En Cisjordanie, la violence coloniale s’intensifie encore

 

À Kafr Malik, en Cisjordanie occupée par Israël, le 26 juin 2025. © Photo Zain Jaafar / AFP
Au moins cinq Palestiniens dont deux mineurs ont été tués cette semaine en Cisjordanie occupée, où colons et armée israélienne redoublent de violence en toute impunité. Dans le même temps, la colonisation bat son plein, à des niveaux jamais atteints.
Depuis le 7-Octobre, tandis qu’Israël bombarde Gaza et multiplie les fronts guerriers pour détourner l’attention du monde sur le génocide en cours – le dernier en date étant en Iran –, la violence coloniale ne cesse de s’intensifier en Cisjordanie occupée. En toute impunité. Du nord au sud, dans une Cisjordanie mitée par la colonisation rampante, en violation totale du droit international, mais aussi à Jérusalem-Est, les Palestinien·nes vivent un enfer quotidien. 
En Cisjordanie, où la situation était déjà critique avant le 7-Octobre, la mort est devenue banale. Près d’un millier de Palestinien·nes ont été tué·es depuis cette date, selon le ministère de la santé palestinien, dont plus de deux cents enfants. Le bilan vient encore de s’alourdir. Trois Palestiniens, Lutfi Bairat, Mohamed Alnaji, Murshed Hamayel, âgés de 18 ans, 21 ans, 35 ans, ont été tués, et une dizaine d’autres ont été blessés mercredi 25 juin par l’armée israélienne. 
Les soldats ont ouvert le feu sur les habitant·es du village Kafr Malik, près de Ramallah, dans le centre de la Cisjordanie, alors que ceux-ci subissaient un raid d’une extrême violence de la part de plus d’une centaine de colons juifs. C’était le jour des funérailles d’un enfant palestinien, tué d’une balle dans le dos à l’orée de ses 13 ans, deux jours plus tôt, lui aussi par l’armée israélienne.
C’était aussi le jour où l’Autorité palestinienne, qui siège à Ramallah, a annoncé la mort d’un adolescent de 15 ans tué d’une balle dans le cou dans la ville d’Al-Yamoun, au nord-ouest de Jénine, là encore par les troupes israéliennes.
À Kafr Malik, une horde d’extrémistes juifs a mis le feu à des maisons et des voitures, comme en témoignent les habitant·es et plusieurs vidéos, dont une diffusée par B’Tselem, l’organisation de défense des droits humains, qui documente inlassablement les abus des colons et des soldats israéliens. Le communiqué de l’armée israélienne, faisant état de dizaines d’Israéliens incendiant des biens, en atteste également. 
Marqué par plusieurs dizaines d’attaques de colons, le mois de juin 2025 vient confirmer le sentiment de toute-puissance des extrémistes juifs, qui sont de plus en plus nombreux à être surarmés. Plusieurs ont rejoint les rangs de l’armée israélienne depuis le 7-Octobre, accusée par les organisations de défense des droits humains de faire usage d’une force inutile, disproportionnée et surmilitarisée, dans les territoires occupés palestiniens. 
L’armée israélienne dit avoir tiré à Kafr Malik en riposte à « des jets de pierre » provenant de « terroristes » du village. Une version démentie par le maire du village et les habitant·es, qui pointent du doigt une armée israélienne laissant agir les colons, quand ils ne l’accusent pas de complicité. « Notre peuple ne s’agenouillera jamais », a scandé jeudi 26 juin une foule en deuil et en colère dans les rues du village, en soulevant les corps des défunts « martyrs ». 

Transformer l’occupation de la Palestine en annexion
Expulsions, démolitions de maisons, saisie de terres, raids militaires, restrictions sévères à la liberté de circulation, obstacles à l’accès aux services de base, déplacements forcés de population... comme ce fut le cas en début d’année lors de l’opération dite « Mur de fer » dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie. À ce moment-là, plus de 42 000 Palestinien·nes ont été chassé·es, se retrouvant sans logement stable et avec un accès extrêmement limité à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux...
Depuis le 7-Octobre, le gouvernement israélien, le plus extrémiste de l’histoire du pays, accélère ses ambitions : transformer l’occupation de la Palestine en annexion pour bâtir un « Grand Israël » de la Méditerranée au Jourdain, consolider son système de ségrégation sociale et d’apartheid, empêcher toute création d’un État Palestinien viable comme toute perspective de paix. Le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis et l’absence de sanctions ont fini de le galvaniser. 
Essaimant dans plusieurs dizaines de colonies, encerclant et asphyxiant les villages palestiniens, quelque 700 000 Israélien·nes colonisent la Cisjordanie et Jérusalem-Est depuis 1967. Fin juin 2024, Israël avait accaparé la plus vaste étendue de terres en Cisjordanie depuis trente ans et les accords de paix d’Oslo en 1993. Quelque 1 270 hectares dans la vallée du Jourdain ont été déclarés « propriétés d’État » pour favoriser l’expansion de colonies israéliennes. 
Et l’annexion se poursuit, morceau par morceau, dans la plus grande indifférence. Le 29 mai, Israël a annoncé l’implantation de vingt-deux nouvelles colonies en Cisjordanie – qu’il renomme du nom biblique « Judée et Samarie » –, un nouveau record. Bezalel Smotrich, colon d’extrême droite et ministre chargé de la gestion des colonies, a applaudi « une décision historique ». Un tournant « qui change la face de la région et façonne l’avenir de l’implantation [israélienne en Cisjordanie] pour les années à venir », selon son homologue Israël Katz.
Le gouvernement israélien ne s’interdit plus rien, jusqu’à laisser l’armée tirer contre une délégation de diplomates étrangers en visite officielle venue constater le 21 mai dernier la situation humanitaire désastreuse autour du camp de Jénine. 

