« MOJO Gaza » : venues de Gaza, des images contre l’anéantissement

 

       Dans les dix-sept courts-métrages du projet « MOJO : Gaza filmée par sa jeunesse », visibles en ligne et projetés, pour dix d’entre eux, ce vendredi au Forum des Images, à Paris, la même volonté s’exprime : donner aux victimes de crimes contre l’humanité une plateforme pour produire et diffuser leurs propres images.© Mojo Gaza
Alors que l’on tue les journalistes à Gaza, le programme « MOJO Gaza » donne à voir des courts-métrages documentaires réalisés au téléphone par de jeunes gazaouis entre septembre et octobre 2025. Édifiantes, les images élèvent des voix et des visages contre l’horreur. Une projection publique aura lieu vendredi soir, au Forum des Images, à Paris.
Plus de 260 journalistes tués à Gaza depuis le 7-Octobre. Du génocide en cours, l’État israélien et ses complices voudraient qu’il n’y ait rien à voir. Que l’horreur soit mise sous le tapis, quitte à faire passer les images qui parviennent quand même pour des faux. C’est l’une des facettes de l’effacement de la Palestine et de son peuple, en plus des bombardements, de la famine ou des réécritures de l’histoire. Dans ce contexte, filmer Gaza, montrer ses kilomètres de ruines, ses habitants tués ou amputés et les visages des survivants devient un geste de résistance. En 2004, le réalisateur palestinien Rashid Masharawi disait déjà que « la vidéo a donné aux Palestiniens la possibilité de faire notre propre image, de raconter nous-mêmes notre histoire. » Il en concluait : « Nous avons besoin de la vidéo pour exister ». Vingt ans après, le cinéaste prolongeait ce vœu avec From Ground Zero, compilation de courts – films documentaires, de fiction ou d’animation – réalisés dans la bande de Gaza bombardée.

Montrer les crimes depuis Gaza
Dans les dix-sept courts-métrages du projet « MOJO : Gaza filmée par sa jeunesse », visibles en ligne et projetés, pour dix d’entre eux, ce vendredi au Forum des Images, à Paris, la même volonté s’exprime : donner aux victimes de crimes contre l’humanité une plateforme pour produire et diffuser leurs propres images. Montrer la souffrance de l’intérieur, à travers l’œil de ceux qui la vivent. Faire non pas des images « sur » Gaza, mais des images « de » Gaza. Entre 3 et 15 minutes, ces films, déchirants et nécessaires, disent la vie et la mort dans un territoire pilonné par les bombes, en se focalisant sur des personnes ou des lieux choisis. Dans Exode sous les roues, Amer Riad Abu Amr filme ainsi le dessous d’une remorque où un père et ses enfants ont trouvé leur seul abri. Carburant empoisonné de Zahra Salim Sarsour et Mahmoud Abu Amr donne à voir, dans un décor dévasté, les fabricants de carburant pris en étau entre le sacrifice de leur propre santé dans les fumées toxiques et la nécessité vitale de la production d’énergie. La lisière de Afnan Awad et Fadi Shaheen suit Mohamed, un secouriste de la défense civile à Gaza, à travers des scènes de sauvetage extrêmement dangereuses, jusqu’à la mort d’un de ses collègues.
Derrière l’objectif de ces films tournés au téléphone, 22 jeunes réalisateurs âgés d’entre dix-huit et trente-cinq ans, tous mûs par une appétence pour le journalisme ou l’audiovisuel. Ils ont bénéficié d’une formation de dix jours en écriture et en réalisation et ont tourné dans un temps court, entre septembre et octobre 2025. « Ce projet s’est déroulé dans des conditions inhumaines, sous les bombardements et les déplacements forcés. Certains d’entre eux ont risqué leur vie pour tourner certains films », raconte le Dr Bassam Barakat, médecin à Gaza-ville et coordinateur, sur place, du projet. Dans les documentaires, l’explosion des bombes vient parfois interrompre le plan. L’un des jeunes réalisateurs, Yahia Barzaq, a été tué dans un bombardement quelques jours après avoir terminé le montage de son film, Au bord de l’effondrement, où une famille raconte comment elle doit s’adapter pour vivre dans un immeuble menaçant de s’écrouler. « C’était l’un de nos participants les plus engagés », se souvient le médecin. Avant octobre 2023, il réalisait de délicates photographies studio de nourrissons. Comme beaucoup, il s’était mis, par la force des choses, à ne plus filmer que la destruction.

