisme de négociation unique. Pour le moment, l’agitation régionale ne fait qu’empirer la situation, chacune des deux armées pouvant se prévaloir de soutenir une médiation concurrente », estime Kholood Khair, la fondatrice du cercle de réflexion Confluence Advisory.
Confrontés à un afflux de réfugiés – près de 730 000 Soudanais ont fui leur pays du fait des derniers combats selon l’OIM –, les pays limitrophes ont de réelles raisons de s’inquiéter de leur propre déstabilisation. A ceci près que leurs missions de paix dissimulent mal les intérêts divergents qu’entretiennent certaines capitales avec les deux belligérants. « Ce n’est pas une guerre par procuration, mais un conflit dont les ramifications régionales sont profondes. S’il existe des soutiens, ils n’ont pas été suffisamment significatifs pour changer le cours de la guerre », analyse Kholood Khair.

De vieux alliés courtisés
A mesure que le conflit s’enlise, les FAS tentent de courtiser leurs vieux alliés, ravivant des liens tissés sous le régime d’Omar Al-Bachir. Avec Moscou tout d’abord, où le vice-président du Conseil souverain, Malik Agar, a rencontré le 30 juin Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, et où le général Al-Bourhane pourrait se déplacer lors du sommet Russie-Afrique des 27 et 28 juillet. Mais aussi avec Téhéran, alors que le ministre des affaires étrangères soudanais s’est entretenu en Azerbaïdjan avec son homologue iranien.
Parallèlement, le général Al-Bourhane tente de gagner l’appui de la Turquie, médiatrice possible selon lui. Quelques jours après son entretien téléphonique du 27 juin avec Recep Tayyip Erdogan, ses troupes recevaient à Port-Soudan une livraison d’au moins six drones Bayraktar. Les contrats auraient été passés un an et demi plus tôt et leur arrivée pourrait s’avérer précieuse pour les FAS, encerclées à Khartoum.
De leur côté, les FRS continuent de compter sur le soutien des Emirats arabes unis (EAU) qui semblent profiter des atermoiements internationaux pour poursuivre leur appui discret via les frontières qui entourent le Darfour, le fief de ces miliciens. Depuis le début de la guerre, les FSR, exploitant des routes de contrebande ont reçu notamment du carburant et de la nourriture en provenance de Libye et des zones contrôlées par le maréchal Haftar, proche d’Abou Dhabi.
Face à la pression de l’Egypte et aux bombardements répétés de l’armée régulière, le général Hemetti dépendrait, selon certaines sources, d’approvisionnement en provenance de la Centrafrique, dont les autorités se sont comme lui liées aux paramilitaires du groupe russe Wagner. « Après avoir pris le contrôle des principaux postes frontières avec la Centrafrique, les FSR ont reçu par le sud du matériel militaire, notamment des missiles sol-air et peut-être des drones par l’intermédiaire de Wagner », assure un journaliste soudanais.

Ballet aérien
Plusieurs sources dans la région doutent de telles livraisons, mais les regards se tournent désormais vers le Tchad. En première ligne pour recevoir les réfugiés du Darfour, N’Djamena a depuis le début du conflit tenté d’afficher une neutralité de façade dans la guerre pour le pouvoir à laquelle se livrent les deux généraux soudanais. Soucieux que le conflit ne se propage sur son territoire, le président de la transition, Mahamat Déby, avait rapidement fermé sa frontière orientale et déployé des troupes supplémentaires dans la région.
Si, dans les faits, ce dernier penchait en faveur du général Al-Bourhane, par réflexe légitimiste mais aussi par crainte que Hemetti suscite un vent de rébellion parmi les communautés arabes tchadiennes dont il est proche, le vent semble avoir aujourd’hui tourné. Un retournement, selon plusieurs sources, consécutif à la visite en juin de M. Déby aux Emirats.
Depuis son retour et la promesse de 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) d’investissement du prince Mohammed Ben Zayed, un ballet aérien a été observé dans l’est du Tchad. Une quarantaine d’avions-cargos émiratis ont atterri à Amdjarass pour officiellement y construire un hôpital de campagne à destination des plus de 120 000 réfugiés soudanais. Selon des informations concordantes, les motivations ne seraient pas qu’humanitaires. « Installer un hôpital au milieu du désert, à près de 300 km du poste frontière d’Adré, où sont concentrées les dizaines de milliers de réfugiés soudanais, est absurde », relève une source humanitaire. « Ce n’est pas seulement pour distribuer des biscuits au chocolat ou des bouteilles d’eau », ironise une source tchadienne.
Cette apparente volte-face du Tchad n’est cependant pas sans danger pour Mahamat Déby. Au Tchad, comme dans plusieurs pays de la région, les développements de la guerre au Soudan menacent d’avoir des répercussions sur la politique intérieure. L’inquiétude a en effet gagné l’Egypte, qui refuse désormais toute entrée de réfugiés ; l’Ethiopie, qui s’alarme de l’ouverture d’un nouveau front près de son gigantesque barrage sur le Nil ; et le Soudan du Sud, dont les exportations de pétrole dépendent intégralement des pipelines qui traversent son voisin du nord.

Par Eliott Brachet
Le Monde du 14 juillet 2023

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