C’est l’un des principaux terrains d’affrontement entre l’Iran et l’Arabie saoudite © Hani Mohammed / AP Photo |
Le « printemps arabe » et la chute du président Ali Abdallah Saleh ont réveillé les divisions yéménites, pas toujours pansées. En 2011, le pouvoir central faisait déjà face à des velléités indépendantistes dans le sud et une rébellion dans la province de Sa’ada, dans le nord du pays. À partir de l’été 2014, les rebelles houthis ont lancé une offensive contre le nouveau gouvernement. Eux qui jusque-là étaient concentrés près de la frontière avec l’Arabie saoudite, ont réussi à conquérir des pans importants du territoire : l’essentiel du littoral sur la mer Rouge et la capitale Sana’a dès 2015.
L’Arabie saoudite a alors établi une coalition internationale pour soutenir le gouvernement yéménite face à une rébellion menée par un groupe chiite et soutenue par l’Iran. La coalition est engagée militairement au Yémen, mais huit ans de combat ne lui ont pas permis de repousser ses ennemis : aujourd’hui, plus de 60% de la population yéménite vit dans des zones contrôlées par ce mouvement.
Trêve de facto
À l’approche du ramadan l’an dernier, les deux parties ont conclu une trêve : elle a tenu six mois. Officiellement, elle a expiré en octobre : les belligérants ne se sont pas entendus pour la prolonger. Mais dans les faits, cette trêve se poursuit : les affrontements n’ont pas repris. « Toutes les parties veulent une trêve mais les Houthis ne voulaient pas payer le prix politique qu’il fallait pour la prolonger » explique Abdul-Ghani Al Iryani, chercheur au Centre de Sana’a pour les études stratégiques, un groupe de réflexion yéménite.« Néanmoins, ils respectent la trêve dans la plupart des cas. Il y a quelques violations, notamment dans la ville de Taëz. Mais de manière générale, il y a très peu de combats dans le reste du pays » poursuit le politologue yéménite.
Et le dialogue n’est pas rompu : des négociations sont toujours en cours entre les Houthis et l’Arabie saoudite, sous l’égide d’Oman, discret médiateur des crises régionales. Depuis un an, l’Arabie saoudite a montré un changement d’attitude : le Yémen est devenu pour le royaume un bourbier dont il souhaite se désengager. « Il y a une tentation des Saoudiens de s’extraire de façon un peu unilatérale, quitte à laisser le gouvernement reconnu par la communauté internationale et qualifié de gouvernement légitime du Yémen un peu sur le carreau » indique Laurent Bonnefoy, chargé de recherche au CNRS affecté au CERI et auteur de « Le Yémen, de l’Arabie heureuse à la guerre ».
Échange de prisonniers
L’accord irano-saoudien annoncé à Pékin le 10 mars permet un vent d’optimisme pour le Yémen. Rendant compte de la situation dans le pays au Conseil de sécurité, l’envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen a évoqué la semaine dernière un nouvel élan. Le nouveau contexte régional a permis « un changement radical dans la portée et la profondeur des discussions » a jugé Hans Grundberg qui a appelé le gouvernement yéménite et les Houthis « à saisir les opportunités » créées par ce rapprochement.
Première évolution notable : ce lundi, les deux parties se sont entendu sur un échange de prisonniers. Plus de 880 détenus devraient être libérés et autorisés à regagner leur camp : 181 du camp du gouvernement et ses alliés et 706 rebelles. L’échange doit avoir lieu dans trois semaines. Mais ces négociations étaient les septièmes du genre et visaient à permettre l’application d’un accord déjà signé fin 2018. En attendant de voir si cet accord sera, lui, bien respecté, il est difficile de voir dans cette annonce un effet du rapprochement des deux grands rivaux régionaux.
« Le soutien inconditionnel du passé est révolu »
L’accord irano-saoudien est aussi vu avec scepticisme, voire inquiétude, de la part d’acteurs yéménites. « Il y a matière à reconnaître la victoire des Houthis »estime Laurent Bonnefoy. « Et cela inquiète certains Yéménites car les Houthis ont une attitude dommageable pour la société : ils mettent le Yémen au ban de la communauté internationale, ils développent une politique extrêmement conservatrice sur le plan intérieur, hostile aux droits humains, aux droits des femmes. Une partie des Yéménites le rejette, même si on doit reconnaître qu’il y a une autre frange de la société qui soutient idéologiquement cette approche portée par les Houthis. »
Le gouvernement internationalement reconnu, en exil à Ryad, craint également d’être abandonné par son allié saoudien. L’Arabie saoudite s’est déjà engagée sans lui dans des négociations avec les Houthis. Mais le groupe rebelle aussi perd un soutien de taille. « Les Houthis ont été aussi surpris par l’accord irano-saoudien que nous tous et cela va les forcer à réévaluer leur stratégie de négociation »juge Abdul-Ghani Al Iryani.« Ils sont dans une position plus délicate ; avant, ils avaient une pleine confiance dans le soutien iranien mais le soutien inconditionnel du passé est révolu. Ils vont devoir respecter des limites : ce qui est acceptable pour ne pas faire dérailler les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran. »
Mais la perte est probablement plus significative pour le gouvernement yéménite. « En réalité, la chaîne de commandement entre les Houthis et l’Iran n’est pas clairement établie » relève Laurent Bonnefoy. « Il est entendu qu’il y a un soutien logistique, des livraisons d’armes. Mais dans le même temps, il y a une autonomie assez claire des Houthis. Ils savent que le temps joue pour eux, ils savent également que l’Arabie saoudite a envie de s’en extraire. Donc en réalité, les Houthis ont fait bien peu de concessions » indique le chercheur du CNRS.
Le rôle des Émirats Arabes Unis
L’avenir du Yémen dépend aussi d’autres acteurs. Le gouvernement internationalement reconnu fait face aussi à une rébellion indépendantiste dans le sud du pays : le Conseil de transition du Sud. En prenant le contrôle d’Aden, la grande ville du sud du pays, il a forcé le gouvernement à un exil en Arabie saoudite. Et ce Conseil de transition du Sud est lui soutenu par les Émirats Arabes Unis. Bien que faisant partie de la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, le pays joue aussi sa propre partition.
Abu Dhabi aussi a repris le dialogue avec la République islamique. Contrairement à l’Arabie saoudite, les Émirats n’ont pas rompu leurs relations diplomatiques avec l’Iran mais pendant six ans, ils n’ont plus eu d’ambassadeur à Téhéran. En août dernier, les deux pays ont annoncé le renvoi de diplomates.Mais au Yémen, les deux soutiennent des camps adverses. « Les Émirats pourraient trouver des accommodements avec les Houthis sur le plan territorial : dire le nord aux Houthis, le sud à nos alliés »estime Laurent Bonnefoy. Mais les tensions entre les deux parties existent. « Et si elles ne s’expriment pas directement sur le plan militaire, c’est malgré tout un enjeu qu’il faut garder en tête » met en garde le chercheur. Le Yémen demeure un terrain de jeu pour les puissances régionales. Tout processus de paix implique la prise en compte des intérêts des différents acteurs et ne peut se limiter à des discussions entre l’Arabie saoudite et les Houthis.
Guilhem Delteil
Rfi du 21 mars 2023
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