Lannemezan, 26 octobre 2024. Manifestation devant la prison où est incarcéré Georges Ibrahim Abdallah. Chris den Hond / Orient XXI |
26 octobre 2024. Sous une pluie fine, des milliers de manifestants se mettent en marche vers la prison de Lannemezan, dans le département des Hautes-Pyrénées (sud-ouest), où croupit depuis 40 ans, Georges Ibrahim Abdallah, 74 ans. « Libérez la Palestine, libérez Georges Abdallah », scande Rita Hayek, activiste de la Campagne unitaire pour la libération du Libanais. :
"Le procès de Georges Ibrahim Abdallah est un procès politique depuis le début. Son premier avocat était un espion, il l’a avoué lui-même. Les États-Unis ont envoyé 10 000 courriers pour faire pression sur les juges français, et l’État français continue à tout faire pour le maintenir en prison. Ils veulent que Georges se repente, mais il ne le fera pas."
Son avocat Jean-Louis Chalenset est présent. Il vient lui aussi exprimer sa colère et sa détermination à obtenir la libération du « plus ancien prisonnier au monde lié au conflit du Proche-Orient » :
"Le Liban est agressé par les Israéliens avec des bombes américaines, et on lui demande d’indemniser les États-Unis en tant que partie civile ! Je leur ai rétorqué : « Jamais on ne donnera un euro aux États-Unis pour fabriquer des bombes pour tuer des enfants palestiniens ou libanais. »"
Un curieux choix de date
Georges Ibrahim Abdallah est libérable depuis 1999. Depuis 2001, onze demandes de libération ont été formulées et aussitôt rejetées à cause de son « absence de repentir ». Deux semaines avant la manifestation, le 7 octobre 2024, les juges d’application des peines lui ont rendu visite pour examiner sa douzième demande de libération. Une date qui ne doit rien au hasard, s’inquiète son avocat :
"J’ai demandé aux juges pourquoi ils avaient choisi la date du 7 octobre pour traiter le cas de Georges. Ils m’ont affirmé que c’était un hasard, qu’il n’y avait pas de rapport avec l’attaque de Gaza du 7 octobre 2023. Je leur ai répondu que les rédacteurs en chef des grands journaux ne vont pas faire un papier sur un militant pro-palestinien le 7 octobre 2024, parce que leur direction n’en voudra pas. C’est se moquer du monde de procéder à une telle audience le jour de cette commémoration."
Le ton utilisé par les procureurs durant la rencontre ne laisse aucun doute à ce propos. Chalenset le confirme :
"Pendant l’audience du 7 octobre [2024], il y avait une violence et une agressivité inouïes. On a eu à faire à des procureurs antiterroristes qui, pendant deux heures, l’ont traité de terroriste, ainsi que tous ses soutiens, l’accusant d’être l’ami du Hezbollah et du Hamas, et affirmant que s’il était libéré, ce serait une victoire de ces organisations. Un discours totalement délirant. Ils ont comparé Georges à un islamiste de Daesh, affirmant qu’il ne devait pas sortir de prison. Ils avaient une méconnaissance totale du Liban, de son histoire et du parcours militant de Georges. Ce dernier a fait le choix de porter la résistance à l’extérieur de son pays, de même que beaucoup de membres des organisations de la gauche radicale des années 1980. Ces procureurs ne font pas la différence entre ces organisations et l’OEI."
Un dossier vide
En 1979, George Ibrahim Abdallah a cofondé une organisation communiste et anti-impérialiste, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Dans un contexte de massacre des Palestiniens, notamment dans les camps de Sabra et Chatila, il avait appelé à étendre la résistance en dehors de la Palestine et du Liban. Envoyé en France, il est arrêté en 1984 pour port d’armes et faux papiers. Il est condamné à la perpétuité pour complicité dans les assassinats en 1982 de deux diplomates, l’un israélien, l’autre états-unien.
