Israël au bord de la crise de régime

 

Benyamin Netanyahou semble résolu à imposer une réforme de la justice qui menace les institutions et fracture le pays.

Benyamin Netanyahou ira-t-il au bout d'une réforme qui menace la démocratie israélienne, fracture la société et risque de plonger son pays dans une crise institutionnelle dont nul ne connaît l'issue ? Le premier ministre d'Israël, à la tête d'une coalition de partis ultraorthodoxes et suprémacistes juifs, y semble bien résolu.

Jeudi soir, la Knesset a voté le premier texte de cet ensemble de onze lois qui auront pour conséquence de transformer radicalement l'équilibre des pouvoirs, soumettant la Cour suprême aux pouvoirs exécutif et législatif, lesquels, en Israël, sont généralement dans la même main. Ce texte est un amendement à une loi fondamentale. Jusqu'à présent, le procureur général d'Israël pouvait déclarer inapte un premier ministre, notamment en cas de condamnation par la justice. Désormais, seul le premier ministre lui-même, ou 75 % de son cabinet, pourra le faire. L'opposition y voit une disposition sur mesure, alors que Benyamin Netanyahou fait l'objet d'un procès pour corruption, escroquerie et abus de confiance.

Une deuxième loi devrait être définitivement votée avant la fin de la session d'hiver de la Knesset, jeudi prochain. Elle permettra au gouvernement d'Israël, y compris l'actuel, de prendre la main sur le comité de nomination des juges de la Cour suprême. Avec le lancement de la réforme, début janvier, un véritable bras de fer s'est engagé entre le gouvernement et la Cour, dont la présidente et la procureur générale sont clairement entrées en résistance. La Cour suprême est l'organe qui chapeaute tout le système judiciaire israélien. Depuis le milieu des années 1990, faute de Constitution écrite, elle s'est instituée garante des principes fondateurs du droit. Une fois cette seconde loi votée, il y a de fortes chances pour que les juges soient saisis et qu'ils doivent statuer sur sa légalité. Valideront-ils sans ciller leur propre arrêt de mort ? Yariv Levin, le ministre israélien de la Justice, est le chef d'orchestre de la réforme. Lundi dernier, il a affirmé qu'une intervention de la Cour sur ce sujet serait « complètement injustifiée. De mon point de vue, elle franchirait une ligne rouge. Nous ne l'accepterons certainement pas » . Mais alors, qu'arrivera-t-il ? En Israël, nul n'ose s'aventurer à une prédiction mais la crise de régime menace.

Pourquoi Benyamin Netanyahou et ses ministres tiennent-ils à transformer les institutions de l'État ? Le fait que le premier ministre soit poursuivi devant la justice n'est pas la seule explication. À l'origine de ce projet se trouve une réflexion élaborée par un puissant think-tank conservateur israélien, à la manoeuvre dans la réforme : le Kohelet Policy Forum. Cet institut considère que la Cour suprême est allée trop loin en s'attribuant le pouvoir d'abroger les lois. Depuis 1994, l'année de cette « révolution constitutionnelle » , elle n'aurait fait qu'élargir son domaine de compétence. Il considère également que le système de nomination des membres de la Cour suprême est déséquilibré au profit des juges, qui se coopteraient. Il en résulte, selon ce think-tank, que l'exécutif et le législatif sont inféodés à la Cour suprême : un déni de démocratie auquel il serait nécessaire de remédier. Le constat de la nécessité d'un changement des institutions est d'ailleurs partagé par les opposants à la réforme. Mais c'est sur la méthode et la réponse à apporter qu'ils divergent.

Dans ce bras de fer, Netanyahou sait pouvoir compter sur le soutien indéfectible des partis de sa coalition. Principalement les deux partis ultraorthodoxes, le Shas et le Judaïsme unifié de la Torah. À eux deux, ils comptent 18 députés, ce qui en fait des alliés essentiels. La Cour suprême est leur ennemi numéro un. Chercheur à l'Israel Democracy Institute, autre think-tank cette fois très actif contre la réforme, Gilad Malach est un spécialiste des ultraorthodoxes. « Les tensions entre eux et la Cour suprême sont anciennes , rappelle-t-il. Les ultraorthodoxes veulent graver dans le marbre l'exemption du service militaire pour les membres de leurs communautés ; ils veulent l'autonomie de leur système scolaire, avec un minimum de matières séculaires et un maximum d'aides de l'État. Enfin, ils entendent soumettre plus drastiquement le quotidien des Israéliens à leur conception du judaïsme. Sur ces trois domaines, ils rencontrent l'obstruction systématique de la Cour suprême. » « Si cette réforme passe, cet obstacle disparaîtra » , conclut Gilad Malach.

Les conséquences de ce « coup d'État » , comme le désignent ses opposants, se font déjà ressentir en Israël. En premier lieu, sur l'économie. Depuis le début de la réforme, le taux de change du shekel ne cesse de baisser. Le secteur bancaire a multiplié les avertissements sur le risque d'une fuite des capitaux et d'une chute des investissements étrangers. Le hi-tech, le poumon économique d'Israël, est entré en lutte ouverte contre le gouvernement. Pour Benyamin Netanyahou, qui s'était toujours présenté comme l'artisan du décollage économique d'Israël, c'est un revers.

Sur la scène diplomatique, Israël est de plus en plus critiqué. Joe Biden ne fait pas mystère des craintes que lui inspire la réforme. Dimanche dernier, lors d'un entretien téléphonique avec le premier ministre, il lui aurait demandé de chercher un consensus plus large. Le président américain refuse de recevoir Netanyahou. Pour donner le change, « Bibi » multiplie les voyages en Europe : après la France, l'Italie, l'Allemagne, il devrait être ce week-end à Londres, où sont prévues des manifestations. Jeudi soir, le premier ministre s'est adressé à la nation assurant qu'il était déterminé à faire avancer la réforme mais qu'il ferait tout « pour calmer les esprits et mettre fin à la division du peuple » .

En Israël, le risque d'une dégradation de la situation est réel. Les manifestations se sont jusqu'à présent déroulées de manière plutôt apaisée mais, le week-end dernier, une série d'incidents entre pro et antiréforme ont été relevés. Jeudi, alors qu'une nouvelle journée de manifestations rassemblant des dizaines de milliers d'Israéliens a eu lieu, avec des actions de blocage à travers le pays, plusieurs meneurs du mouvement, dont la physicienne Shikma Bressler, ont été brièvement arrêtés. À moins que la crise ne se résolve, la question de l'allégeance de la police, de l'armée et des services de sécurité pourrait se poser dans les semaines qui viennent. Pencheront-ils du côté de la Cour suprême ou du gouvernement ? Leur choix sera lourd de conséquences.

de Dieuleveult, Guillaume
Le Figaro du 24 mars 2023

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