Après 40 années passées derrière les barreaux pour l'assassinat d'Avi Bromberg, un soldat israélien tué en 1980, Maher Younes a été libéré jeudi dernier, à l'aube. Pour nombre de Palestiniens, cet homme est un héros de la résistance à l'occupation israélienne. Mais, jeudi dernier, la libération de Maher Younes n'a pas pu être fêtée comme ils l'auraient souhaité.
Deux semaines plus tôt, en effet, son cousin, Karim, emprisonné aussi longtemps et pour la même raison, avait lui aussi retrouvé la liberté. Sa libération avait donné lieu à une débauche de manifestations de joie dans toute la Cisjordanie et dans la bande de Gaza. À Ara, le village de la famille Younes, une grande fête avait été organisée : drapeaux et ballons aux couleurs de la Palestine, chants patriotiques. Ara se trouve en Israël, dans le district de Haïfa. Bien que détenteurs de la nationalité israélienne, la plupart des habitants de ce village arabe se sentent, en réalité, palestiniens.
Cette fête a beaucoup choqué en Israël. Dans les jours qui ont suivi, Itamar Ben Gvir, le nouveau ministre de la Sécurité nationale, a demandé à la police d'agir « résolument contre le terrorisme et le soutien au terrorisme. » Son cabinet a précisé qu' « agiter des drapeaux terroristes, passer des chansons ou exhiber des pancartes célébrant le terroriste comme un héros sont des mesures illégales. » Deux jours avant la libération de Maher Younes, la police est arrivée en force à Ara. À la nuit tombée, de puissants pick-up sont entrés par dizaines dans le village. Une réunion a été organisée avec des membres de la famille. « Ils ne voulaient même pas que nous fassions de barbecue » , explique un oncle. Il a fallu promettre qu'il n'y aurait ni chant ni drapeau. « Mais renoncer au barbecue, c'était impossible » , poursuit le vieil homme. La police israélienne a finalement cédé sur ce point.
Jeudi matin, à l'aube, son frère est allé chercher Maher Younes à Beersheba. La fête a été organisée chez sa nièce, Yasmine. La maison a été décorée comme pour un mariage, avec de petits bouquets de fleurs piqués dans des flots de tulle blanc. Près de deux cents personnes ont pris place autour de tables rondes ; les enfants et les jeunes servent des brochettes et des côtelettes d'agneau. Les Younes sont des notables dans le village, mais il n'y a pas que des membres de la famille parmi l'assistance. On y trouve beaucoup d'anciens prisonniers, des voisins, des jeunes gens venus des villes alentour. Des télévisions et des radios arabes sont venues couvrir l'événement. Maher Younes multiplie les interviews avec beaucoup de professionnalisme. On le filme en compagnie de sa mère, 89 ans. À l'entrée de la maison, une affiche rappelle les règles du jeu. Dans le jardin, aucun drapeau palestinien, pas de chants, mais une sorte de joie tranquille et, dans toutes les bouches, un discours patriotique et anti-israélien.
Visiblement très à l'aise malgré son long enfermement, Maher Younes va d'une table à l'autre, sert des mains, embrasse. Il semble n'avoir aucun regret de ce qu'il a fait. Il est toujours animé par la même passion. « Quarante années, ça a été un long voyage, reconnaît-il. Mais c'était le prix à payer pour la Palestine. Elle est très précieuse, elle le mérite. C'est une cause juste. » Depuis sa prison, il a suivi attentivement les soubresauts du conflit avec Israël. « On ne peut plus parler de paix , assène-t-il. La situation à venir va être très difficile pour tout le monde. »
Avec son sweat à capuche orné de l'image d'un résistant palestinien au visage dissimulé par un keffieh, Line Jabarine ne cache pas son admiration pour Maher Younes. Cette jeune femme est venue du proche village d'Oum el-Fahm pour l'accueillir. Âgée de 18 ans, elle vibre pour la Palestine. « Aujourd'hui, c'est une célébration nationale , assure-t-elle. Les prisonniers sont des combattants. Ils sacrifient leur liberté pour nous. Ils nous rappellent que tous, que nous soyons en Israël, en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, nous vivons sous l'occupation israélienne. » La jeune femme est très critique à l'égard de l'Autorité palestinienne. « Ce sont les enfants du processus d'Oslo, lâche-t-elle , des collaborateurs. Ils travaillent contre les Palestiniens et la cause palestinienne. Chaque jour, l'armée israélienne détruit nos maisons, tue nos jeunes et eux, ils ne font rien. Mais, peut-être que si la situation empire encore, quelque chose de bien arrivera enfin pour le peuple de Palestine. » Bien plus âgé qu'elle, Qassem Younes partage son point de vue. Cela lui a valu trois années de prison, entre 1983 et 1986. Mais la perspective d'une dégradation de la situation ne l'inquiète pas, au contraire. « C'est plus facile pour nous, les Palestiniens, que pour les Juifs, lance-t-il, bravache. Nous, nous n'avons pas peur. Moi, je n'ai jamais eu besoin de mettre mon fils dans un abri en pleine nuit à cause d'une attaque de roquette. Les Israéliens, eux, ont toujours peur. Qu'ils habitent dans le Nord, dans le Sud, à tout moment. Dans l'histoire, aucune occupation n'a jamais duré éternellement. Un jour, celle-ci aussi prendra fin. »
Vendredi, Maher Younes s'est à nouveau retrouvé devant la police. Il a dû s'expliquer sur ses déclarations aux médias arabes, en faveur de la « résistance » et de « l'unification entre les factions palestiniennes » , avant de ressortir, libre. Selon Itamar Ben Gvir, cette attitude est « une preuve de plus de l'importance de la peine de mort pour les terroristes » . Le même jour, une vingtaine d'activistes palestiniens venus de Jérusalem ont été arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à rendre visite à l'ancien prisonnier.
de Dieuleveult, Guillaume
Le Figaro du 26 janvier 2023
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