Attaque israélienne d'un camp de réfugiés à Jénine : «Une boucherie»

 

Neuf Palestiniens ont été tués et une vingtaine blessés jeudi lors d'un raid des forces spéciales israéliennes contre des activistes islamistes dans un camp de cette ville du nord de la Cisjordanie occupée. L'HISTOIRE DU JOUR

Jénine, l'ambiance est celle d'une marche funèbre. Des hommes, par centaines, qui remontent les allées étroites du camp de réfugiés. La plupart sont vêtus de noir des pieds à la tête, certains portent une cagoule dissimulant leur visage. Près du cimetière, une odeur de poudre monte au nez, celle des salves incessantes de tirs à l'arme automatique pour rendre un dernier hommage aux «martyrs». Quatre Palestiniens viennent d'y être enterrés. En tout, neuf ont été tués lors d'un raid de l'armée israélienne jeudi, qui a blessé 20 personnes, dont quatre grièvement. «Les autres venaient des villages alentour, Burqin ou Yamun», lance un jeune dans le cortège. «Ce n'était pas uniquement des combattants armés, ils ont tué une femme âgée et des adolescents», précise Mohammad Sabbagh, président de comité populaire du camp de Jénine. «Mais pour les Israéliens, nous sommes tous des cibles.» Il décrit la matinée : l'invasion des forces spéciales israéliennes dans le camp vers 7 heures du matin, la maison de militants armés prise pour cible, la riposte et les bombes incendiaires tuant trois combattants sur le coup, brûlés vifs. «La pire manière de tuer. Ensuite, le camp a été encerclé par l'armée arrivée en renfort. Les tirs sont repartis de plus belle. Tant qu'Israël continuera cette politique, personne ne connaîtra la paix, ni la sécurité, assure-t-il. Ni les Palestiniens ni les Israéliens.» Du haut-parleur de la mosquée résonne un appel à «la poursuite de la résistance». D'après l'armée israélienne, l'opération était surtout destinée à arrêter des combattants du Jihad islamique palestinien, soupçonnés d'avoir planifié et perpétré «des attentats terroristes majeurs».

Bulldozers. «Pendant l'opération, les forces de sécurité ont opéré pour encercler le bâtiment dans lequel se trouvaient les suspects. Deux d'entre eux, armés, ont été identifiés alors qu'ils fuyaient les lieux et ont été neutralisés par les forces de sécurité», a précisé un communiqué de l'armée israélienne. «C'était une véritable boucherie, insiste un habitant de Jénine qui préfère garder l'anonymat.

Des membres des forces spéciales ont été tués, mais ça, ils ne l'admettront jamais.» Plus haut dans le camp, des carcasses de voiture attestent la présence des bulldozers de l'armée israélienne plus tôt dans la journée. Dans le reste de la ville, tout est anormalement calme. Les boutiques, les restaurants, les cafés ont baissé le rideau par respect. «C'était une invasion sans précédent», estime Wissam Baker, le directeur de l'hô- pital gouvernemental de Jénine. «Les ambulances ont été empêchées d'arriver sur place : un chauffeur a essayé

d'atteindre quelqu'un à terre. Le véhicule s'est fait tirer dessus, deux impacts sur le pare-brise et le blessé s'est vidé de son sang. Il est mort.» Il ajoute que l'unité pédiatrique de l'hôpital a été visée par des tirs de gaz lacrymogènes et décrit les patients - des femmes et des enfants - qui s'enfuient, toussent et suffoquent.

Résistance. «Personne n'a tiré de gaz lacrymogène à l'intérieur, s'est vigoureusement défendue l'armée israélienne, mais l'opération se déroulait à proximité et il est possible que du gaz soit entré par les fenêtres.» AJénine, ces scènes ont surtout un air de déjà-vu. La ville, particuliè- rement son camp où se serrent 20000 descendants de réfugiés de la Nakba, se noie dans les deuils. Les affiches des «martyrs» collées sur les murs s'entassent, les chaises en plastique installées pour les azza (un rassemblement où les habitants présentent leurs condoléances aux familles des défunts) sont à peine rangées qu'elles doivent déjà être ressorties. Tout s'est accéléré fin mars : après plusieurs attaques menées contre des civils en Israël, l'armée israélienne a lancé une vaste opération visant à «éliminer» une nouvelle forme de résistance armée. Plus jeune, en dehors des partis traditionnels et concentrée dans le nord de la Cisjordanie, les Brigades de Jénine et les Areen al-Oussoud à Naplouse - «tanière des lions» en arabe - sont une épine dans le pied d'Israël. Cette nouvelle résistance utilise des chaînes Telegram et poste des vidéos sur TikTok pour revendiquer les attaques contre des soldats, des colons ou des civils israéliens. En réponse, les incursions de l'armée israélienne sont quasi quotidiennes. Jeudi en fin d'après midi, l'Autorité palestinienne a annoncé mettre fin à la coordination sécuritaire avec Israël. Une menace déjà brandie en mai 2020 pour protester contre un projet israélien d'annexion. Le Premier ministre de l'Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, en appelle aux Nations unies. A Gaza, les factions ont déclaré l'état d'alerte. Mais ce qui s'est passé jeudi n'est qu'«un signal» pour de nombreux habitants. Depuis le début de l'année, une trentaine de Palestiniens ont déjà été tués. ?

Par Alice Froussard
Libération du 27 janvier 2023

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