| Malika se définit comme une infirmière « humanitaire dans l’âme. »© Arié BOTBOL/REA; |
Son keffieh posé sur la banquette, elle commande un café au lait. Le soleil d’automne niçois filtre à travers la baie vitrée, contrastant avec la gravité des mots de Malika Baouya, la fondatrice de l’ONG Infirmières sans frontières. La dernière fois que nous l’avons rencontrée, c’était à bord d’un des navires de la Global Sumud Flotilla. Une expérience marquante. L’arrestation, les insultes, la prison dans le désert du Néguev… « On nous a traités comme des criminels. Personne ne réalise ce qu’on a vécu. Même nos proches ne le comprennent pas vraiment. J’ai peur de craquer un jour. » Mais la quadragénaire sourit, car ce n’est ni la première ni la dernière de ses implications militantes.
Malika se définit comme une infirmière « humanitaire dans l’âme. » Étudiante, déjà, elle consacre son sujet de mémoire à la prise en charge médicale des exilés, en s’appuyant sur le parcours d’un homme arrivé seul, sans parler français, après avoir traversé la mer et subi la torture en Libye. En stage aux urgences psychiatriques, elle se souvient de lui, « pas fou, juste traumatisé ». Cette rencontre la bouleverse et la conforte dans l’idée que « soigner, c’est prendre en compte la détresse de l’autre ».
Le tournant d’un voyage
Quand elle commence à exercer son métier, elle crée parallèlement, en 2017, l’association Maraudes 06 et arpente les rues de la capitale azuréenne à la rencontre des sans-abri. Une action qui lui vaut d’être décorée par la ville. « Ça ne représente pas grand-chose, relativise l’infirmière. Ce qui comptait pour moi, à l’époque, c’est qu’ils mangent. » Son parcours la conduit ensuite au Samu social et à quelques missions d’intérim.
Son voyage en Palestine, en février 2023, avant les attentats du 7 octobre et la répression sanguinaire à Gaza, est un tournant. Le contraste entre la vie à Tel-Aviv, à Jérusalem et celle d’un camp de réfugiés de la région de Bethléem est un choc. De retour en France, elle se fixe comme objectif d’aider les Gazaouis.
Elle intègre une équipe de soignants qui obtient l’autorisation d’entrer dans l’enclave palestinienne, mais la fermeture du point de passage avec l’Égypte, à Rafah, trois jours après l’attaque du Hamas, rend toute action humanitaire impossible. C’est l’impasse.
Se battre pour les enfants
Elle ne s’y résout pas et décide alors de créer sa propre ONG : Infirmières sans frontières. « Si je ne peux pas entrer à Gaza, j’irai là où ceux qui fuient l’enfer parviennent à survivre », se dit-elle. Trois mois plus tard, en janvier 2024, elle lance sa première mission au Caire. Elle y rencontre 75 familles gazaouies, principalement des femmes isolées accompagnées d’enfants malades, sans ressources. Malika ne peut que constater leur détresse, notamment celle des adolescents silencieux qui, avant de tout abandonner, ont vu les leurs tomber dans les bombardements. Une des premières actions de l’ONG est de leur offrir un moment de répit : un tour de bateau sur le Nil. « Ce n’était vraiment pas grand-chose, mais ce jour-là, ils ont ri », confie-t-elle encore émue.
Parmi ces enfants réfugiés, Anas, 4 ans, souffre d’une grave pathologie cardiaque. « Le médecin disait qu’il pouvait mourir du jour au lendemain », se souvient Malika. Elle se lance alors dans une course contre la montre pour trouver un moyen de le faire soigner. Faisant face à des démarches administratives absurdes, payant même des bakchichs pour obtenir les papiers nécessaires, elle parvient à accompagner le petit garçon en Turquie où il bénéficie d’une chirurgie à cœur ouvert qui lui sauve la vie.
Aujourd’hui, c’est Carmen, 4 ans également, qui occupe les pensées de l’infirmière. Malika se bat depuis plusieurs semaines, avec le collectif Blouses blanches pour Gaza, pour que la fillette, atteinte d’une malformation cardiaque sévère, quitte l’enclave palestinienne dévastée. « Si on n’y parvient pas rapidement, elle mourra, alerte-t-elle. La difficulté reste l’obtention de l’accord israélien. Chaque dossier est un combat. »
Avec le fragile cessez-le-feu en cours, l’espoir de réouverture du point de passage de Rafah est dans toutes les têtes. Les familles réfugiées au Caire ont récemment reçu un message leur demandant de se tenir prêtes à rentrer. À sa réception, la mère d’Anas a écrit à Malika : « Je ne retournerai pas à Gaza sans t’avoir revue. » L’infirmière militante décollera pour Le Caire ce 19 décembre. Pour elle, l’espoir se construit sur le terrain « du bon côté de l’histoire ». L’Humanité sera à ses côtés.
Émilien Urbach
L'Humanité du 18 décembre 25
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