Dans les territoires palestiniens, le financement européen de l’aide humanitaire doit s’accompagner de la fin de l’impunité du gouvernement israélien, réclament dans une tribune au « Monde », des responsables d’ONG, parmi lesquels Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme.
Dimanche 26 février, la localité palestinienne d’Huwara était attaquée par des dizaines de colons israéliens, après le meurtre de deux colons. La récente augmentation de la violence liée à l’occupation et à la colonisation, qui fait suite à la composition d’un gouvernement d’extrême droite en Israël avec pour objectif public l’annexion de la Cisjordanie, n’est pas une surprise, mais le résultat de décennies d’inaction de la communauté internationale et de la montée de l’ultraconservatisme dans le monde.
Depuis les accords d’Oslo, en 1993, Israël n’a cessé de gagner du terrain sur le territoire palestinien occupé – la Cisjordanie, Jérusalem-Est incluse, et la bande de Gaza – de manière violente et militarisée, tout en exerçant un contrôle sur les ressources naturelles palestiniennes.
Cette occupation et sa violence institutionnalisée ont conduit à une crise humanitaire de grande ampleur, mettant les Palestiniens sous perfusion d’une aide financée par les Etats tiers, dont la France, l’Union européenne (UE), les Etats-Unis et bien d’autres
En tant qu’organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme, nous craignons une augmentation dramatique des besoins humanitaires en 2023. L’accord de coalition du gouvernement de Benyamin Nétanyahou montre que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les régions de la terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera la colonisation dans toutes les parties de la “terre d’Israël” en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie ». Le Golan est toujours considéré, par la communauté internationale, comme une région syrienne occupée et les « Judée et Samarie » font référence à la Cisjordanie.
En toute impunité
Cette politique était déjà en place, mais va s’accentuer de manière beaucoup plus visible, avec l’encouragement des colons à agir en toute impunité et l’expansion des colonies. Or, la violence des colons israéliens était déjà en augmentation ces derniers mois, 1 571 attaques ayant été enregistrées en 2022 par les Nations unies, dont 849 conduisant à des blessures et à des dommages matériels.
En 2022 toujours, 155 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, Jérusalem-Est incluse, dont 36 enfants. Depuis le début de l’année 2023, déjà 47 Palestiniens, dont 9 enfants, ont été tués par l’armée Israélienne, selon les chiffres de l’agence onusienne OCHA [Bureau de la coordination des affaires humanitaires]. En Cisjordanie, les colonies israéliennes – illégales vis-à-vis du droit international –, ainsi que les nouveaux avant-postes continuent de s’agrandir et d’être créés en toute impunité.
Sur le plan humanitaire, les agences des Nations unies estiment que 2,1 millions de Palestiniens à travers le territoire palestinien occupé ont besoin d’une aide humanitaire, ce qui représente 58 % de la population de Gaza et un quart de la population de Cisjordanie. En 2022, plus de 65 % de la population de Gaza vit sous le seuil de pauvreté, tandis que plus de 60 % des habitants sont au chômage.
Autre action contribuant à aggraver la crise humanitaire, près de 950 habitations palestiniennes ont été détruites en 2022, déplaçant plus de 1 000 personnes et entraînant la perte pour 29 000 personnes de leur moyen de subsistance.
Écoles et tentes détruites
Or, les financements humanitaires ne protègent pas contre l’expulsion et la démolition des habitations palestiniennes, comme le montre l’exemple de Massafer Yatta, une région au sud d’Hébron : 1 150 habitants risquent d’être expulsés, leurs habitations se trouvent dans une zone militaire non utilisée depuis des décennies.
Vivant sous la menace des attaques de colons, les Palestiniens de Massafer Yatta n’ont pas le droit de construire des structures nécessaires à la communauté tel que des écoles, logements, arrivées d’eau, d’électricité… En outre, la majorité des biens humanitaires, tels que des écoles et des tentes, financés par des pays de l’UE, ont été pris pour cible et détruits en 2022.
Si les démolitions d’habitations se poursuivent, ce scénario se répétera, et les résidents seront déplacés de manière forcée dans les prochaines semaines. En revanche, les colonies illégales se situant dans la même zone militaire n’ont pas d’ordre ni d’expulsion ni de démolition et au contraire continuent de s’agrandir.
L’avant-poste de Avigayil, une colonie en devenir, en partie dans la zone de tirs militaires, vient d’être légalisé sur les terres de Massafer Yatta, sur un total de neuf avant-postes illégaux vis-à-vis du droit international et israélien, qui vont maintenant pouvoir continuer de s’agrandir.
Des mesures légales concrètes
Il est donc urgent pour les Etats européens d’agir contre ces démolitions illégales en Cisjordanie, d’autant plus que ces destructions de biens financés par l’UE ont un prix (plus de 2 millions d’euros depuis 2016), et il est donc essentiel que les Etats à titre individuel ou collectif demandent réparation et compensation pour les bien humanitaires détruits.
Dans le contexte politique actuel en Israël, qui promeut une annexion des terres de la Cisjordanie, la prolifération des colonies et une violence civile et militaire accrue, faire un choix, pour la communauté internationale, est donc plus urgent que jamais.
Souhaite-t-elle continuer à financer l’aide humanitaire en vain, alors qu’une grande partie des biens humanitaires est détruite ? Combien de temps souhaite-t-elle utiliser l’argent public pour financer des réponses à une crise humanitaire qui a pour origine l’impunité dont bénéficie le gouvernement israélien sans pour autant la dénoncer ? Souhaite-t-elle enfin accompagner cette aide d’une action politique, unique solution réellement durable ?
La France et l’Union européenne doivent prendre des mesures légales concrètes pour faire respecter les droits humains et appliquer le droit international humanitaire, pour stopper l’annexion de fait de la Cisjordanie et les crimes commis contre les Palestiniens.
Le Monde du 22 mars 2023
Liste des signataires : Vincent Basquin, président de Première Urgence internationale ; Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme ; Danielle Bidard-Reydet, présidente de l’association Pour Jérusalem, sénatrice honoraire ; Ivar Ekeland, président de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip) ; Bertrand Heilbronn, président de l’Association France-Palestine Solidarité ; François Leroux, président de la plate-forme des ONG françaises pour la Palestine ; Serge Perrin, animateur du réseau international du Mouvement pour une alternative non violente ; Florence Rigal, présidente de Médecins du monde.
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