Face au génocide à Gaza, au nettoyage ethnique en Cisjordanie et à l’annexion des territoires palestiniens, Mustafa Barghouti appelle à nommer les crimes et réclame une action diplomatique forte. Alors que l’État de Palestine est en train d’être anéanti, la France ne peut se contenter d’une déclaration de reconnaissance.
Mustafa Barghouti - Médecin, secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, président de la Société de secours médical palestinienne et membre du Conseil législatif palestinien.
Après dix-neuf mois de bombardements sur la bande de Gaza, les déplacements forcés, les destructions, la famine et le crime de génocide, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Nous sommes horrifiés par la politique de Benyamin Netanyahou et de son gouvernement fasciste. Mais nous sommes également horrifiés par l’absence de réaction du monde dit civilisé. Il faut que les choses soient claires. Aujourd’hui, Israël est gouverné par un gouvernement fasciste dont les membres les plus extrémistes sont Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, qui ont pour objectif déclaré l’élimination du peuple palestinien.
Nous subissons aujourd’hui trois crimes de guerre en parallèle : le crime de génocide, le crime de punition collective et le crime de nettoyage ethnique. L’armée israélienne attaque des hôpitaux, des campements, tue des journalistes, des enfants… Environ 90 % des habitations ont été rasées, complètement détruites. Comment le monde peut-il accepter ces crimes ? Sommes-nous des êtres humains, avec les mêmes droits ? Si nous sommes confrontés à la suprématie blanche, au racisme, qu’ils le disent et ne continuent pas à prétendre qu’ils défendent les droits de l’homme.
Lorsque nous évoquons le crime de génocide, il ne faut pas oublier qu’ils ont déjà lancé sur Gaza pas moins de 100 000 tonnes d’explosifs, ce qui représente 50 kilogrammes d’explosifs pour chaque homme, femme et enfant. C’est cinq fois la puissance explosive des bombes nucléaires lancées sur Nagasaki et Hiroshima.
Comment décririez-vous les projets de Benyamin Netanyahou pour Gaza et la Cisjordanie ?
Ce plan est clair. Benyamin Netanyahou veut détruire Gaza pour que les gens ne puissent plus revenir. Il entend pousser les habitants hors du nord et du centre de l’enclave vers le sud, vers la zone qu’il a déjà rasée, à Rafah. Il veut y créer le plus grand camp de concentration. Sous son contrôle, il veut enfermer tous les Palestiniens et créer des conditions telles que la population craque et quitte Gaza.
Pour l’instant, le seul problème de Benyamin Netanyahou est qu’aucun pays n’accepte d’accueillir les Palestiniens. En tant que Premier ministre, responsable des actes de son État, il assume que son plan soit de procéder à un nettoyage ethnique. Il s’appuie aussi sur les déclarations de Donald Trump, qui a évoqué une Riviera. Malgré tout cela, nous ne voyons pas d’actes punitifs, nous ne voyons pas de sanctions, nous ne voyons rien.
Ce que Gaza subit aujourd’hui est une punition collective et l’expulsion totale des habitants. Les gens ne se souviennent-ils pas qu’il s’agit essentiellement de réfugiés qui ont déjà été déplacés en 1948 ? C’est totalement inacceptable et criminel. C’est de la sauvagerie. Et tout pays qui ne prend pas immédiatement des mesures de sanction contre Israël est complice de ces crimes et de ce génocide. Et, un jour, il sera jugé, comme ceux qui ont gardé le silence sur l’Holocauste qui a frappé le peuple juif. Pourquoi aucun État européen n’applique-t-il la décision de la Cour pénale internationale, qui accuse Netanyahou d’être un criminel de guerre et estime qu’il doit être traduit en justice ?
En Cisjordanie, ce n’est guère mieux, les autorités israéliennes ont également procédé à un nettoyage ethnique contre la population de plusieurs camps de réfugiés. Encore une fois, ces personnes sont celles qui ont déjà été déplacées en 1948, ou leurs descendants.
Pourquoi, dans un tel contexte, la reconnaissance de l’État palestinien par les autorités françaises peut-elle être utile ?
Cette action signifie la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. La France arrive bien tard puisque 149 pays reconnaissent la Palestine. Si c’est une bonne chose, on ne peut pas se contenter d’une déclaration de reconnaissance de la part du président Macron, alors que dans le même temps l’État de Palestine est en train d’être détruit. Nous avons besoin d’une combinaison d’actions qui mêlent la reconnaissance et des engagements pour mettre un terme à l’occupation. Toutes les colonies doivent être retirées de la Cisjordanie et une pression immédiate doit bien évidemment être mise sur Israël pour que ce gouvernement arrête son génocide.
Si ces éléments sont réunis, alors la reconnaissance aura un sens. Dans le cas contraire, Israël estimera qu’il peut poursuivre la construction de colonies et l’annexion de terres palestiniennes en Cisjordanie. Cette question ne doit pas être négociée. Le gouvernement israélien estime qu’il n’y a pas de place pour un État palestinien. Les députés ont adopté une loi à la Knesset, avant le 7 octobre 2023, affirmant que le droit à l’autodétermination sur la terre de la Palestine historique est exclusivement un droit du peuple juif.
Aujourd’hui, des pays comme l’Arabie saoudite ne normaliseront pas leurs relations avec Israël sans une voie vers un État palestinien, sans qu’il soit mis fin à la guerre menée par l’occupant à Gaza et que l’armée israélienne se retire. Nous blâmons les pays arabes qui ont déjà normalisé leurs relations avec Israël. Ils devraient immédiatement annuler cette normalisation car ce gouvernement commet un génocide.
Comment réagir au silence de l’Europe et de l’Occident face à la politique du gouvernement de Benyamin Netanyahou ?
Ils sont complices, non seulement en se taisant, mais en fournissant des équipements. La France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne fournissent une aide militaire à l’armée israélienne. Qui peut expliquer ce double standard lorsque vous imposez des dizaines de sanctions à l’égard de la Russie, qui a commis de nombreux crimes, et que vous n’imposez rien après dix-neuf mois à Netanyahou, qui commet un génocide ? Nous n’avons plus assez de mots pour exprimer notre frustration, notre colère et notre déception à l’égard de tous ceux qui nous ont parlé de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Où sont-ils ? Nous sommes témoins de l’effondrement de tout l’ordre créé après la Seconde Guerre mondiale.
La France peut-elle jouer un rôle ?
Il me semble qu’un changement a lieu dans l’opinion. Les gens sont maintenant plus réceptifs et plus sensibles à la cause palestinienne. Pour la première fois depuis des mois, ils commencent à parler de génocide, ce qui est très important. Au peuple français je demanderai d’appliquer sa devise à la Palestine : Liberté, Égalité, Fraternité. Surtout l’égalité. Ne nous discriminez pas et n’acceptez pas la discrimination israélienne à notre égard. Israël n’est pas la victime dans ce conflit et, avec 200 têtes nucléaires, n’est pas confronté à une menace pour son existence. Les Palestiniens sont, eux, aujourd’hui confrontés à une menace pour leur existence si Netanyahou réussit à commettre un nettoyage ethnique. Ce n’est que sous la pression des opinions publiques que les gouvernements ont changé de politique au Vietnam et en Afrique du Sud.
Vadim Kamenka
L'Humanité du 30 mai 2025
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