« Nous sommes retournés dans la résistance » : Alaa Busati, la flamme de la révolution soudanaise en exil

 

Alaa Busati, avocate et activiste de la révolution Soudanaise, réfugiée en France.© Nicolas Cleuet / Le Pictorium

Étudiante puis militante lors des révoltes de 2013 et 2019 au Soudan, Alaa Busati est exilée à Marseille depuis octobre 2024. L’avocate tente de garder vivante les idées révolutionnaires qui ont fait chuter la dictature d’Omar al-Bachir et d’alerter sur les ingérences étrangères qui attisent la guerre consumant le Soudan.
Alaa Busati devrait être en Ouganda, en Afrique de l’Est, pour aider les réfugiés soudanais isolés sur place à reconstruire un semblant de vie sociale. L’avocate de 30 ans, elle-même Soudanaise, aimerait y développer une ferme collective. Mais aussi pour aider à stabiliser la situation locale : « Il y a eu des affrontements entre Soudanais et Sud-Soudanais dans un camp, car le gouvernement a placé les deux communautés au même endroit », rapporte-t-elle.
Regard vif, esprit radical, la militante ne veut plus patienter sagement. Attendre que l’on vienne en aide au peuple soudanais, déchiré depuis avril 2023 par un conflit entre les Forces de soutien rapide et l’armée soudanaise, ne lui suffit plus. Elle a « besoin de trouver des alliés » le plus rapidement possible. Pour le moment, Alaa Busati reste bloquée à Marseille, où elle est exilée depuis octobre 2024. Elle est en attente d’une réponse à sa demande d’asile et de renouvellement de son passeport « pour pouvoir travailler en Ouganda ».

Des centaines de militants emprisonnés
Pour l’heure, elle ne peut qu’observer le sang couler au Soudan. Ce sentiment d’urgence, de fatalité face à la guerre, Alaa Busati l’a ressenti à Khartoum ou à Port-Soudan lorsque le régime autoritaire d’Omar al-Bachir, en place depuis 1989, a commencé à se fissurer à la fin des années 2010.
Alaa Busati y rejoint alors le mouvement révolutionnaire. Elle distribue des tracts, apporte son expertise d’avocate et rejoint les mobilisations. « Je me souviens de la première grève, le 19 décembre 2018. Les gens se sont rassemblés au marché, tandis qu’Internet était déconnecté. Les contrôles se sont multipliés. C’était vraiment violent. » Quand Internet est rétabli, « les photos et les vidéos de la répression ont pu être diffusées ». Le mouvement gagne de l’ampleur, jusqu’à la destitution, en avril 2019, d’Omar al-Bachir, à la tête d’une dictature islamiste depuis 1989. La révolte est un succès.
Tout s’écroule à partir d’octobre 2021. Les généraux Mohamed Hamdan Dagalo et Abdel Fattah Al-Burhan renversent le gouvernement civil avant de s’affronter d’avril 2023 jusqu’à maintenant. « Nous sommes retournés dans la résistance », explique Alaa Busati, qui a alors intégré un réseau d’avocats pour tenter d’obtenir la libération des centaines de militants emprisonnés. « Nous devions suivre les véhicules des services de sécurité pour savoir où ils enfermaient les gens », raconte Alaa Busati.

Des centaines de civils périssent sous les balles
Dès 2013, des mobilisations se multipliaient à travers le Soudan, dans le sillage des printemps arabes. Alaa Busati n’est alors âgée que de 18 ans. En première année de droit à l’université El Nilein (Khartoum), cette fille d’une famille partagée entre conservateurs et communistes tisse des liens avec des étudiants, des professeurs politisés et des avocats. un réseau de résistance en gestation.
Le régime d’Omar al-Bachir tient le pays d’une main de fer, mais les facultés échappent en partie à l’écrasement. Dehors, la répression est impitoyable : des centaines de civils périssent sous les balles des autorités. Une décennie ne s’est pas encore écoulée et Alaa Busati ressent le même sentiment de désolation.
Après un séjour dans le village de son père, elle a rejoint la ville de Port-Soudan, sur la mer Rouge, où elle est active dans un réseau d’opposants distribuant de la nourriture et des vêtements à des déplacés. Elle est finalement contrainte de s’exiler à Addis-Abeba (Éthiopie) puis Kigali (Rwanda). « La plupart des pays qui accueillent les réfugiés n’ont pas les infrastructures nécessaires, regrette-t-elle. Cela représentait beaucoup de travail juridique et humanitaire. »
Bloquée en France, Alaa Busati s’attaque aujourd’hui à la complicité des Occidentaux. « Vous avez financé et armé les FSR, vous leur avez donné de l’argent pour qu’ils réduisent l’immigration vers l’Europe. Et, maintenant, nous devons en payer le prix », s’insurge-t-elle. Sa Lettre d’une féministe soudanaise aux féministes du monde entier, publiée en novembre 2024 sur le média franco-soudanais Sudfa, condense sa pensée politique dans un appel féministe à la révolte.
Elle y rappelle la répression visant les femmes et filles soudanaises, victimes de féminicides, de viols et de disparitions à grande échelle. Elle n’hésite pas à fustiger la passivité de la communauté internationale, prête à abandonner « le peuple soudanais, victime du colonialisme mondial ». Une bataille à grande échelle, dans laquelle Alaa Busati est embarquée.

