En Cisjordanie, la revanche des colons de Homesh

 

Le Parlement israélien a ouvert la voie au rétablissement de quatre implantations juives évacuées en 2005

Un tel rappel à l’ordre est rare. Il est inédit sous la présidence Biden, jusque-là plutôt arrangeante avec la coalition de conservateurs, de religieux et d’ultranationalistes au pouvoir en Israël. Mardi soir, l’ambassadeur israélien à Washington, Michael Herzog, a été convoqué pour un entretien avec la sous-secrétaire d’Etat, Wendy Sherman.
Quelques heures plus tôt, à la faveur de la nuit, le Parlement israélien avait modifié la loi sur le désengagement de 2005, qui avait encadré l’évacuation israélienne de la bande de Gaza et le démantèlement de quatre petites colonies dans le nord de la Cisjordanie occupée. Le nouvel amendement, déposé par Yuli Edelstein, député du Likoud, le parti du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et approuvé par seulement trente et un élus sur cent vingt, lève l’interdiction faite aux Israéliens d’accéder aux zones évacuées de Cisjordanie. Ils n’ont toutefois pas le droit de s’y établir.
La victoire est hautement symbolique pour le mouvement des colons, qui attendait sa revanche, plus de dix-sept ans après les évacuations de 2005. Voté dans la foulée de la rencontre israélo-palestinienne organisée dimanche 19 mars à Charm El-Cheikh, en Egypte, sous l’égide des Etats-Unis, dans le but de réduire les tensions en Cisjordanie, l’amendement a été jugé « particulièrement provocateur et contre-productif » par le département d’Etat. Lors de cette réunion, les Israéliens s’étaient engagés à « cesser de discuter de l’établissement de nouvelles unités de colonisation pendant quatre mois et à ne pas légaliser les colonies sauvages pendant six mois » .
Washington craint que ses efforts de médiation, appuyés par l’Egypte et la Jordanie, déjà peu concluants, ne s’effondrent définitivement, alors que les violences ne cessent de s’intensifier en Cisjordanie. Dans le quotidien israélien Haaretz , l’ex-ambassadeur américain à Tel-Aviv Daniel Kurtzer, en poste de 2001 à 2005, a fustigé « une tendance d’Israël à renier ses engagements avec les Etats-Unis qui est juste extraordinaire » .
Le ministère des affaires étrangères français a condamné, de son côté, une « décision qui est contraire au droit international, lourde de conséquences, et ne pourra qu’attiser les tensions » . Face à la salve, le bureau de M. Nétanyahou s’est fendu d’un communiqué, mercredi matin, saluant la nouvelle législation, mais reprécisant que « le gouvernement n’a pas l’intention d’établir de nouvelles communautés dans ces zones » . Mercredi soir pourtant, le Jerusalem Post rapportait que quelque cent cinquante colons s’étaient installés sur le site d’une des anciennes colonies, Homesh, dont l’accès est censé être contrôlé par un barrage militaire.
Outre le dossier de la colonisation, la Maison Blanche a critiqué l’intransigeance de M. Nétanyahou sur sa réforme de la justice, qui suscite une puissante opposition dans la rue. Les Américains n’ont pas beaucoup goûté non plus les propos du ministre des finances, le suprémaciste juif Bezalel Smotrich, qui a nié l’existence des Palestiniens lors d’un discours à Paris, dimanche 19 mars.
Signe du froid entre les deux pays, M. Nétanyahou n’a toujours pas été invité à Washington depuis sa prise de fonctions, fin décembre 2022. L’opposition accuse le gouvernement de saboter les relations du pays avec son principal allié, tandis que, du côté du premier ministre israélien, on tempère : du temps du président américain Barack Obama (2009-2017), ce genre de dispute a été surmonté.

Point de ralliement pour colons
Juste après le vote, deux membres du parti d’extrême droite Otzma Yehudit (« puissance juive »), la ministre Orit Strock et la députée Limor Son Har-Melech, ont appelé à la réinstallation de colons à Gaza, une question qui a pourtant été écartée dès le début des débats sur la loi. « Nous devons nous acquitter des deux prochaines tâches qui nous attendent pour demain : le rétablissement des quatre colonies qui ont été évacuées. (…) Et un retour à la maison également dans les colonies du Gush Katif » , à Gaza, a tweeté Mme Har-Melech.
L’élue sioniste religieuse habitait elle-même à Homesh, une colonie établie à la fin des années 1970 sur des terres privées palestiniennes. Le site, où vivaient quelque 70 familles avant 2005, est devenu un point de ralliement pour les colons qui n’ont cessé de tenter de s’y réinstaller. L’endroit, déclaré zone militaire en 1978, n’est en revanche pas accessible aux Palestiniens, pourtant propriétaires des terres. Plusieurs violentes attaques de colons ont été rapportées ces derniers temps par les villageois des alentours. En décembre 2021, l’un des étudiants de la yeshiva a été tué dans une attaque palestinienne. En janvier, la Cour suprême israélienne avait laissé trois mois au gouvernement pour justifier le fait que Homesh n’ait toujours pas été évacuée.
La réaction américaine n’est pas à la hauteur de l’enjeu, regrette Mauricio Lapchik, de l’ONG anticolonisation La Paix maintenant : « Le gouvernement ne déviera pas de son projet, à savoir une annexion de facto des territoires de zone C [ils représentent 60 % de la Cisjordanie et sont placés sous le contrôle d’Israël] . » Et, depuis la nomination de M. Smotrich à la tête de l’administration chargée des territoires occupés, relève M. Lapchik, « certains parlent même d’une annexion de jure » .

Clothilde Mraffko
Le Monde du 25 mars 2023

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