Un nouveau compromis sur le programme nucléaire iranien avait été élaboré en 2022 mais n’a pas été signé. Aujourd’hui, il y a urgence, car les conséquences d’une opération militaire israélienne seraient très graves, souligne un collectif de cinq chercheurs
Depuis plusieurs mois, la révolte des femmes et des jeunes Iraniens a confirmé à la fois les dynamiques d’une société iranienne résolument ouverte aux idéaux universels de liberté et la paralysie, ainsi que la violence, du gouvernement conservateur de Téhéran, incapable de répondre aux besoins et aux attentes légitimes de la population. Les gouvernements des pays démocratiques et l’Union européenne ont condamné sans ambiguïté ces atteintes intolérables aux droits de l’homme.
Mais la révolte profonde et durable des Iraniens révèle en fait une crise plus globale. Celle-ci résulte de la politique du gouvernement conservateur au pouvoir, mais également de la décision de Donald Trump de se retirer, en 2018, de l’accord sur le nucléaire signé en 2015 après une longue confrontation diplomatique. Les sanctions économiques ont alors ruiné les espoirs de développement économique et de changement politique portés par la nouvelle classe moyenne iranienne, et poussé la République islamique à relancer en représailles son programme nucléaire jusqu’alors sous le contrôle strict de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Certes, il faudra quelques années pour que l’Iran dispose d’un début d’arsenal nucléaire opérationnel et crédible, mais la République islamique est d’ores et déjà, de facto, sur le « seuil nucléaire » . L’AIEA, qui continue d’inspecter les sites nucléaires iraniens, a confirmé que l’Iran possédait aujourd’hui un stock d’uranium enrichi à plus de 60 % suffisant pour fabriquer une ou deux bombes atomiques.
Cette situation est inacceptable sur le plan diplomatique, car l’Iran est toujours membre du traité de non-prolifération nucléaire. Cette perspective est dangereuse dans une région où la représentation que les hommes politiques et les peuples se font des menaces est plus forte que la réalité. Pour Israël, c’est un casus belli.
Signaux alarmants
On assiste à un retour aux années 2000, avec la multiplication de signaux alarmants sur la menace d’une intervention israélienne de grande envergure pour répondre au retour de la menace du programme nucléaire iranien. Benyamin Nétanyahou, de nouveau premier ministre, a clairement rappelé : « Ma priorité, c’est l’Iran. » Le risque d’une action militaire est aujourd’hui rendu plus crédible depuis que les « accords d’Abraham » ont permis à Israël de renforcer sa présence, officielle ou clandestine, sur les frontières de l’Iran. Les récentes attaques d’usines iraniennes par des drones sont peut-être les signes avant-coureurs d’actions de plus grande ampleur.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, de l’instabilité politique et sécuritaire du Liban à l’Afghanistan et au Caucase, les conséquences d’une opération militaire contre l’Iran seraient à l’évidence d’une exceptionnelle gravité. Les Iraniens en seraient les premières victimes, car, au nom de l’unité nationale, devant une agression étrangère les forces idéologiques les plus radicales seraient unifiées et renforcées pour réprimer toute revendication culturelle, économique ou politique.
Place stratégique
Dans la région, les probables représailles de l’Iran, de plus en plus associé à la Russie, pourraient impliquer le Hezbollah, qui a les moyens militaires d’affecter la sécurité d’Israël, mais également toucher les « nouveaux amis » d’Israël comme les Emirats arabes unis, avec lesquels la France a conclu des accords de défense… L’Europe serait directement touchée par les conséquences d’un tel chaos dans une région si sensible pour sa sécurité et son approvisionnement en énergie.
Il faut également souligner la place stratégique de l’Iran pour garantir la stabilité de la région. Entre le Liban et l’Afghanistan, c’est le seul Etat qui n’ait pas été ravagé récemment par la guerre et dont la nombreuse population (85 millions), massivement instruite et ouverte sur les valeurs de liberté, pourrait devenir un acteur positif déterminant pour construire l’avenir politique et sécuritaire de la région. Grâce aux efforts de l’Union européenne, et après d’innombrables péripéties, discussions ou affrontements diplomatiques, un nouveau compromis sur le contrôle du programme nucléaire iranien et la levée des sanctions économiques américaines – mise à jour de l’accord JCPoA de 2015 – avait été trouvé en août 2022. Mais ce texte n’a pas été signé. Aujourd’hui il y a urgence, car le calendrier du nucléaire iranien et la menace israélienne s’imposent à tous.
La République islamique ne semble pas être en capacité de prendre des initiatives, mais, à la suite de la visite, le 3 mars, de Rafael Grossi, directeur général de l’AIEA, Téhéran a accepté le retour des contrôles de l’agence sur toutes ses installations nucléaires, et notamment sur le site de Fordo. Il est donc encore possible de trouver une porte de sortie diplomatique, si l’Europe, Washington mais aussi Moscou et Pékin prennent des initiatives courageuses pour imposer à toutes les parties concernées la signature d’un accord sur le nucléaire iranien, qui est actuellement la clé de voûte de la sécurité du Moyen-Orient, afin d’éviter un conflit majeur.
Le Monde du 23 mars 2023
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