Le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, le 21 mai 2021 à Ramallah, en Cisjordanie occupée. © Alex Brandon, AFP (archives) |
Avocat spécialisé dans les droits de l’Homme et chercheur éminent au sein du groupe de réflexion du Washington Institute for Near East Policy, Ghaith al-Omari est un acteur reconnu du processus de paix israélo-palestinien, au point mort depuis 2014.
L'ancien négociateur palestinien, notamment au sommet de Camp David en 2000 et aux pourparlers de Taba en 2001, et ancien conseiller du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas jusqu’en 2006 était de passage à Paris en mars pour la présentation du projet “Murmuré depuis Gaza”, une série de courts-métrages animés, à l'Assemblée nationale.
L’occasion pour Ghaith al-Omari d’accorder un long entretien à France 24. Après avoir abordé le désarroi de la jeunesse palestinienne, il aborde dans ce deuxième volet la situation politique en Cisjordanie occupée et l’avenir du leadership palestinien alors que le président Mahmoud Abbas est au pouvoir depuis 18 ans à Ramallah. La dernière présidentielle palestinienne a eu lieu en janvier 2005 et les dernières législatives en janvier 2006.
Quel regard portez-vous sur la situation en Cisjordanie occupée, où Mahmoud Abbas s’accroche au pouvoir ?
Les habitants de ce territoire font face à un vide politique et sécuritaire qui les pousse à délaisser leur gouvernement et leurs institutions et à se tourner vers d’autres acteurs. À titre d’exemple, les tribunaux de Cisjordanie manquent tellement de moyens qu'il faut des années pour obtenir un jugement. Et si vous finissez par en obtenir un, il faut ensuite des années pour le faire appliquer. Les gens ne s'adressent donc plus aux autorités pour régler leurs problèmes, ce qui contribue à la désintégration du pouvoir et à la perte de sa légitimité. Dans chaque ville, dans chaque gouvernorat en Cisjordanie occupée, la population prend les choses en main parce que les autorités officielles ne peuvent pas assurer leur sécurité. C’est ce qui explique en partie l'émergence de petits groupes armés sur ce territoire. Dans certains secteurs, comme à Jénine, c’est le Jihad islamique [un mouvement islamiste radical armé, NDLR] qui, aux côtés d'autres groupuscules, domine sur le terrain. À Hébron, dans le Sud, le calme est principalement maintenu grâce à l’action des tribus et des clans. Cette perte de contrôle et de légitimité de l’Autorité palestinienne alimente et illustre sa grande faiblesse politique. Or, lorsque les institutions et le gouvernement sont faibles, le moindre choc peut provoquer l’effondrement de tout le système. Et d’aucuns craignent que lorsque Mahmoud Abbas quittera la scène, soit en raison de son âge avancé, soit pour des raisons politiques, il laissera un vide derrière lui. Un vide qu’il a contribué à créer. Dans un tel scénario, la possibilité de voir l’Autorité palestinienne s’effondrer devient encore plus sérieuse.
N’y a-t-il donc pas de leaders qui seraient à même de succéder à Mahmoud Abbas ?
La vie politique palestinienne n'a jamais été démocratique, mais elle était vivante et active. Aujourd'hui, tout cela n'existe plus : cet espace politique s'est fermé et le président Abbas et son entourage ont systématiquement veillé à saper l’image et l’autorité de chaque dirigeant qui commençait à devenir populaire. Tout au long du mandat de Yasser Arafat, il y a toujours eu deux ou trois candidats potentiels à sa succession, dont Mahmoud Abbas. Mais aujourd'hui, il est impossible de désigner un favori parce que le président a œuvré pour affaiblir tous les candidats potentiels à sa succession. En somme, tous ceux qui sont en désaccord avec lui finissent par être écartés. Je peux par exemple citer le nom de Mohammed Dahlan [ancien chef de la sécurité à Gaza, en exil dans le Golfe, NDLR], qui a été exclu du comité central du Fatah il y a dix ans, ou celui de Nasser al-Qidwa, neveu de Yasser Arafat, qui a également été écarté. Il y a actuellement au moins dix personnalités qui aspirent à la présidence, mais aucune d'entre elles n'est assez forte politiquement ou n'a suffisamment de popularité ou de soutien pour se détacher. En l’absence de candidats forts ou légitimes, la compétition entre eux peut mal tourner. Nous savons qu'il y a beaucoup d'armes qui circulent en Cisjordanie occupée et qu’un certain nombre de successeurs potentiels recrutent des partisans, ce qui rend crédible la perspective d’un processus long et violent.
Dans vos écrits, vous dressez un sévère bilan de l’ère Abbas. Y compris de la stratégie diplomatique qui a poussé l’Autorité palestinienne à chercher l'obtention d'un statut de pleine souveraineté à l'ONU.