Résister malgré tout
Une nouvelle colonie, « Gideon’s View  », a ainsi été établie cette semaine sur le mont Kidan, à l’ouest de Kedumim, dans le nord de la Cisjordanie. « Douze bâtiments, dix familles, en quelques heures... sous la protection totale de l’armée, alerte un activiste dans la boucle WhatsApp qui documente la colonisation dans la vallée du Jourdain. Ce qui s’est passé ce soir n’est pas une simple expansion, mais une véritable opération militaire de colonisation [...]. Ils donnent à la montagne un nom hébreu et déclarent que l’endroit est stratégique et sûr. En réalité, il s’agit d’une montagne palestinienne dont les habitants sont empêchés de s’approcher ou même d’y planter un arbre. »
À Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie, où a été tourné le documentaire oscarisé No other land, la violence des colons et de l’armée atteint son paroxysme. Malgré la brutalité quotidienne du harcèlement, malgré les souffrances, malgré les démolitions, malgré l’abandon par l’Autorité palestinienne, les habitant·es des dix-neuf villages et hameaux qui composent Masafer Yatta continuent de résister, mais à quel prix. La destruction et le déplacement de population n’ont jamais semblé aussi imminents.
Dans un communiqué publié le 25 juin, l’ONG Médecins sans frontières, qui a été contrainte de suspendre ses consultations ambulatoires en santé à Hébron et Naplouse, dénonce « la violence et l’emprise israélienne » sur la population palestinienne en Cisjordanie. Elle exhorte la communauté internationale « à aller au-delà des condamnations verbales et à exercer une pression concrète sur les autorités israéliennes afin de mettre un terme à la violence et de lever les restrictions de mouvement qui entravent l’accès aux services essentiels et à l’aide humanitaire ».
La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine appelle pour sa part le gouvernement français à prendre des mesures similaires à celles prises par l’Irlande, qui a validé mardi 24 juin un projet de loi visant à mettre fin au commerce avec les colonies israéliennes, afin de respecter ses obligations en droit international. 
« En 2022, la France a importé 1,5 milliard d’euros de biens israéliens, dont une partie provient des colonies, permettant ainsi leur viabilité économique et, par effet d’entraînement, jouant un rôle indéniable dans le maintien de la colonisation et son expansion territoriale et économique, écrivent les ONG dans un communiqué. La France doit avoir le courage d’agir concrètement et ainsi rejoindre le mouvement lancé par l’Irlande, afin de ne pas parjurer ses valeurs et ses engagements. »

Rachida El Azzouzi
Médiapart du 27 juin 2025

À Gaza, des soldats ont reçu l’ordre de tirer sur les civils autour des distributions alimentaires
Des officiers et des soldats de l’armée israélienne ont révélé au journal israélien Haaretz avoir reçu l’ordre de tirer sur des citoyen·nes gazaoui·es non armé·es qui attendaient près des sites de distribution alimentaire, et ce en l’absence de menaces.
Selon les chiffres du journal, confirmé par Médecins sans frontières (MSF), plus de 500 personnes auraient été tuées par Israël, et 4 000 blessées aux abords de ces distributions depuis leur lancement. Le journal indique que le parquet militaire a demandé une enquête interne sur d’éventuels crimes de guerre.
Le dispositif humanitaire, organisé par la Fondation humanitaire pour Gaza (Gaza Humanitarian Foundation, GHF) et soutenu par les États-Unis et le gouvernement Nétanyahou, était à l’origine destiné à « encadrer » une aide humanitaire. La fondation, qui a recours à des employés armés pour assurer la sécurité de ses centres, n’a envoyé qu’une maigre aide alimentaire et médicale, insuffisante face aux besoins des civil·es sur place.
Selon des soldats ayant servi dans la zone, l’armée israélienne aurait tiré sur les personnes civiles qui arrivaient avant l’ouverture pour les empêcher d’approcher, ainsi qu’après la fermeture des centres pour les disperser. Toujours selon Haaretz, certains tirs ont eu lieu la nuit, avant l’ouverture, alors que les limites de la zone désignée n’étaient pas visibles pour les civils.
Depuis plusieurs semaines, les associations et les journalistes palestinien·nes dénoncent les dangers de ces distributions. Ce vendredi 27 juin, Médecins sans frontières a de son côté demandé le démantèlement de la GHF, affirmant que ce dispositif est « un simulacre de distribution alimentaire qui produit des massacres à la chaîne ».



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