Les colons de Cisjordanie s'accrochent à leurs collines

 

Galvanisés par la présence de sionistes religieux au gouvernement israélien, ils sont lancés dans une dangereuse surenchère.

C'est un lundi matin mais Howara ressemble à une ville fantôme. De lourds battants de fer ont été amenés devant les boutiques. La plupart des maisons sont fermées, volets tirés. Certaines, les façades noircies par la fumée, gardent les séquelles de la dernière descente de colons. La présence militaire a visiblement été renforcée dans ce village du nord de la Cisjordanie mais la veille, en pleine journée, un Palestinien armé d'un « carlo » , une arme de fabrication artisanale, a, une fois de plus, tiré sur une voiture que sa plaque d'immatriculation, noire sur fond jaune, désignait comme israélienne. Le conducteur, un habitant de la proche colonie d'Itamar, a été grièvement blessé. L'assaillant, atteint par plusieurs coups de feu, a été arrêté peu après. Trois semaines plus tôt, au même endroit, une attaque semblable en tout point s'était soldée par la mort de deux Israéliens venus eux aussi d'une colonie proche. Le lendemain, 400 jeunes colons étaient descendus des collines avoisinantes pour mettre la ville à sac.

Pour les habitants des environs, qu'ils soient palestiniens ou israéliens, Howara est un point de passage obligé : il n'y a pas d'autre route pour rejoindre Naplouse ni les colonies d'Yitzhar, d'Itamar ou de Har Brakha. Tout le monde traverse la ville la peur au ventre : les Palestiniens, que les soldats menacent de leur arme dès que leur comportement semble suspect ; les Israéliens habitant les colonies avoisinantes, effrayés car devenus des cibles.

Au sommet d'une colline toute proche, est juchée Yitzhar : des maisons regroupées autour d'une école religieuse ; abritées derrière une enceinte de fil barbelé ; protégées par un portail que surveille un garde armé. Fondée en 1983, cette colonie est relativement ancienne. Illégale aux yeux de la communauté internationale puisqu'elle se trouve dans un territoire militairement occupé depuis 1967, elle est autorisée par Israël. Environ 2 000 personnes y habitent : pour la plupart, des colons convaincus de leur droit divin sur cette terre. Devant la supérette, un homme, au volant d'une grosse voiture, ouvre sa fenêtre. « Regardez , dit-il, ce que je dois faire quand je sors d'ici . » Il montre, posé à côté du levier de vitesse, la lourde crosse d'un pistolet automatique. Sa femme a les larmes aux yeux, elle n'en peut plus d'avoir peur. « Dès que j'ai franchi le portail, je risque de me faire poignarder, tirer dessus, caillasser , déplore-t-elle. Est-ce que c'est normal de vivre comme ça ? Les gens n'arrêtent pas de nous reprocher de vivre ici, comme si c'étaient nous les agresseurs ! » Malgré la peur, une chose est certaine : rien ne les fera partir. « Ici, c'est à nous » , dit la femme avant de monter dans la voiture.

Renversement de la réalité historique

Yitzhar, comme de nombreuses colonies de la région, est entourée de satellites, des « avant-postes » illégaux au regard du droit israélien, où des baraques de contreplaqué sont posées à la hâte sur des dalles de béton. C'est ici que vit Yedidia. Ce jeune père de famille conduit pied au plancher une vieille voiture rouge, cabossée, maculée de boue. Il a le look typique des colons : large kippa tricotée, longues mèches de cheveux sur les tempes, vieux jean et solide paire de boots. Malgré une méfiance évidente, il accepte d'arrêter un instant sa guimbarde sur le bord du chemin. « Il ne faut pas considérer les terroristes comme des assaillants solitaires » , affirme-t-il. En dépit de l'omniprésence de l'armée israélienne, et des agressions à répétition de colons contre des Palestiniens, il est convaincu de son statut de victime. « En réalité, c'est un peuple entier qui veut nous tuer. Tous les Arabes supportent le terrorisme. Les non-juifs sont les bienvenus ici, poursuit-il , à condition que ce soient nous qui dirigions . » Selon lui, une seule réponse est envisageable après l'attaque de dimanche : « il faut liquider Howara . »

Cette expression revient souvent ces derniers temps. Elle est apparue, peu après le saccage de Howara, dans la bouche de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances, en charge de l'administration civile de la Cisjordanie et chef du Parti sioniste religieux. Il est ensuite revenu dessus. Mais dimanche, à Paris, où il était venu sans en avoir averti les autorités françaises, il est allé dans le même sens en niant l'existence d'un peuple palestinien, « une invention » , selon lui, qui coïncide avec le début du sionisme, il y a un siècle. Autour de Howara, les colons sont au diapason de leur ministre. Lundi, après la nouvelle attaque, l'attaché parlementaire d'une députée du parti Otzma Yehudit, dirigé par le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a repris cette formule : « Il faut liquider Howara ! a-t-il tweeté. Sans excuse et sans hésitation. » Âgé de 22 ans, cet attaché parlementaire vit dans la colonie illégale de Ramat Migron. Les « jeunes des collines » se retrouvent en lui.

C'est le cas d'Ishaya Khalav. Ce jeune homme de 19 ans vit à quelques kilomètres de Howara, dans la colonie illégale Maoz Esther. Il s'est marié il y a dix mois : avec sa femme, enceinte, ils vivent sous une grande tente de bâche noire posée au bord de la colline. De là, ils peuvent voir, en contrebas, un campement de pasteurs bédouins. Dans un étonnant renversement de la réalité historique, voici qu'il présente ces voisins comme des envahisseurs. « La technique principale des Arabes pour coloniser nos terres, c'est la construction et le pâturage » , explique-t-il. Un autre habitant de la colonie le rejoint. Selon lui, l'armée et la police n'en font pas assez. « Il faut que les Arabes aient plus peur des habitants que de l'armée » , explique-t-il. La terreur serait la seule façon d'arrêter les attentats. Dans un premier temps du moins car la vraie solution, selon lui, est plus radicale : « C'est nous qui vivons ici. C'est la terre d'Israël ici, ce n'est pas un pays d'Arabes. Il faut expulser tous les Arabes du pays, continuer ce qui a été commencé en 1948. Et celui qui veut s'opposer par les armes à notre volonté de l'expulser, nous entrerons en guerre contre lui . » De l'autre côté de la route se trouve un avant-poste encore plus sommaire : une tente où vivent huit jeunes hommes avec leurs moutons. Ils ont baptisé l'endroit « Maale Ouvia » . « Nous sommes en guerre , explique leur chef. Ceux qui ne le voient pas ne comprennent rien à la situation. Pour gagner cette guerre, il faut faire comme les Arabes, répondre à la guerre par la guerre. Ce qui nous importe , conclut-il, c'est d'occuper la terre d'Israël dans sa globalité » . Le Grand Israël englobe la Jordanie et s'étend jusqu'à Babylone...

de Dieuleveult, Guillaume
Le Figaro du 22 mars 2023

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