Je ne suis pas le seul à dresser un bilan aussi sévère. Selon de récents sondages menés par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, environ 80 % des Palestiniens estiment que l'Autorité palestinienne est corrompue et 80 % pensent que Mahmoud Abbas doit partir. Ce dernier est très identifié au processus de paix, puisqu’il fait partie de ceux qui sont à l'origine des accords d’Oslo et de ceux qui les ont signés (en 1993, NDLR). Mais l’échec de ce processus lui a fait perdre cette source de légitimité. Lorsque le processus de paix a échoué, l’Autorité palestinienne a essayé de se rendre utile en allant devant l'ONU. Mais il y a deux problèmes avec cette approche : premièrement, elle ne peut pas vraiment réussir car, pour adhérer à l'ONU, il faut que le Conseil de sécurité vote pour vous. Or les États-Unis, qui en sont un membre permanent, ont toujours été très clairs sur le fait qu'ils ne permettraient pas que cela arrive. Sans compter que l'Autorité palestinienne n'a en plus pas voulu adopter une position de compromis en 2011, lorsqu'elle a demandé à devenir membre de l'ONU. La France, en tant que membre permanent, et la Jordanie, en tant que membre arabe, ont essayé de convaincre les Palestiniens d'assouplir la résolution pour qu'ils puissent réussir, mais ils ont refusé et l'initiative a donc échoué. Le deuxième problème, c'est que même quand elle réussit, l'Autorité palestinienne ayant rejoint certaines agences de l'ONU, cela crée de l'excitation le jour où la nouvelle arrive, mais cela ne change pas la réalité du quotidien des Palestiniens. La plupart d'entre eux ne croient pas que ces initiatives leur apportent quoi que ce soit. L’Autorité palestinienne continue à le faire parce qu'elle n'a rien d'autre à faire, sauf que cela n’a plus la même résonance dans les territoires et ne capte plus l'imagination du public palestinien.
Vous avez été un des proches conseillers de Mahmoud Abbas. Pourquoi avez-vous décidé de quitter votre poste en 2006 ?
Beaucoup d'entre nous se sont ralliés dans le passé à Abou Mazen (surnom de Mahmoud Abbas, NDLR) parce que nous avions le sentiment, lorsqu'il était Premier ministre de Yasser Arafat, qu'il était un leader engagé en faveur des réformes, de la non-violence et de la diplomatie. Lorsqu'il est devenu président (en 2005, NDLR), il est resté engagé – et il l'est toujours aujourd'hui – dans la voie de la non-violence et de la diplomatie. Mais nous avons réalisé qu'il n'était pas un réformateur ni en faveur des réformes. Mahmoud Abbas a aussi fermé les yeux sur la corruption qui, encore aujourd’hui, gangrène l’Autorité palestinienne. J'ai décidé de partir lorsque j’ai clairement vu qu’il essayait de saboter le travail de Salam Fayyad, son Premier ministre de l’époque. Ce dernier était un réformateur qui avait le potentiel pour créer un gouvernement palestinien propre et efficace et pour commencer à construire une vraie économie.
Cette situation chaotique en Cisjordanie occupée pourrait-elle profiter au Hamas ?
Le Hamas fait tout ce qu'il peut pour encourager une explosion en Cisjordanie occupée et un effondrement de l'Autorité palestinienne, qu’il accuse quotidiennement de traîtrise. Le mouvement au pouvoir à Gaza estime que si l'Autorité palestinienne s'effondre, il sera le dernier debout et deviendra donc le seul interlocuteur de la communauté internationale et de la région. Pour ce faire, le Hamas s'y prend de plusieurs manières, en faisant par exemple en sorte que ses cellules en Cisjordanie mènent des attaques terroristes. Nous le savons grâce aux rapports quotidiens sur le démantèlement de telles cellules dans le territoire. Le Hamas essaie également de soutenir financièrement certains des groupes armés, comme "La fosse aux lions" à Naplouse. Dans le passé, le Hamas ne versait de l'argent qu'à ses propres membres et partisans, mais aujourd'hui, il est disposé à financer quiconque est prêt à tirer, pensant que cela contribuera à créer un désordre pouvant lui profiter. Enfin, même s’il ne veut pas d'une guerre à Gaza qui pourrait l’affaiblir, le Hamas serait prêt à provoquer une confrontation avec Israël, en particulier pendant le ramadan, s'il estime qu’elle aura des répercussions sur la Cisjordanie occupée. Il y a deux ans, durant le mois de ramadan, le mouvement a déclenché une guerre avec Israël. Je pense qu’à l’époque, le Hamas avait fait ses calculs, espérant que le conflit finirait par déstabiliser la Cisjordanie.
Marc Daou
France 24 du 30 mars 2023
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