Monique Chemillier-Gendreau, juriste : « Il faut rendre au peuple palestinien les commandes de son destin »

 



Dans une tribune au « Monde », la professeure émérite à l’université Paris Cité déplore que les Palestiniens soient écartés des négociations du plan de Trump pour Gaza. Elle réfléchit aux manières dont ce peuple pourrait s’imposer en interlocuteur légitime et prendre une part active dans ces discussions.

Les Palestiniens sont-ils désormais effacés de l’histoire ? Oui, à en croire le plan de paix du président Donald Trump pour Gaza approuvé le 17 novembre par la résolution 2803 du Conseil de sécurité [des Nations unies], qui renvoie à un futur incertain tous les droits du peuple palestinien. Un « chemin crédible vers son autodétermination » s’ouvrira « peut-être » lorsque « l’Autorité palestinienne aura scrupuleusement exécuté son programme de réformes ».
Ce texte a été négocié et approuvé en l’absence des Palestiniens, ce peuple pourtant reconnu comme Etat souverain par 158 Etats sur les 193 membres des Nations unies [en septembre]. Treize des membres du Conseil, dont la France et l’Algérie, ont voté pour. La Russie et la Chine se sont abstenues. L’Autorité palestinienne a salué l’adoption de cette résolution. Mais avaient-ils le choix ? Refuser ce plan, c’était condamner la population de Gaza à un enfer de bombardements israéliens plus grave encore que celui qui persiste malgré la trêve. Pourtant, cette résolution est en contradiction frontale avec les conclusions de la Cour internationale de justice dans son avis du 19 juillet 2024 repris par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution du 18 septembre 2024. La fracture de la société mondiale est ainsi flagrante.
Comment les Palestiniens peuvent-ils reprendre les commandes de leur destin dans un contexte aussi défavorable ? Cela n’est possible que s’ils parviennent à se faire entendre. Forçant l’optimisme, on tentera ici une suggestion dans la ligne de la Conférence nationale palestinienne qui s’est tenue à Doha en février. L’une des exigences imposées à l’Autorité palestinienne est celle d’élections renouvelant ses instances. Mais qui sera appelé à voter ? Sans doute les 5,4 millions d’habitants qui vivent dans les territoires palestiniens occupés par Israël.
Mais il y en a plus de 7 millions en dehors. Ces Palestiniens expatriés doivent pouvoir voter aux élections de leur pays. Ils en ont le droit en vertu de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce corps électoral complet élirait une instance représentative de tout le peuple et cela ferait émerger des personnalités compétentes prêtes à servir leur patrie. Par ailleurs, alors que le droit au retour physique reste interdit par Israël aux Palestiniens de l’extérieur, la mesure ici évoquée équivaudrait à un droit au retour politique et cette mesure aurait une portée symbolique considérable.

Redonner une assise démocratique
Mais quelle serait l’instance issue de ces élections ? Le renouvellement d’une Autorité palestinienne encagée à Ramallah et dépourvue de toute fonction régalienne ? Il est temps de sortir de ce qui a été le piège d’Oslo [en référence aux accords de paix scellés, le 13 septembre 1993, à Oslo, entre Israël et la Palestine] et de reconnaître que l’Autorité palestinienne n’a aucun pouvoir sur le destin du peuple et aucune capacité à le protéger. Les élections doivent renouveler non pas cette Autorité sans autorité, mais les instances de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), l’organe politique de cette population en lutte auquel il faut redonner une assise démocratique.
Alors, fort des reconnaissances dont la Palestine bénéficie comme Etat, cet organe politique de l’OLP pourra se déclarer gouvernement de l’Etat de Palestine en exil. Reflétant le peuple dans toute sa diversité et échappant à l’occupant israélien, ce gouvernement en exil correspondrait à la véritable situation des Palestiniens, privés du droit à disposer d’eux-mêmes par l’occupation illégale de leurs territoires. De surcroît, une telle solution rendrait sans utilité l’Autorité, institution constamment humiliée par Israël et dont l’avenir est aux mains du Comité Trump. Le gouvernement de l’Etat de Palestine en exil pourrait alors la dissoudre. Il mandaterait à Ramallah un administrateur palestinien délégué pour le représenter en Cisjordanie comme à Gaza.

Négocier la paix
Reste à trouver le modus operandi. Il revient au seul organe qui exprime actuellement la communauté mondiale sur des bases démocratiques, l’Assemblée générale des Nations unies, d’intervenir à ce sujet. Elle seule reflète la réalité des peuples du monde. Elle partage avec le Conseil de sécurité la responsabilité du maintien de la paix. Le Conseil de sécurité a avalisé la création d’un « conseil de paix ». On ne sait rien de celui-ci pour le moment, si ce n’est qu’il est limité à la paix à Gaza, qu’il est présidé par Donald Trump.
L’Assemblée générale doit exiger d’avoir des représentants à ce « conseil ». Pour ce qui est de la paix véritable, celle qui rendra aux Palestiniens leurs territoires – Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est – et tous leurs droits, c’est au gouvernement palestinien en exil de la négocier, sous le parrainage impartial de l’Assemblée générale.
Celle-ci devra alors superviser des élections ouvertes à tous les Palestiniens pour la formation du gouvernement, faciliter son implantation dans un pays acceptant d’assumer cette responsabilité, persister à condamner et à combattre la politique de colonisation et d’apartheid menée par Israël dans les territoires occupés, protéger l’administrateur palestinien exerçant des fonctions sur place, nommer un comité réduit en son sein pour parrainer les négociations générales de paix. Quant à la force [internationale] en cours de formation comme un élément du plan de Trump, l’Assemblée doit exiger de la contrôler, notamment pour ce qui est de son mandat, afin que celui-ci serve les intérêts des Palestiniens et leur protection et non ceux d’Israël.
Si ces mesures étaient prises, alors les Palestiniens pourraient s’imposer comme interlocuteurs du Comité Trump à Gaza et peser pour empêcher que n’advienne une paix non fondée sur le droit international.

Monique Chemillier-Gendreau,
professeure émérite de droit public et de science politique à l’université Paris Cité.
Tribune - Le Monde du 12 décembre 25



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