Fait rarissime, une manifestation a rassemblé, porte de Brandebourg, des juifs allemands plutôt conservateurs et d’autres beaucoup plus à gauche, voire propalestiniens.
Quand elle a su qu’un rassemblement était organisé pour protester contre la venue de Benyamin Nétanyahou à Berlin, jeudi 16 mars à la porte de Brandebourg, Bar Esh n’a pas hésité. « Lorsque le premier ministre de votre pays menace les fondements mêmes de la démocratie, descendre dans la rue est le minimum que vous puissiez faire », confie cette Israélienne de 28 ans, installée depuis 2016 à Berlin. Dans sa main, une pancarte en carton où elle a écrit, en allemand et en hébreu : « Ce n’est pas être antisémite de se battre pour la démocratie pour tous. » Pourquoi ce message ? « Parce que les Allemands ont toujours peur de passer pour antisémites s’ils émettent la moindre critique contre Israël. Du coup, à cause de leur histoire, ils n’osent rien dire », déplore la jeune femme.
Au milieu du gros millier de manifestants rassemblés porte de Brandebourg en cet après-midi ensoleillé, Bar Esh n’a pas eu le temps de vérifier si le chancelier allemand, Olaf Scholz, a profité de sa conférence de presse avec M. Nétanyahou pour « condamner clairement la politique de son gouvernement », le plus à droite de toute l’histoire d’Israël. Elle demande comment s’est passée la rencontre entre les deux hommes. On lui résume.
Arrivé la veille au soir à Berlin, le premier mNe pas « enterrer » le plan Herzoginistre israélien a retrouvé M. Scholz, jeudi matin, au mémorial Quai 17 de la gare de Grunewald, d’où partirent près de 50 000 juifs vers les camps de la mort, entre 1941 et 1945. M. Nétanyahou s’y est entretenu avec le président du Conseil central des juifs en Allemagne, Josef Schuster, qui s’est dit « préoccupé que son gouvernement divise la société israélienne et sape la confiance dans Israël en tant que démocratie ».
M. Scholz et M. Nétanyahou ont ensuite déjeuné à la chancellerie, avant de s’adresser à la presse vers 14 h 30, près d’une heure plus tard qu’initialement prévu. Le chancelier allemand a de lui-même abordé le sujet qui fâche. « Le premier ministre Nétanyahou m’a informé de la réforme de la justice que son gouvernement veut mettre en œuvre et qui suscite une vive controverse, y compris en Israël. En tant que partenaire attaché aux valeurs démocratiques et proches amis d’Israël, nous suivons ce débat de très près et – je ne veux pas le cacher – avec une grande inquiétude », a-t-il déclaré.
Devant les journalistes, le chancelier a également conseillé à son interlocuteur de reconsidérer l’ébauche de compromis proposé par le président israélien, Isaac Herzog, pour gommer les points les plus controversés de la réforme judiciaire de son gouvernement. « Il est bon que le président Herzog ait multiplié les consultations afin de préserver la paix sociale dans votre pays. (…) En tant qu’amis d’Israël, nous souhaiterions que son plan ne soit pas enterré », a plaidé le chancelier. « Ce que le président [Herzog] propose n’a pas été accepté par les représentants de la coalition au pouvoir », avait affirmé M. Nétanyahou, la veille, avant de s’envoler pour Berlin.
A Olaf Scholz, le premier ministre israélien a répondu qu’il n’avait pas à être inquiet. « Israël est une démocratie libérale et le restera. (…) Nous ne voulons pas affaiblir la démocratie, la justice et les droits fondamentaux, mais au contraire les renforcer », a-t-il assuré, tout en précisant : « Mais une justice indépendante n’est pas une justice toute-puissante. »
En prenant connaissance des déclarations de M. Scholz devant la porte de Brandebourg, Bar Esh s’avoue un peu perplexe : « De la part d’un dirigeant allemand, ce sont des mots assez fermes. Je reconnais qu’on n’y est pas habitué. Mais après ? Le vrai courage, pour l’Allemagne, ce serait de cesser de faire du business avec un tel gouvernement à la tête d’Israël. »
Parmi les manifestants, la plupart n’ont pas pour préoccupation principale d’accabler le gouvernement allemand, même si une majorité pense qu’il n’était pas nécessaire de recevoir M. Nétanyahou trois mois après son retour au pouvoir, et alors qu’il fait face à un mouvement de protestation massif dans son pays. Certains n’en sont pas moins reconnaissants à la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, d’avoir condamné la volonté du gouvernement israélien d’introduire la peine de mort pour les « terroristes ». Ce serait « une grande erreur », avait-elle affirmé lors d’une conférence de presse avec son homologue Eli Cohen, le 28 février, à Berlin. « En Allemagne, on apprend à l’école qu’Israël, bien que menacé par la terreur comme aucun autre pays, n’a appliqué la peine de mort qu’une fois dans son histoire [en 1962] contre [l’ancien dirigeant nazi] Adolf Eichmann », avait-elle rappelé.
« Une barrière mentale »
Au-delà du gouvernement allemand, c’est l’opinion publique que les manifestants de jeudi souhaitaient sensibiliser. Or, à ce sujet, leur constat était nuancé : « Le point positif, c’est que nous avons réussi à rassembler des groupes qui, d’habitude, ne se mêlent pas, entre des gens plutôt conservateurs qui viennent avec des drapeaux israéliens, et d’autres beaucoup plus à gauche voire assez propalestiniens », explique le dramaturge israélo-allemand Noam Brusilovsky, cosignataire avec vingt-cinq intellectuels et artistes d’une pétition demandant au gouvernement de M. Scholz de « condamner clairement la politique antidémocratique de M. Nétanyahou ». « Après, il faut reconnaître que peu de simples citoyens allemands sans aucun lien avec la religion juive ou l’Etat d’Israël sont venus. Pour la plupart des Allemands, s’afficher publiquement contre la politique d’Israël reste extrêmement compliqué », reconnaît M. Brusilovsky.
Porte de Brandebourg, Tal Gibbesch partage le même avis. « Même chez les Allemands – et ils sont nombreux aujourd’hui – qui désapprouvent la politique de Nétanyahou, il reste comme une barrière mentale qui fait qu’Israël, pour eux, ne peut qu’être du bon côté. Les gens ne comprennent pas la gravité de la situation », estime cette Berlinoise d’origine israélienne qui, pour frapper les esprits, a écrit sur une grande pancarte : « Allemands, réveillez-vous ! L’actuel gouvernement israélien, c’est le [parti néonazi] NPD et [celui d’extrême droite] AfD réunis ! »
Thomas Wieder
Le Monde du 17 mars 2023
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