Affaire Pegasus. Le Maroc attaque l’Humanité en justice

 

Cible du logiciel espion Pegasus,  l’Humanité est aujourd’hui convoqué pour diffamation et organise une soirée pour la liberté d’informer, le 25 octobre.

Bienvenue dans le 21 e arrondissement de Paris, l’annexe orientaliste de l’entre-soi. C’est à l’ombre des grenadiers du jardin d’inspiration arabo-andalouse, à la fraîcheur des fontaines de l’hôtel Royal Mansour, qu’anciens présidents de la République et ministres en exercice entretiennent leurs réseaux, à l’invitation de Sa Majesté Mohammed VI. À Marrakech, personne ne déboursera les 35 000 euros nécessaires – majordome compris – au séjour dans le plus luxueux des 53 riads construit sur un ancien jardin public. Confidentialité assurée : tous sont accessibles depuis des tunnels souterrains qui « permettent au personnel d’œuvrer en toute discrétion, ajoutant au confort et à l’intimité de nos hôtes », précise l’hôtel. Seulement, personne n’échappe aux moukhabarat 2.0, aux mouchards des services de renseignements marocains. Pas même le président Macron, qui aurait lui-même fait l’objet d’un espionnage ciblé.

Les journalistes indépendants persécutés par le pouvoir marocain
En juillet dernier, la liste publiée par Forbidden Stories, Amnesty International et un consortium de 17 médias internationaux sur le système d’espionnage mondial développé par la société israélienne NSO démontrait le recours du Maroc à des techniques pointues de cybersurveillance, par-delà les frontières.
Cette liste révélait que  l’Humanité était également sous étroite surveillance pour son travail. Le numéro de notre grand reporter Rosa Moussaoui figure ainsi parmi les 50 000 potentiellement happés par le logiciel espion depuis août 2019. En cause, ses enquêtes lors du mouvement populaire du Rif en 2016 et sur les journalistes indépendants persécutés par le pouvoir marocain, Omar Radi et Soulaimane Raissouni. De même, après le violent démantèlement du camp de protestation de Gdeim Izik, notre titre a fait connaître le sort des prisonniers politiques sahraouis, dont 19 sont encore détenus aujourd’hui à l’issue de procès inéquitables.
L’Humanité a décidé de porter plainte. Mais le Maroc, pris dans un irrésistible vortex, attaque à son tour notre journal pour diffamation. Cette atteinte à la liberté de la presse et à la protection des sources vise précisément à faire taire durablement les voix critiques, ici et au Maroc. C’est le sens de la soirée pour la liberté d’informer que nous organisons, le 25 octobre, à la bourse du travail de Paris.
«  C’est une attaque frontale contre le travail des journalistes puisqu’un des risques que l’on encourt lorsqu’on enquête sur des terrains difficiles, où sont perpétrées des violations des libertés et des droits humains, c’est la mise en danger de nos sources passées et présentes. Cela compromet la possibilité de nouer des liens de confiance avec des personnes qui prennent des risques en transmettant des informations sensibles, c’est une très grave entrave à l’exercice de nos métiers et à la liberté de la presse », insiste Rosa Moussaoui qui témoigne, comme plusieurs reporters de l’Humanité, des pressions et de la surveillance physique dont elle a été l’objet sur place.
Lors de l’enquête sur Omar Radi, menée en collaboration avec Mediapart, un mystérieux invité s’est introduit dans une visioconférence avec une source marocaine. Ces menaces à peine voilées constituent une entrave à l’information des citoyens, qui pourraient, à leur tour, être victimes de ces armes de répression. « La question n’est pas seulement celle des dispositions individuelles ou des dispositions que peuvent prendre les rédactions. Il faut surtout mettre en place des garde-fous face à ce genre de procédés. Nous avons affaire à des États, des géants de la surveillance qui s’affranchissent de toutes les règles, de toute légalité. Dans le cas du Maroc, c’est une manière d’étendre des méthodes, qui étaie nt déjà en place contre les militants et les défenseurs des droits humains, à des ressortissants français. C’est une forme d’extraterritorialité des méthodes autoritaires et dictatoriales », poursuit Rosa Moussaoui.

Des technologies comparables à des armes non conventionnelles
Cette surveillance, qui tient du projet de société, est rendue possible par l’absence de responsabilités pénales incombant aux entreprises impliquées sur ce marché. Comparables à des armes non conventionnelles, ces technologies intrusives devraient, selon plusieurs parlementaires communistes et insoumis, faire l’objet d’un traité international de non-prolifération.
Au même titre qu’une arme, l’exportation du logiciel malveillant Pegasus vers des États tiers doit faire l’objet d’une validation de l’Agence israélienne de contrôle des exportations militaires, qui dépend du ministère de la Défense. Il apparaît clairement que Tel-Aviv a usé du commerce de ce logiciel, au gré de ses alliances, comme d’une monnaie d’échange pour garantir ses intérêts géopolitiques. La prolifération de ces armes non conventionnelles pose enfin la question de la préservation de la souveraineté, du cadre démocratique et des libertés publiques.

Des liaisons dangereuses
Mutique sur les violations répétées des droits de l’homme par le Maroc, Paris paie ses complaisances, qui ont permis à son « allié » de franchir toutes les lignes rouges. En 2014, le diplomate Gérard Araud résumait la nature des relations bilatérales en ces termes : le Maroc serait une « maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux mais qu’on doit défendre ».
D’après Amnesty International, l’ancien ambassadeur en Israël aurait quitté son poste de conseiller en charge de « la protection des droits humains et de la vie privée » à NSO peu avant les révélations de Forbidden Stories. Selon l’hebdomadaire Marianne, il ferait l’objet « d’importantes vérifications » de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et d’un signalement pour « intelligence avec une puissance étrangère » auprès de la procureure de Paris pour son activité au sein de NSO. Vous avez dit liaisons dangereuses ?

Lina Sankari
L'Humanité du 18 octobre 2021


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