Les Palestiniens vivent dans la hantise de l’arrivée des chars israéliens qu’ils entendent patrouiller et d’être tués pour avoir franchi par mégarde la ligne jaune ou d’être emportés par les inondations alors que l’aide matérielle n’entre toujours pas.
Plus de deux mois après l’accord de cessez-le-feu à Gaza, Ahmed Hamed reste hanté par la peur des déplacements forcés et des attaques intenses, alors que les chars israéliens s’approchent de son quartier presque chaque jour. Habitant près du quartier de Shujaiya, à l’est de la ville de Gaza, il observe depuis sa fenêtre ces tanks patrouiller dans la zone, se déplaçant à travers un paysage réduit à des ruines, où des pâtés de maisons entiers ont été rasés et où aucun bâtiment n’est resté debout.
« Lorsque l’accord de cessez-le-feu est entré en vigueur en octobre, ces chars étaient loin d’ici, à environ 1,5 kilomètre. Nous ne voyions aucune force israélienne à l’horizon », souligne Ahmed, un journaliste local de 31 ans, à l’Humanité. « Mais depuis, ils ont avancé de quelques mètres tous les quelques jours. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’à environ 200 mètres. Nous attendons simplement le jour où ils placeront les blocs jaunes devant nos immeubles. Si cela arrive, nous serons sans abri. » Ces blocs matérialisent la « Ligne jaune », mise en place dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu.
Déplacements sans fin
Elle constitue une démarcation militaire qui divise la bande de Gaza en deux et place de fait environ 53 % de sa superficie totale sous contrôle de l’occupant. Les zones situées derrière cette ligne sont considérées comme des zones militaires fermées, où l’accès des Palestiniens est interdit et où des quartiers entiers sont soumis à la démolition, au déblaiement des terres et à l’évacuation forcée. Ceux qui tentent de traverser ou d’approcher la ligne jaune sont immédiatement pris pour cible par les forces israéliennes.
Cependant, les personnes se trouvant en dehors de la zone désignée peuvent également être visées. « Il y a environ deux semaines, la femme de mon cousin a été abattue d’une balle dans la tête, apparemment par un tireur d’élite israélien positionné à l’intérieur de la ligne jaune. Elle se tenait sur le pas de notre porte, portant son enfant de 2 ans. L’enfant est tombé par terre et elle a été tuée sur le coup, raconte Ahmed. Il n’est pas nécessaire de s’approcher de la ligne jaune pour être pris pour cible. On peut être abattu ou bombardé n’importe où dans la bande de Gaza. »
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 10 octobre, Israël l’a violé au moins 591 fois, selon le Bureau des médias du gouvernement de Gaza. Ces violations répétées ont tué environ 360 Palestiniens et en ont blessé plus de 900, soulignant la situation fragile et volatile dans la bande de Gaza, même après la trêve.
« Presque chaque nuit, des véhicules israéliens ouvrent le feu sur notre quartier, comme s’ils essayaient de nous forcer à partir en vue d’installer les blocs jaunes et d’étendre la zone occupée. Pour être honnête, c’est notre pire cauchemar ces temps-ci. Le fait que nos maisons aient survécu à deux ans de génocide pour être maintenant menacées de démolition pendant le cessez-le-feu me hante et m’empêche de ressentir la moindre stabilité », ajoute Ahmed.
Bien que l’accord de cessez-le-feu ait été censé mettre fin à deux années d’attaques israéliennes dévastatrices qui ont détruit ou gravement endommagé plus de 80 % des bâtiments de Gaza, les frappes aériennes, les tirs et les arrestations israéliennes se poursuivent par intermittence dans toute la bande de Gaza.
Reconstruction en suspens
Dans une tente usée, installée dans un abri transformé en école, Amal Eleiwa vit avec ses enfants et petits-enfants. Quand il pleut, ils se réveillent au milieu de la nuit pour soulever leurs matelas et leurs couvertures et les poser sur des chaises afin d’éviter qu’ils ne soient trempés par les eaux de crue qui inondent leur tente. Originaires du quartier de Shujaiya, dans la partie est de Gaza-ville, ils ne peuvent pas rentrer chez eux malgré l’accord de cessez-le-feu.
« Notre maison a été complètement détruite au début de la guerre. Mais même si elle était encore debout, nous n’y retournerions pas, car nous ne nous y sentons pas en sécurité, souffle-t-elle. Les tirs et les bombardements israéliens n’ont pas cessé même après le cessez-le-feu, et deux de nos voisins ont été tués. Nous ne pouvions pas attendre que notre maison soit bombardée, alors nous avons fui et nous vivons maintenant sous une tente (dans le centre de la ville de Gaza). »
Amal n’a pas l’impression que la guerre soit terminée. « Le génocide continue, nous sommes toujours déplacés et tués, mais avec beaucoup moins d’attention internationale », poursuit-elle. Elle ne peut toujours pas reconstruire sa maison en raison de contraintes financières. Mais même si elle en avait les moyens, les matériaux nécessaires sont tout simplement indisponibles.
« Il n’y a pas de matériaux de construction sur le marché, et lorsque par hasard on en trouve, ils sont extrêmement chers en raison de leur rareté, livre Amal. Alors que de nombreux produits alimentaires et vêtements ont été autorisés à entrer, les matériaux de construction restent interdits. La municipalité est incapable de réparer le système d’égout dans nos quartiers ; chaque fois qu’il pleut, nos tentes sont inondées par les eaux de pluie mélangées aux eaux usées, créant de graves risques pour la santé et la sécurité. »
En raison des restrictions continues imposées par Israël, les conditions météorologiques sont devenues une menace pour la vie des populations déplacées de Gaza. Alors que l’hiver s’installe, des dizaines de milliers de Palestiniens sont contraints de vivre dans des tentes fragiles qui offrent peu de protection contre les fortes pluies, le vent et le froid. L’interdiction en cours a rendu les municipalités impuissantes à effectuer même les travaux d’entretien de base, notamment la réparation des systèmes d’égout endommagés.
Depuis début décembre, des dizaines de maisons fragilisées par les bombardements se sont effondrées lors de fortes pluies, tuant et blessant des habitants qui s’étaient réfugiés dans des bâtiments déjà endommagés par les attaques israéliennes. « La pluie était autrefois un événement que nous attendions avec impatience chaque hiver. Aujourd’hui, nous prions pour qu’il ne pleuve pas, car cela ne ferait qu’ajouter une nouvelle couche de souffrance », confie Amal Eleiwa à l’Humanité, blottie dans sa tente fragile tandis que des trombes d’eau s’abattent sur la toile.
« Mais regardez comment l’eau s’infiltre, par le toit et par le sol. Quand il pleut, nous passons des nuits blanches, soulevant nos matelas et nos couvertures encore et encore, désespérant de les garder au sec. »
Lors de la première tempête que Gaza a connue cette saison, au moins 14 Palestiniens sont morts après l’effondrement de dizaines de maisons endommagées sur leurs occupants, et l’exposition au froid a provoqué des hypothermies mortelles chez des bébés et des nourrissons dans des tentes de fortune. « Il y a peut-être un accord de cessez-le-feu que le monde croit toujours en vigueur, mais pour nous, sur le terrain, nous vivons une guerre différente chaque jour. »
Maha Hussaini
L'Humanité du 17 décembre 25

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