Trois prix décernés
Souvent, les films du projet MOJO témoignent de l’expérience vécue de l’occupation par le détail. Dans La voix du silence de Fadel Al-Hammami et Ahmed Al-Mashharawi, c’est en observant les vibrations de l’eau dans une bouteille qu’une femme atteinte de surdité guette les explosions qu’elle ne peut entendre. Dans Espace perdu de Mahmoud Atef Sabah, une mère raconte l’intimité perdue dans les tentes. Ensemble, les courts constituent un témoignage inestimable de ce qu’est réellement le génocide. « Alors que les journalistes sont ciblés et tués, le téléphone est devenu un outil formidable pour capter ce qui ne serait pas visible autrement », observe Ouahid Abbasi, président de l’ONG Dignité International, qui organise le projet. « Nous refusons que la guerre ait le dernier mot, et affirmons que chaque image captée est un acte de résistance civile, un témoignage au service de la mémoire et du droit », poursuit celui qui créait cette organisation humanitaire en 2014, en plein dans la guerre civile centrafricaine.
Cette initiative est l’un des volets de l’activité de plaidoyer menée par Dignité International, complémentaire des actions menées sur le terrain pour l’aide alimentaire, l’accès à l’eau et aux soins médicaux. Vendredi soir, la première projection publique sera un moyen de porter haut ces fragments gazaouis. Trois prix seront décernés, parmi lesquels un prix du public dont le scrutin a lieu en ligne. Un moyen « d’encourager et de promouvoir le travail de ces jeunes », pour Ouahid Abbasi.
Présidente du jury, la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi défend la nécessité de « montrer des histoires palestiniennes, faites par des Palestiniens et des Palestiniennes. » Le souvenir de Fatma Hassona, photographe qui capturait le génocide en cours à Gaza, et que Sepideh Farsi filmait à travers son écran de téléphone dans Put your hand on your soul and walk, n’est pas loin. En avril dernier, cette jeune Gazaouie a elle aussi été tuée par Israël. « Je rencontre de plus en plus de gens avec qui Fatem communiquait », raconte aujourd’hui Sepideh Farsi. « Je me dis qu’elle envoyait un peu partout des bouteilles à la mer. Et que toutes les histoires que les Palestiniens comme elle partagent avec le monde sont des bouteilles à la mer. »
Face à l’indicible, ces bouteilles à la mer renferment toutes un même message, vital et urgent. L’un des réalisateurs, Youssef Iyad, joint par message, le résume ainsi : « Comme le reste du monde, nous aimons la vie, et comme le reste du monde, nous avons des droits. Je veux montrer les images les plus fortes au monde afin que l’on comprenne notre situation et que l’on nous aide à mettre fin à ce génocide ». Sur Instagram, ce photographe hyperactif documente jour après jour les crimes commis à Gaza. Dans son film Hamza, une enfance interrompue, portrait insoutenable d’un garçon de douze ans pleurant son père tué au premier jour de la guerre, un mur effondré porte un tag : « nous mourons à cause de votre silence ».

Samuel Gleyze-Esteban
L'Humanité du 04 décembre 25

Mojo Gaza, séance publique le vendredi 5 décembre à 19 h 30 au Forum des images (Paris). Entrée libre.
Forum des images
Adresse : 2 Rue du cinéma, 75001 Paris
Emplacement : Westfield Forum des Halles

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