« Il faut une action extérieure » : des milliers d’Israéliens réclament des sanctions contre leur pays

 

Rassemblement devant le bâtiment du ministère de la défense israélien pour demander un accord de cessez-le-feu avec Gaza et exiger un accord d’échange d’otages, à Tel-Aviv le 16 novembre 2024. © Photo Mostafa Alkharouf / Anadolu via AFP
Lancé par la Franco-Israélienne Yaël Lerer, un appel à la communauté internationale pour l’adoption et la mise en œuvre de mesures de rétorsion dans tous les domaines a recueilli 3 600 signatures. Pour arrêter la guerre « tout de suite. Maintenant », explique l’initiatrice du texte.
« Nous vous implorons : sauvez-nous de nous-mêmes ! Exercez une vraie pression internationale sur Israël pour un cessez-le-feu immédiat et durable » : ainsi se conclut l’appel des « Citoyens israéliens pour une pression internationale réelle sur Israël », signé à ce jour par des milliers d’Israélien·nes, au-delà de la frange habituelle de l’extrême gauche, et publié par Libération et le Guardian.
Cette demande, inédite, d’implication de la communauté internationale – « l’Organisation des Nations unies et ses institutions, les États-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe, ainsi que tous les pays du monde » – dit l’urgence ressentie par les signataires.
Il faut des sanctions, affirme l’appel, seule façon d’arrêter la course folle de l’État d’Israël dans la violence, alors que bien peu, trop peu, a été tenté jusque-là.
Les médiations ? le Qatar a jeté l’éponge et suspendu sa médiation jusqu’à ce que le Hamas et Israël fassent preuve de « volonté et de sérieux ».
Les résolutions internationales ? celle du 10 juin 2024, proposée par les États-Unis et votée par le Conseil de sécurité de l’ONU, sur un cessez-le-feu en trois phases dort déjà dans les tiroirs des décisions jamais appliquées. Les ordonnances de la Cour internationale de justice, en janvier et en mai, n’ont fait bouger ni le gouvernement israélien ni les États qui le soutiennent.
Mediapart s’est entretenu avec Yaël Lerer, franco-israélienne, éditrice, traductrice, candidate Nouveau Front populaire (NFP) aux élections législatives contre Meyer Habib, et initiatrice de cet appel.

L’appel des « Citoyens israéliens pour une pression internationale réelle sur Israël » s’adresse à la communauté internationale et demande « toute sanction possible » contre Israël. Pourquoi cet appel à l’action ?
Je suis allée en Israël, mon pays avec lequel je n’ai jamais rompu les liens, où j’ai toute ma famille et où je reste engagée, en juillet. C’était irrespirable. C’est irrespirable. La société israélienne est emportée dans une dérive très grave. L’immense majorité n’a pas une conscience claire de ce que nous, Israéliens, faisons à Gaza. Elle ne comprend pas l’aspect génocidaire de ce que nous faisons à Gaza.
Les médias israéliens ne montrent rien, sinon, parfois, quelques ruines, disent que l’armée tue des responsables du Hamas, et ça s’arrête là. Cette dérive de la société israélienne est si forte qu’aucun changement ne peut venir de l’intérieur. Il faut une action extérieure.
Depuis plus d’un an, chaque matin, en me réveillant et en regardant les réseaux sociaux, je vois des dizaines de personnes tuées dans la bande de Gaza, et maintenant au Liban. Des soldats israéliens meurent aussi et c’est vain. L’urgence est d’arrêter ça tout de suite. Maintenant. Pour que demain on ne se réveille pas avec, une fois de plus, cent morts bombardés, brûlés vifs dans des tentes. Mais les Israéliens contre la guerre, comme les signataires de cet appel, constituent une infime minorité. Et nous sommes désespérés. Nous avons besoin d’être sauvés de nous-mêmes.

