Intervention de Mme Marie Nassif-Debs en faveur de l’élimination de la violence à l’égard des femmes à l’occasion du 80ème anniversaire de la Charte des Nations Unies et prononcée le 25 novembre 2025 lors de la conférence sur les droits humains qui s’est tenue à Nice (France)
Merci à l’association Droit-Solidarité et à l’Union Internationale des Juristes Démocrates pour avoir organisé cette conférence importante qui sera suivi d’un appel contre les guerres capitalistes et pour la paix.
80 ans ont passé, depuis ce jour du 24 octobre 1945 qui marqua l’institution des Nations Unies, à la suite de la ratification définitive de la Charte par la Chine, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Union Soviétique. Cette Charte qui débute par une déclaration de foi stipulant que les peuples des Nations Unies sont « résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances », mais aussi à proclamer à nouveau leur « foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ».
Où sommes-nous, aujourd’hui, de ce préambule ainsi que des 111 articles de la Charte, notamment l’article 6 (Si un Membre de l'Organisation enfreint de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte, il peut être exclu de l'Organisation par l'Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité), ou l’article 8 (Aucune restriction ne sera imposée par l'Organisation à l'accès des hommes et des femmes, dans des conditions égales, à toutes les fonctions, dans ses organes principaux et subsidiaires), ou, encore le second paragraphe de l’article 13 (développer la coopération internationale dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l'éducation, de la santé publique, et faciliter pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales), pour ne citer que ceux-là qui ont un impact direct sur la situation des femmes, surtout en temps de guerres et d’occupations de territoires, ainsi que sur le rôle marginal que les femmes continuent à jouer dans la société ?
Quelques chiffres empruntés aux rapports des Nations Unies et de leurs différents organismes montrent que si la situation des femmes a quelque peu évolué, elle n’est pas encore à la mesure des attentes, et que si certains Etats ont fait des efforts dans le sens de supprimer les inégalités, la majorité des gouvernements est encore très loin des promesses faites.
Sur le plan des violences les plus flagrantes:
1- En 2024, les dépenses militaires mondiales ont atteint un niveau record de 2, 718 billions de dollars par an, soit une augmentation de 9,4% par rapport à 2023 et deux fois plus qu’en 1995. 612 millions de femmes et de filles vivaient dans un rayon de 50 kilomètres d’au moins 1 des 170 conflits ou agressions armés, soit une hausse de 54 % depuis 2010.
2- À l’échelle mondiale, la violence à l’égard des femmes et des filles persiste à des taux alarmants. Près de 740 millions de femmes, ou 1 femme sur 3, subissent au cours de leur vie des violences physiques ou sexuelles perpétrées par un partenaire intime ou des violences sexuelles commises par une autre personne.
3- Depuis 2022, les cas de violence sexuelle liée à un conflit armé ont augmenté de 50%. Les femmes et les filles sont ciblées dans 95% des cas. Sans oublier les massacres dus aux bombardements et autres faits de guerre, ou encore les déplacements forcés et la famine, comme c’est le cas actuellement à Gaza, au Soudan et au Liban…
4- Sur le plan des mariages précoces, il faut dire qu’entre 2003 et 2023, la part de femmes mariées pendant l’enfance a baissé, passant de 24 % à 19 %. Pourtant, les avancées en matière de prévention du mariage d’enfants étaient importantes au sein des ménages les plus riches que dans les ménages les plus pauvres
Sur le plan de la protection sociale et économique:
1- il est vrai que la part mondiale des femmes couvertes par au moins une prestation sociale a augmenté d’un tiers entre 2010 et 2023 ; cependant, 2 milliards de femmes et de filles ne bénéficiaient d’aucune protection sociale en 2023
2- L’écart entre les sexes en matière de travail stagne depuis des décennies. À l’échelle mondiale, 63 % des femmes âgées de 25 à 54 ans participent à la population active, contre 92 % des hommes. Les femmes accomplissent encore 2,5 fois plus que les hommes de travail de soins non rémunéré. Et 775 millions de femmes, employées dans l’économie informelle, occupent des emplois précaires dénués de protection sociale.
3- 10 % des femmes et des filles vivent dans des ménages touchés par la pauvreté extrême. Ce chiffre passe à 24 % chez les femmes âgées de 18 à 34 ans, qui sont les plus susceptibles d’avoir des enfants en bas âge.
Sur le plan politique :
1- La part de femmes dans les parlements a plus que doublé depuis 1995. Mais aujourd’hui, près de 75% des parlementaires sont encore des hommes.
Seuls 87 pays sont ou ont été dirigés par une femme. À l’échelle mondiale, les femmes représentent 23 %, des membres de cabinet à la tête de ministères, 27 % des parlementaires, 36 % des législateurs à l’échelle locale
54 % des États assurent le suivi de la proportion du budget national investie dans l’égalité des sexes, mais seuls 26 % satisfont pleinement aux critères de suivi systématique exigé.
Les rapports de l’ONU sont, donc, clairs, surtout le dernier en date paru à l’occasion du trentième anniversaire de la conférence de Beijing. Ils montrent que les Nations Unies ont essayé, durant ces 80 ans passés, de faire quelque chose concernant l’application du contenu de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ou de la Charte, mais leurs efforts permanents n’ont pas conduit à un changement spectaculaire.
A cet égard, je voudrais rappeler très rapidement les programmes des quatre conférences internationales tenues entre 1975 et 1995.
La première, celle de Mexico, en 1975, qui a marqué l’Année internationale de la femme et à laquelle ont participé 133 Etats membres, s’était organisée autour de trois grands thèmes : l’égalité, la paix et le développement. Elle fut suivie, cinq ans plus tard, par celle de Copenhague où 145 gouvernements ont mis au point un programme préconisant des mesures nationales permettant aux femmes d’améliorer, en principe, la sauvegarde de leurs droits en matière de nationalité, d’héritage et de garde d’enfants. Puis, il y eut la Conférence de Nairobi, en 1985, où les représentants de 157 Etats ont adopté des stratégies visant à concrétiser l’égalité femmes-hommes et à promouvoir la participation des femmes dans les efforts de la paix et du développement.
Enfin, la conférence de Beijing, en 1995, a identifié 12 domaines critiques pour la promotion des femmes qui sont la pauvreté, l'éducation, la santé, la violence, les conflits armés, l'économie, la prise de décision, les mécanismes institutionnels, les droits de l'homme, les médias, l'environnement et la fillette. Cette conférence où la participation a atteint 189 Etats membres, a voté, à l’unanimité, un programme d’actions concrètes afin de parvenir à l’égalité déjà bien définie par la (CEDAW), la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
Cinquante ans se sont écoulés depuis Mexico et trente depuis Beijing et les résultats ne sont pas concluants, comme nous venons de le mentionner à partir des rapports publiés par l’ONU.
Pourquoi ?
Les causes sont nombreuses, allant des traditions sociales et religieuses à la volonté du grand capital de profiter du travail c’une main-d’œuvre payée au rabais et que l’on peut, en temps de crise, renvoyer sans beaucoup de peine ; de plus, le harcèlement sexuel en temps de guerre n’a jamais été vraiment considéré comme un crime…
Quant aux droits politiques, et à part les décrets promulgués par la Révolution d’Octobre en Russie, aucun Etat, géré par une majorité écrasante d’hommes, n’a ouvert une vraie perspective pour imposer l’égalité Femmes-Hommes sur le plan politique.
A cela, nous devons mettre en lumière le fait que les décisions des Nations unies n’ont jamais été appliquées à la lettre, même s’il est dit que les conventions internationales priment vu, d’abord, le droit de veto accordé aux cinq vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Vient ensuite le fait que les Etats membres ne sont pas obligés de ratifier ou d’appliquer les décisions votés par la majorité d’entre eux, s’ils trouvent une incompatibilité quelconque entre ces textes et les lois du pays ; cela fait que les Etats membres, surtout les grandes puissances et leurs alliés, ont le droit d’émettre des réserves sur un accord international, ou, même, sur un article au sein d’une convention internationale . L’exemple des réserves émises par les Etats arabes sur l’article 9 de la CEDAW concernant le droit des femmes de donner leur nationalité à leurs enfants, ou encore l’article 16 concernant l’égalité des droits sur le plan des statuts personnels en disent long sur ce plan… de même que l’exemple du refus de l’entité israélienne d’appliquer les textes votés à une majorité écrasante concernant la préservation de la population civile de Gaza, les femmes et les enfants surtout, contre les crimes de guerre commis dernièrement.
Voilà pourquoi, après 80 ans, la situation dans le monde se détériore et le risque d’une troisième guerre mondiale augmente à vue d’œil. Et, si nous ne voulons pas que l’ONU subisse le même sort que la SDN, il nous faut unifier nos efforts afin que le droit international cesse d’être bafoué. Dans ce sens, nous appelons à l’unité des peuples de la planète, des intellectuels, des juristes, des scientifiques, mais aussi des femmes et des jeunes/ tous unis autour d’un programme pour le changement, pour une société sans exploitation ni guerres.
Dr. Marie Nassif-Debs
Présidente de l’association Egalité-Wardah Boutros
Membre du Conseil Économique, Social et Environnemental au Liban
Ex Coordinatrice générale du Forum de la Gauche Arabe
Maison des Associations
Nice, Le 14 novembre 2025
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