La Paix au Proche-Orient

 


Par Sophie Bessis, historienne.


Parler aujourd’hui des conditions d’une paix possible dans un Moyen Orient calciné par la guerre peut paraître naïf. Une fois Gaza détruite jusque dans ses fondements et réduite à un tas de cendres, le sud du Liban et une partie de Beyrouth risquent de connaître le même sort. Les bombes d’Israël pleuvent sur Damas, sur Téhéran, sur le Yémen. L’armée d’un État qui n’a su, depuis sa création, s’accomplir que dans et par la guerre frappe quand elle veut, où elle veut. Ses gouvernants ne promettent à leur peuple que sa poursuite.

Dans sa majorité, ce peuple les approuve, persuadé qu’il a été par des décennies de propagande que seule la guerre peut le sauver d’un anéantissement possible. En attendant, jour après jour, son État tente d’anéantir celui qu’il désigne comme son ennemi existentiel, le Palestinien, sommé de disparaître en tant que sujet national afin que triomphe sans partage le sujet national israélien.

Et l’on voudrait parler de paix ? Pourtant, elle viendra un jour, aucune communauté humaine ne pouvant vivre éternellement de la guerre, à moins de n’avoir pour horizon que sa propre disparition. Sans rien faire pour qu’elle advienne, les dirigeants mondiaux ne cessent d’en dessiner les contours possibles : la solution à deux États, la possibilité d’une fédération, d’une confédération, d’un État binational, ou d’un pays unifié du Jourdain à la mer dont tous les citoyens vivraient dans une parfaite égalité. Personne n’en a en fait aucune idée. Il y a en revanche des préalables pouvant conduire au silence des armes.

Le premier et le plus urgent est d’amener les puissances occidentales à cesser de soutenir l’hubris israélien.

Pourquoi, en effet, les pyromanes qui dirigent Israël stopperaient-ils leur fureur dévastatrice – baptisée pour la rendre présentable « droit de se défendre » – tant qu’ils disposent des armes pour la poursuivre, tant que leur protecteur américain met son veto à toute tentative de solution qu’il dit souhaiter par ailleurs ? Quand les Occidentaux comprendront-ils que leur culpabilité historique à l’égard des juifs ne sera pas absoute par le soutien inconditionnel apporté à un État belliqueux qui monopolise indûment le legs des victimes ? Quand comprendront-ils qu’aider Israël à exister, si tel est leur objectif, c’est le contraindre à la paix ? Mais l’optimisme ici n’est pas à l’ordre du jour. Les bombes américaines n’ont pas fini de pleuvoir sur la région. Et quand le président Macron ose suggérer qu’il faut cesser d’envoyer des armes à Israël, c’est un tollé qui lui répond.

L’on aborde là un deuxième préalable à l’élaboration des conditions d’une paix. Les voix juives se multiplient en Amérique et en Europe pour clamer que la politique israélienne ne saurait se faire en leur nom. En Israël même des citoyens protestent courageusement contre l’horreur commise quotidiennement à deux pas de chez eux. Mais cela ne suffit pas. Une bonne partie des juifs du monde et toutes leurs institutions communautaires défendent encore aveuglément un État qui doit être pour eux intouchable. Comment les convaincre qu’ils font fausse route et que seule la paix peut garantir la pérennité d’une présence juive dans ce pays, quelle qu’en soit la forme ?

Pour y parvenir, il faut enfin rendre à l’histoire auquel il appartient le crime des crimes que fut le judéocide hitlérien et cesser de brandir la possibilité de sa réitération. Non pas que l’antisémitisme soit mort, il est vivant partout, mais le passé n’est pas l’histoire. Pour terrible qu’il ait été, le massacre du 7 octobre 2023 n’est pas un pogrom et les Arabes ne sont pas des nazis, quoiqu’en dise un pouvoir israélien qui a fait de l’instrumentalisation de la mémoire juive un ressort central de son formatage de l’opinion et qui entretient par tous les moyens la peur juive d’une nouvelle catastrophe.

Contraindre les États occidentaux à cesser de soutenir un État à la logique génocidaire désormais assumée, à cesser de confondre à dessein antisionisme et antisémitisme pour mieux réprimer le premier, réveiller des majorités juives enfermées dans le déni du caractère colonial de l’État qu’elles défendent, refuser de recourir au vocabulaire de la Shoah pour condamner toute attaque dont les juifs seraient victimes, voilà les préalables indispensables à l’ouverture d’une porte vers la paix. On en est très loin.

Par Sophie Bessis, historienne.
L'Humanité du 04 novembre 2024

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