Il y a vingt ans, Bush dynamitait le Moyen-Orient

 

         Des soldats américains postés à l’entrée d’une usine, devant un portrait de l’ancien président irakien Saddam Hussein, à Nasiriyah (Irak), le 24 mars 2003. eric feferberg/afp - AFP
Sous le prétexte des attentats du 11 septembre 2001, le président états-unien s’affranchit de l’ONU et envoie ses troupes en Irak le 20 mars 2003. Résultat : des centaines de milliers de morts.
Général et grand patron du commandement central de l’armée américaine de 2003 à 2004 en Irak, Tommy R. Franks écrit dans ses Mémoires intitulés American Soldier : « L’histoire retiendra que la stratégie des États-Unis pour combattre le terrorisme était une bonne stratégie, que le plan Operation Iraqi Freedom était un bon plan. » On n’est jamais aussi bien jugé que par soi-même…
Lorsque, prenant prétexte des attentats du 11 septembre 2001, il déclenche l’invasion de l’Irak, le 20 mars 2003, il y a vingt ans jour pour jour, George W. Bush s’affranchit des Nations unies. Il sait que la France mais également la Russie et la Chine menacent d’utiliser leur droit de veto pour empêcher l’ONU d’approuver l’intervention armée contre l’Irak. Il connaît également la probabilité qu’une majorité du Conseil de sécurité refuse de suivre les États-Unis et le Royaume-Uni.
Le nombre des victimes irakiennes, selon les diverses estimations, va de 100 000 à plus d’un million de morts pour la période 2003-2011
Washington et Londres, forts des mensonges érigés en vérité – on se souvient de la fiole « pleine d’anthrax » présentée à l’ONU par Colin Powell, alors secrétaire d’État, ou de Tony Blair affirmant que les rapports de ses services de renseignements montrent que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive (ADM) –, décident d’attaquer l’Irak sans l’aval du Conseil de sécurité, ce qui constitue une violation de la charte des Nations unies.
Ils balaient aussi les protestations de millions de personnes à travers le monde qui s’opposent à la guerre et veulent la paix. Le nombre des victimes irakiennes n’est pas connu avec exactitude mais, selon les diverses estimations, elles vont de 100 000 à plus d’un million de morts pour la période 2003-2011.
Contrairement à ce que pense le général Franks, cette guerre a été un échec désastreux. Non seulement pour les Irakiens jetés dans les affrontements confessionnalistes, mais également pour l’ensemble du Moyen-Orient et dans le monde entier.
C’est sur ce terreau que se sont développés les mouvements djihadistes, à commencer par le pire d’entre eux, l’«État islamique» en Irak et au Levant (EIIL), qui va même s’emparer d’une partie du territoire irakien, faisant de Mossoul sa capitale à partir de 2014.
C’est aussi à l’occasion de cette guerre qu’on voit apparaître, bien avant la russe Wagner, une société militaire privée (SMP) du nom de Blackwater, créée en 1997 grâce notamment à la volonté de Dick Cheney, futur vice-président des États-Unis. Une SMP qui s’illustrera par des tueries dans des villages irakiens.

Les rivalités en cours depuis 1979 entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite
La chute de Saddam Hussein s’est traduite par la disparition de l’Irak de la scène moyen-orientale et de son rôle dominant, laissant la place vacante. Ce qui a attisé les rivalités en cours depuis 1979 entre l’Iran chiite (qui a repris pied en Irak après la guerre de 2003) et l’Arabie saoudite sunnite, principale alliée des États-Unis.
Dans un article publié dans Confluences Méditerranée en janvier 2014, Clément Therme, chercheur à l’Institut des hautes études internationales et du développement (Iheid), notait que depuis l’intervention américaine en Irak en 2003, cette rivalité entre Riyad et Téhéran « est progressivement devenue un facteur structurant de la géopolitique du Moyen-Orient ».
De fait, ces deux pays n’ont cessé, depuis 2003, de se retrouver face à face via leurs proxies, les groupes qu’ils soutiennent, en Syrie, au Liban, au Yémen et, un temps, à Bahreïn. Une tension qui est allée croissant jusqu’à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en janvier 2016 après l’exécution de l’opposant chiite saoudien Nimr Al Nimr par Riyad.
Six mois auparavant, cette même Arabie saoudite cachait mal son dépit de la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, voyant dans la fin des sanctions annoncées la possibilité pour son ennemi d’étendre son influence régionale.

Un désengagement relatif de Washington depuis 2016
La politique de désengagement relatif des États-Unis (militairement, ils restent la force étrangère la plus présente), entamée sous Barack Obama en 2016 et poursuivie par ses successeurs Donald Trump et Joe Biden, pour mieux se tourner vers l’Asie, a amené certains alliés de Washington à rechercher une nouvelle stabilité régionale.
C’est le cas de l’Arabie saoudite, pressée d’en finir avec la guerre au Yémen, et de l’Iran, soucieux de rompre son isolement. Des pourparlers avaient démarré il y a deux ans, d’abord en Irak, puis à Oman. C’est finalement à Pékin que Riyad et Téhéran ont annoncé, le 10 mars, le rétablissement de leurs relations diplomatiques, faisant ainsi de Pékin un acteur stratégique au Moyen-Orient. Ironie de l’histoire, la Chine pourrait ainsi apparaître comme la grande gagnante de la guerre déclenchée il y a vingt ans par les États-Unis.

Pierre Barbancey
L'Humanité du 20 mars 2023

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Invité spécial des Dessous de l'infox, l'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Dominique De Villepin, revient sur l'accumulation de mensonges en prélude au déclenchement de l'offensive américaine en Irak, il y a vingt ans.

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