On sait aujourd’hui que le dossier est vide. Yves Bonnet, directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Alain Marsaud, magistrat antiterroriste, et Robert Pandraud, ministre délégué à la Sécurité (1986-1988), ont tous déclaré que Georges Ibrahim Abdallah et sa famille n’étaient pour rien dans les attentats des années 1980 pour lesquels il avait été mis en cause.
Jean-Louis Chalenset explique :
"J’ai rappelé aux juges que le procureur Marsaud qui, en 1986, avait créé la section antiterroriste, avait déclaré plusieurs fois qu’il était favorable à la libération de Georges Ibrahim Abdallah, puisque tout le monde savait que le dossier de l’accusation avait été monté en partie par la CIA et le FBI. L’ancien avocat des États-Unis, Georges Kiejman, a d’ailleurs reconnu qu’il versait au procès des documents accusatoires fournis par les Américains. Avant de mourir, il a écrit dans ses mémoires que Georges devrait être libéré : « J’ai une forme de respect pour lui que je n’avais pas à l’époque. » Le premier avocat de Georges avait travaillé pour la police. En plus, le ministre de l’intérieur Charles Pasqua a proféré un mensonge d’État, en 1986, lors du procès, en affirmant que la famille Abdallah était coupable d’attentat terroriste ayant occasionné la mort de six personnes. Il a donc produit un faux témoignage, ce qu’il a dû reconnaitre ultérieurement."
Un refus purement politique
Depuis 1999, Washington fait pression pour que Georges Ibrahim Abdallah reste derrière les barreaux. « Dans ce dossier, explique son avocat, Israël n’est jamais apparu officiellement. Cela ne veut pas dire qu’ils ne réagiraient pas si Georges était libéré, au Liban ou ailleurs. On connaît leurs méthodes. »
En 2013, le tribunal d’application des peines de Paris avait accepté sa libération. Le Liban était disposé à l’accueillir. Toutefois, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait refusé de délivrer l’arrêté d’expulsion. Une décision purement politique.
Aujourd’hui, bien que la base juridique pour demander une libération soit assez mince, tout espoir n’est pas perdu. Jean-Louis Chalenset poursuit :
"Le 7 octobre [2024] le tribunal d’application des peines s’est prononcé sur notre demande de libération conditionnelle de Georges. En droit, c’est un peu compliqué, puisque c’est une demande de libération et d’expulsion. Mais comme il n’y a pas eu d’arrêté d’expulsion, on ne peut pas se fonder sur ce texte. J’ai fondé ma demande sur un autre texte, dans le cadre d’un vide juridique. Le gouvernement avait voté une loi avec une application différente pour les Français et pour les étrangers. Le Conseil constitutionnel a censuré en 2020 une loi sur la libération conditionnelle, estimant qu’il y avait un régime différent pour les Français et les étrangers ; et il a invité le gouvernement à adopter une nouvelle loi qui ne devrait pas faire une distinction entre les étrangers et les Français. Comme le gouvernement n’a toujours pas adopté une nouvelle loi, il y a un vide juridique, ce qui, selon moi, permettrait à Georges de sortir de prison sans un arrêté d’expulsion."
Le tribunal d’application des peines rendra sa décision le 15 novembre 2024. Selon son avocat, il est peu probable que Georges soit libéré : « Il est certain que la décision du 15 novembre finira en appel. Soit on gagne et le procureur fait appel, soit on perd et nous faisons appel. Et on ira devant la Cour d’appel de Paris. »
Et de conclure :
"Du côté du gouvernement, on ne reçoit aucun signal d’un éventuel assouplissement, aucun contact ne nous est proposé, rien. La ministre de la justice libanaise a été autorisée à rencontrer Georges en prison. Après un net refus du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, ce dernier a finalement cédé en précisant : « D’accord, mais uniquement si vous ne faites pas de publicité à propos de cette visite. »"
Orient XXI du 05 novembre 2024
Chris den Hond - Vidéo-journaliste et auteur de plusieurs reportages, notamment sur les Kurdes, les réfugiés palestiniens et Gaza.
Jean-Louis Chalenset - Avocat.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire