Le cardinal Pierbattista Pizzaballa, chef de l’Eglise catholique en terre sainte, s’est rendu une nouvelle fois dans la bande de Gaza pour y célébrer la messe de Noël. La plus grande de partie de la communauté chrétienne, réduite à moins de 600 personnes, vit toujours réfugiée au sein de la paroisse.
Une immensité de tentes recouvre la terre. Elle semble presque aussi vaste que la mer Méditerranée qui s’étend au loin. Dans cette partie de Gaza ravagée, arasée, près de ce qui était le port, une ville de toiles et de bâches a remplacé les hauts immeubles. La scène est diffusée le 11 décembre sur la chaîne YouTube du père Gabriel Romanelli, le prêtre de la paroisse de Gaza depuis 2019.
Ce religieux, originaire d’Argentine, poste un point de situation sur les réseaux sociaux, presque quotidiennement, en espagnol. Ce jour-là, il commente : « La guerre n’est pas terminée. Il n’y a pas de bombardements massifs ; mais il y a des bombardements. Il y a des explosions, il y a des shrapnels. Des maisons continuent d’être détruites. » Il raconte les inondations dues à la tempête Byron, qui épuise une population à bout de forces : « Les gens continuent à mourir, et c’est une mort silencieuse, de désespérance, de manque de médicaments, de manque de soins. » Après plus de deux ans de guerre, Israël interdit toujours l’accès de l’enclave à la presse internationale.
Le vendredi 19 décembre, le visage austère du religieux s’illumine quelque peu, et sa voix se fait plus allègre : « Grande joie aujourd’hui, au milieu de tant de souffrances, on célèbre Noël en avance. Aujourd’hui est arrivé en visite le cardinal Pierbattista Pizzaballa. » Le patriarche a célébré la messe de Noël dimanche à Gaza, tout comme il l’avait fait en 2024. Des enfants ont reconstitué la scène de la Nativité, avec un bébé né en 2025, et baptisé par le prélat à cette occasion.
« Un point de référence stable »
Rare visite autorisée de l’extérieur de l’enclave par Israël, hormis les membres des ONG, le patriarche a été accueilli dès vendredi par une troupe d’enfants portant des bonnets de Noël, et une autre arborant des keffiehs et exécutant un dabkeh, une danse traditionnelle palestinienne. « Vous avez été un formidable témoignage, non seulement de résilience, mais aussi de foi et d’espérance pour beaucoup à Gaza, et dans de nombreux endroits du monde entier », a déclaré le cardinal Pizzaballa lors de son arrivée dans l’enclave, ajoutant que la communauté chrétienne vise à rester « un point de référence stable et solide dans cette mer de destruction ».
Le patriarche a ensuite fait s’envoler deux colombes blanches dans le ciel tourmenté de Gaza, entouré d’enfants chrétiens et musulmans, ramenant un sourire presque enfantin sur le visage du père Romanelli. Samedi, le cardinal a aussi rendu visite à des organisations humanitaires et des hôpitaux. Il s’est rendu sur les ruines de l’université Al-Azhar, bombardée par l’armée israélienne, pour évaluer les besoins, puis a rencontré des déplacés palestiniens dans les tentes du front de mer.
Mousa Ayyad, chrétien orthodoxe de 41 ans, coordinateur administratif de l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza, a vécu un an et demi avec ses coreligionnaires latins à l’église de la Sainte-Famille, havre de sécurité précaire dans la guerre d’anéantissement menée par Israël à Gaza : « Nous avons habité ensemble, souffert ensemble. On recommence doucement à vivre. Cette année, on a réussi à trouver des arbres de Noël et à installer des lumières, pour rappeler la naissance du Christ. Mais rien ne dit qu’on pourra reprendre une nouvelle vie. »
William Shomali, évêque du patriarcat, estime que la communauté se porte mieux, depuis le début du cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre, bien que près de 400 personnes aient été tuées pendant cette trêve par l’armée israélienne, qui de son côté a perdu trois soldats. « La vie commence à refleurir. Il y a plus de nourriture et de produits de base. Des marchés ouvrent. Mais il manque des médicaments, de l’électricité… Quant à notre communauté, 400 personnes vivent encore dans les classes de la paroisse. Elles ont hâte de partir, mais leurs maisons ont été détruites », dit au Monde le religieux.
La survie de la petite communauté chrétienne de Gaza est une préoccupation récurrente de l’Eglise catholique. En 2008, le patriarcat latin de Jérusalem avait envoyé un prêtre à la Sainte-Famille pour redynamiser une paroisse au bord de l’extinction. Gabriel Romanelli, membre de l’institut du Verbe incarné, congrégation conservatrice, s’y installe en 2019, après presque trois décennies passées au Proche-Orient. La paroisse organise des activités pour petits et grands, hommes et femmes, propose des cours de théologie, de sport, de musique, fonde une troupe scoute. La population chrétienne se maintient. Avant l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, elle comptait un millier de personnes, dont 120 catholiques. Une goutte d’eau, dans un territoire qui compte plus de deux millions d’habitants.
Des récits souvent tristes
Absent le jour du massacre – il devait rapporter des médicaments de Jérusalem –, le père Romanelli n’a réussi à revenir dans l’enclave qu’en mai 2024. Il n’en est plus sorti depuis, partage le sort de ses ouailles, et témoigne jour après jour, dans des récits souvent tristes, voire glaçants, au plus près du territoire et de sa population. C’était à lui que le pape François téléphonait tous les soirs à 20 heures, pour réconforter cette communauté désormais réduite à moins de 600 personnes, selon le patriarcat. Le nouveau pape, Léon XIV, continue de l’appeler régulièrement.
Dans ses vidéos, le père Romanelli raconte aussi les distributions d’aide humanitaire, aux chrétiens comme aux musulmans, assurant que la paroisse de Gaza soutient 5 000 familles. L’organisation Malteser International, la branche caritative de l’ordre de Malte, a pu livrer 200 tonnes de nourriture depuis 2024. Et ces derniers jours, le prêtre montrait les enfants préparer des petits sapins de Noël et construire une crèche au sein de l’église de la Sainte-Famille, dont la façade a été ébréchée par des éclats d’un bombardement israélien en juillet 2025, causant la mort de trois personnes et blessant le père Romanelli.
La délégation venue de Jérusalem est repartie dimanche après-midi. Elle laisse derrière elle une petite communauté meurtrie et en sursis, comme le reste de ce territoire, dont la population attend avec hâte le passage à la deuxième phase du plan imposé par le président américain, Donald Trump, à Israël et au Hamas, qui prévoit le début de la reconstruction de l’enclave, le désarmement du Hamas et la poursuite du retrait des troupes israéliennes, qui occupent toujours la moitié de la bande de Gaza.
Samuel Forey (Jérusalem, envoyé spécial)
Le Monde du 22 décembre 25
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