Israël : le plan de sortie de crise du président Herzog

 

Le chef de l’Etat a soumis un projet de réforme de la justice, alternatif à celui du gouvernement Nétanyahou

«Une guerre civile » , « un bain de sang » : en temps normal, ce vocabulaire n’appartient pas au président israélien, symbole de l’unité du pays, chargé, peu ou prou, d’inaugurer les chrysanthèmes. Mais, mercredi 15 mars au soir, Isaac Herzog a élevé avec gravité sa fonction. Las de demander au gouvernement de Benyamin Nétanyahou de geler sa réforme de la justice, qui déchire Israël, il a proposé un plan alternatif et une méthode destinée à lui offrir « un large consensus » .
« Quiconque pense qu’une vraie guerre civile, qui fasse couler le sang, est hors de portée, n’en a aucune idée. L’abîme est à nos pieds. Une guerre civile est la ligne rouge. Je ne laisserai pas cela se produire » , a déclaré le président à la télévision. Il en appelle « au peuple » . Sans le dire, il compte sur le soutien des manifestants, qui inondent les rues du pays depuis janvier, et devaient se mobiliser à nouveau, jeudi 16 mars. Il mise aussi sur les milieux d’affaires et certains électeurs de droite et religieux, que ces tensions ébranlent.
Le texte de compromis de M. Herzog, conçu comme un bloc indivisible, concède beaucoup à la coalition de M. Nétanyahou. Il politise fortement la sélection des juges de la Cour suprême et réduit leur pouvoir de supervision des lois. Mais le chef de l’Etat, ancien leader du Parti travailliste, cherche aussi à priver d’air le projet radical avancé par le gouvernement, impopulaire dans les enquêtes d’opinion, en lui imposant de préserver l’indépendance de la Cour, de l’avocat général et des conseillers légaux du gouvernement. Il ignore les propositions les plus dures de la coalition, qui affranchissent l’exécutif de toute supervision judiciaire indépendante.
Le plan Herzog propose enfin un calendrier lent, destiné à ajouter deux nouveaux blocs aux lois dites « fondamentales » du pays, relatives aux relations entre les trois pouvoirs et aux droits humains, et à cimenter les lois fondamentales existantes. Ce serait l’amorce d’un « processus constitutionnel » , dans ce pays qui n’a jamais rédigé de Constitution.
Cette porte de sortie ouverte par le président, Benyamin Nétanyahou s’est empressé de la refermer. Quelques minutes après l’annonce de M. Herzog, le secrétaire général du gouvernement, Yossi Fuchs, chargé des liens avec la présidence, a voulu « dissiper tout doute : le plan du président est un plan unilatéral du président, et n’a été approuvé en aucune façon par aucun parti de la coalition » , a-t-il souligné.
Le premier ministre a repoussé son départ à Berlin pour refuser ce plan. Sur le tarmac de l’aéroport David-Ben-Gourion, il a jugé que « des points-clés de ce texte ne font que perpétuer la situation actuelle. Telle est la triste vérité » . Il refuse de laisser M. Herzog, pour lequel il n’a guère d’estime, circonscrire sa réforme. Mais le chef de l’exécutif peut encore temporiser, pour négocier avec ses opposants.
Le plan du président est l’aboutissement de longues négociations politiques et de consultations avec des universitaires, des juristes et des représentants de la société civile. Il accorde à la coalition au pouvoir la prééminence au sein du comité chargé de nommer les juges de la Cour suprême, tenue de prendre en compte « leurs vues juridiques et théologiques » . Mais elle ne peut les désigner seule. Elle devra former une majorité des deux tiers, dans un panel de ministres, de juges, de parlementaires et de juristes.

Concession aux ultraorthodoxes
Seconde concession au projet de l’exécutif, M. Herzog propose de priver les magistrats de leur droit de regard sur les lois fondamentales votées au Parlement. Ils ne pourraient plus invalider les lois régulières qu’à une majorité des deux tiers, au sein d’un collège de magistrats très élargi : onze sur un total de quinze. Ils ne pourraient plus nullifier les décisions collectives du gouvernement au motif qu’elles sont « déraisonnables » , mais pourraient encore retoquer celles, « arbitraires ou capricieuses » , qui sont prises individuellement par les ministres. Cela limite grandement un champ d’action dont la Cour use peu en pratique. Mais elle n’est pas muselée. La coalition de M. Nétanyahou entend, elle, offrir à la Knesset la possibilité de passer outre aux objections de la Cour, par un vote à la majorité simple.
Le président entend alléger enfin la charge de travail de ces magistrats d’appel, compétents sur tous les sujets, qui traitent quelque cinq mille dossiers par an. Quant aux conseillers légaux des ministères, dénoncés comme des censeurs par le gouvernement, M. Herzog propose une procédure pour les renvoyer.
Le président offre une concession capitale aux partis juifs ultraorthodoxes en proposant le vote d’une loi sur le service militaire qui pourrait en dispenser leurs fidèles. La Cour, qui la refuserait sans doute au nom de l’égalité devant la conscription, n’aurait aucun droit de regard. M. Herzog lui retirerait aussi sa capacité d’interférer dans la nomination des ministres : le très puissant patron du parti Shass, Arié Déri, pourrait revenir au gouvernement, en dépit de sa condamnation pour fraude fiscale.
M. Herzog s’inscrit dans un temps long. En 1995, la Cour suprême a gravé dans le marbre son droit d’invalider les lois votées par la Knesset si celles-ci contreviennent aux lois fondamentales. Mais cette « révolution constitutionnelle » demeure inachevée. Pour ses concepteurs, il manquait au pays des textes reconnaissant mieux le droit à l’égalité, la liberté d’expression, le droit à l’information et divers droits sociaux. M. Herzog entend empêcher qu’un coup d’arrêt définitif ne soit porté à leur projet. Il propose d’initier dans sa résidence « un processus constitutionnel » public, afin de formuler « une déclaration complète des droits fondamentaux » .

Moment de vérité
Ces concessions pourraient satisfaire les formations ultraorthodoxes. Les analystes se perdent en conjectures sur ce que veut M. Nétanyahou lui-même. Mais les plus radicaux au sein de son parti, comme le ministre de la justice, Yariv Levin, ne peuvent tolérer ce plan, comme ses alliés de l’extrême droite religieuse. Le ministre des finances et de l’administration militaire de la Cisjordanie, Bezalel Smotrich, a écourté son voyage aux Etats-Unis pour faire front. Fondamentaliste religieux, il entend briser la Cour suprême, pour mieux remodeler les rapports entre la religion et l’Etat, et faciliter l’annexion des territoires palestiniens.
Selon les enquêtes d’opinion, les électeurs de M. Nétanyahou ne s’opposent pas à un compromis. Mais ils demeurent animés par un sentiment de revanche, après le scrutin de novembre. Ils ne toléreraient pas qu’il recule face à « l’Etat profond » , laïque et de gauche, qu’il dénonce. Le moment de vérité approche. Le premier ministre a promis de faire adopter la première partie de sa réforme en avril, avant les vacances du Parlement. La Cour suprême risque alors de refuser ces lois, précipitant une crise constitutionnelle.
Les principaux chefs de l’opposition centriste, Yaïr Lapid et Benny Gantz, ont quant à eux sans surprise salué le plan de M. Herzog. Tous deux ont juré par le passé de ne plus jamais rejoindre un gouvernement dirigé par M. Nétanyahou. Mais, selon un récent sondage, près de 60 % de leurs électeurs le souhaitent, afin qu’ils mettent fin à la réforme.

Louis Imbert
Le Monde du 17 mars 2023

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