Votre appel a recueilli à ce jour 3 600 signatures. A-t-il rencontré un écho ailleurs que dans les cercles habituels proches de l’extrême gauche ?
C’est la première fois qu’un appel demandant des sanctions dépasse les habituels signataires marqués à l’extrême gauche. Des professeurs émérites qui n’étaient pas forcément engagés pendant leur carrière, une ancienne ambassadrice, un ancien procureur général, des proches d’otages et même de personnes tuées le 7-Octobre ont signé.
Nous allons atteindre bientôt les 3 700 signatures. Un tiers des signataires résident à l’étranger, principalement en Europe. Il est important de souligner que les deux tiers des personnes qui ont signé habitent en Israël même. Et ce n’est pas évident de signer un tel appel. Jusque-là, un grand nombre des signataires pensaient qu’un changement pouvait venir de l’intérieur, qu’appliquer le jeu démocratique, à savoir manifester et voter, ou militer pour la paix, le dialogue et la coexistence, pouvait suffire. Aujourd’hui, ils savent que le changement ne viendra pas de l’intérieur.
Nous avons peu de Palestiniens citoyens d’Israël. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien, mais pour eux, signer est très difficile. Beaucoup ont été arrêtés et emprisonnés pour de simples messages sur les réseaux sociaux.

Quels pourraient être le type et l’efficacité des sanctions ?
Israël n’est pas la Russie, il ne peut pas mener une guerre en vase clos. Il a besoin des autres pays pour mener la guerre. Sans les États-Unis, sans l’Union européenne, il ne pourrait pas la poursuivre un seul jour de plus. Sans les États-Unis car ce sont eux qui fournissent les bombes, même si de l’armement provient d’Allemagne, d’Italie et de Grande-Bretagne. Israël ne produit ni avions de chasse ni missiles. Il faut un embargo sur les armes.
Mais pas seulement, car le soutien n’est pas que militaire. La première partenaire commerciale d’Israël, c’est l’Union européenne. Avec l’accord d’association, Israël est considéré quasiment comme un État européen et bénéficie des mêmes avantages. Cet accord d’association aurait dû être annulé automatiquement à cause des violations des droits humains, mais il est toujours en vigueur.
De leur côté, les Israéliens ne comprennent pas ce qui se passe en Europe. Quand ils voient qu’à un match France-Israël il y a dans la tribune le président français et ses deux prédécesseurs, de droite et de gauche, ils se disent que tout va bien. Ils ont l’impression de combattre pour l’Occident. Nétanyahou a dit : « Nous faisons la guerre pour vous contre la barbarie », et les Israéliens le croient.

Comment expliquer l’absence de sanctions jusqu’à présent ?
Les Européens ne comprennent pas ce qui se passe en Israël. Il y a ici cette vision d’Israël comme un État démocratique, alors que ce n’est pas le cas, puisque la majorité de la population, notamment au sein de la jeunesse, juge absolument normal que l’État d’Israël soit un État juif pour les juifs et que les autres citoyens, non juifs, n’aient pas les mêmes droits. J’ai l’impression que cette notion de l’État juif a été considérée comme symbolique, ici. Mais ça n’a rien de symbolique, des lois différentes s’appliquent.
Ici en Europe, on voit les grands écrivains, les artistes, les cinéastes, on lit Haaretz, qui est un journal libéral au sens politique et dont les opinions sont très minoritaires, et on a l’impression que c’est ça, Israël ! Mais ce n’est pas du tout le cas. À mon avis, il n’y a pas plus de 2 % des Israéliens qui lisent Haaretz !

Quelles réactions a suscitées cet appel ?
En Israël, un député a promis qu’il allait déposer un projet de loi pour pouvoir faire licencier les professeurs d’université qui ont signé l’appel. Et le ministre de la justice, Yariv Levin, a écrit à la conseillère juridique du gouvernement en lui demandant d’examiner un projet de loi prévoyant des peines de dix ans de prison pour toute personne appelant à des sanctions contre Israël, qui seraient portées à vingt ans en temps de guerre.
Parmi la communauté internationale, nous avons eu quelques petits échos dans quelques appareils diplomatiques, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, mais pas du tout en France pour le moment. Pourtant, il y a urgence. Des sanctions auraient dû être adoptées hier !

Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 20 novembre 2024


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