Tom Demars-Granja
L'Humanité du 10 décembre 2025


Lettre d’une féministe soudanaise aux féministes du monde entier

Texte écrit par Alaa Busati, militante soudanaise en exil, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes.

Je salue les femmes qui luttent dans toutes les régions du monde, femmes au foyer, travailleuses, agricultrices, employées, personnes déplacées, migrantes, et celles qui sont sous le feu des guerres au Congo, en Palestine, en Ukraine, au Liban et au Soudan.
En ce 25 novembre, mon pays ravagé par la guerre traverse la période la plus sombre de son histoire. 14 millions de réfugié-e-s ont fui le Soudan, dont 88% de femmes et d'enfants, et 3 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, exposées aux épidémies et à la famine, tandis qu’au moins 25 femmes meurent chaque jour dans des attaques.
Depuis l'aube de l'histoire, les femmes soudanaises constituent un exemple exceptionnel : à l'époque des pharaons noirs, nous étions des reines guerrières et des déesses idolâtrées, nous menions des guerres et décidions qui hériterait du trône. Dans l'histoire moderne, des femmes sages ont dirigé le Soudan avec une autorité sociale inégalée, de la mer Rouge aux forêts tropicales.
Puis, après l’arrivée du colonisateur anglais, les mouvements de libération et d’indépendance sont nés dans les salons de femmes, de leurs discussions et de leur combat pour préserver leur culture.
Après la prise de pouvoir des islamistes représentés par le régime d’Omar El-Béshir (1989), nous, les femmes, avons été une épine dans la gorge du régime, qui nous a classées comme ses ennemies naturelles et a promulgué des lois humiliantes à notre encontre. C’est pourquoi la révolution soudanaise de 2018 était avant tout une révolution féministe. Les femmes médecins, les avocates, les étudiantes, les femmes au foyer ont participé activement à la révolution et à la formation des comités de résistance. Les filles soudanaises ont formé des réseaux de renseignement secrets qui ont permis aux manifestant-e-s de déjouer les pièges tendus par leurs assassins.
Depuis mon arrivée en Europe, j'ai remarqué que, malgré les horreurs que nous vivons, le Soudan est loin d'être au centre de l'attention. Nous sommes dépeints comme un peuple primitif qui s'entre-tue, alors qu'en réalité, ce sont les armées impérialistes qui mènent la guerre au Soudan. Wagner et les Émirats Arabes Unis se battent avec les Forces de Soutien Rapides, l'Iran et l'Arabie saoudite se rangent du côté de l'armée soudanaise, tandis que la Chine, l'Égypte et les Émirats pillent les ressources du pays. Tout le monde conspire dans un silence délibéré, visant à cacher une guerre menée sur le corps des femmes.
Dans la guerre au Soudan, déclenchée il y a 19 mois pour mettre fin à la révolution soudanaise, le vi*l est utilisé comme une arme contre les femmes. 4 millions de femmes sont sous la menace de vi*lences s*xuelles perpétrées collectivement devant leurs familles comme moyen d'intimidation et de vengeance. Les femmes soudanaises ont perdu leurs maisons et leurs sources de revenus, et ont été forcées de fuir leurs villages sur des routes dangereuses bombardées par des canons et des avions de guerre, tandis que des sociétés internationales travaillent à l'extraction de l'or dans les zones d’où les gens ont été déplacé-e-s.
Dans les camps de déplacé-e-s, qui sont bombardés et menacés, sévit la plus grave famine au monde depuis 40 ans. L’absence de nourriture et de médicaments contraint les gens à manger des feuilles d’arbres. La famine menace la vie de 7000 nouvelles mères dans les semaines à venir et plus de 1,2 million de femmes enceintes et allaitantes sont en danger.
Les femmes dans les camps subissent aussi des restrictions de leurs déplacements. Neuf femmes ont été exécutées pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages appelant à la fin de la guerre. Au cours du seul mois dernier, 69 cas de disparitions forcées de femmes ont été enregistrés.
Pour finir, j'espère que la cause des femmes soudanaises trouvera la solidarité souhaitée de la part des femmes du monde entier et des défenseur-euse-s des droits des femmes.
Si vous le pouvez, je vous demande d'observer une minute de silence en signe de deuil pour les femmes soudanaises qui ont perdu la vie, et en signe de solidarité avec les femmes déplacées dans les camps.
Je salue à nouveau les femmes qui luttent contre la violence dans le monde entier. Que la paix soit sur elles, et que justice leur soit rendue !

Alaa Busati, militante soudanaise en exil en France.
(24 novembre 2024)
Traduction : Sudfa Media




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